Entre deux et cinq films russes sortent en France chaque année…

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Les films russes ne sont pas très courants sur les écrans des pays occidentaux, dont la France.

 

Les films russes ne sont pas très courants sur les écrans des pays occidentaux, dont la France. Cela est une constante depuis de longues années. Lors du récent festival du cinéma russe à Honfleur j’ai décidé de scruter le problème et de voir ce qu’en pensent les spécialistes. Monsieur Joël Chapron connaît la situation mieux que quiconque. Il est responsable du secteur Russie et Europe de l’Est à « Unifrance », qui est un organisme chargé de la promotion et de l'exportation du cinéma français dans le monde. Mais c’est également lui qui visionne des films russes et donne des recommandations pour le festival de Cannes. J’ai rencontré M. Chapron après sa conférence sur l’histoire du cinéma russe en France. Ma première question, qui est certainement très grande, était de savoir quel est l’obstacle principal pour la diffusion des films russes sur les écrans français.

Joël Chapron. C’est effectivement une très grande question. Il n’y a sur le papier aucun obstacle aujourd’hui à la diffusion des films russes en France. La vraie difficulté aujourd’hui c’est que sortir un film de manière correcte en France coûte beaucoup d’argent, beaucoup plus qu’il y 20 ou 30 ans. Les films soviétiques, postsoviétiques et les films russes qui sortent en France aujourd’hui sont très peu nombreux. Ils n’ont jamais été extrêmement nombreux dans toute l’histoire pour des raisons politiques, notamment, mais aujourd’hui il y a entre deux et cinq films qui sortent par an chaque année, et c’est extrêmement compliqué parce que même les cinq films qui sont sortis en France en 2012 n’ont pas tous bénéficié d’une grande promotion. Globalement, si on prend 2012, il y a deux films qui sortent un petit peu du lot. C’est « Faust » d’Alexandre Sokourov parce qu’il a eu le Lion d’or à Venise l’année dernière, et à partir du moment que vous êtes promu par un grand festival international, vous avez de la presse, vous avez des articles et donc, bien évidemment, ça aide. Et l’autre, c’est « Elena » qui était au Festival de Cannes l’année dernière et qui pour les mêmes raisons, a eu aussi une très bonne presse et a fait quelques dizaines de milliers d’entrées, ce qui est très bien aussi. Mais les trois autres sont passés quasiment inaperçus. « Portrait au crépuscule » a fait moins de 15 mille entrées, « Water, le pouvoir secret de l’eau » est passé totalement inaperçu, et « La Mouette » est la sortie d’un vieux film soviétique qui n’est jamais sorti en France, une adaptation de Tchékhov qui est très bien. Mais sans possibilités qu’on notamment des films américains, mêmes des films allemands ou des films italiens, c’est extrêmement compliqué de sortir des films russes en France parce que ça manque de notoriété, on ne connaît aucun acteur russe, vous ne pouvez baser votre promotion sur rien. Même les noms de la cinématographie russe connus restent connus essentiellement des cinéphiles – Nikita Mikhalkov, Kontchalovski, Zviaguintsev aujourd’hui ou même Sokourov – vous arrêtez les gens dans la rue, vous leur donnez ces noms-là, personne ne les connaît. Donc, c’est compliqué de sortir un film si vous ne pouvez pas vous vous appuyer sur quelque chose de connu. Pour moi, le principal obstacle, il est essentiellement là, il est dans le fait que si vous voulez sortir un film, il faut l’acheter, il faut le promouvoir et que tous les moyens de promotion coûtent beaucoup d’argent aujourd’hui. Pour vous donner un ordre d’idées, pour sortir un film en France de qualité, dont tout le monde parle, sans que ce soit « Harry Potter », il faut compter quand même entre 500 mille et un million d’euros de budget promotionnel. Aucun distributeur n’a ni les moyens, ni l’envie de prendre le risque de perdre autant d’argent si le film ne fait pas d’entrées. Et donc c’est un rapport entre le manque de notoriété et le risque financier et le manque de notoriété… Après c’est un cercle vicieux, si les films ne sortent pas, on ne les connaîtra pas plus, et malheureusement, cela ne s’arrête pas.

Anton Nikolski. Et les films mêmes, ne sont-ils pas un obstacle à la diffusion ? C’était ma deuxième question posée à Joël Chapron. Longtemps on a considéré les films russes comme difficiles pour la perception : rythme lent, problématique particulière... Est-ce qu’aujourd’hui les films russes changent, deviennent plus occidentaux ?

Joël Chapron. Effectivement les films russes changent… Malheureusement on retombe encore une fois sur le problème financier. Si vous sortez un film, comme… Je ne sais pas si vous avez vu « Portrait au crépuscule », mais c’est un film d’auteur, pointu, difficile. Vous pouvez éventuellement le positionner comme un film d’auteur, pointu, difficile pour cinéphiles. Si vous vouez sortir un film policier russe, un film en costumes russe, vous êtes obligé de le positionner comme un film grand public qui est censé le maximum de gens, sur un thème éventuellement connu par le maximum de gens, et quand on voit ce qui s’est passé avec le « Soleil trompeur II » qui n’est jamais sorti en France (le film de Nikita Mikhalkov), c’est pas très étonnant parce que le film de Nikita Mikhalkov a coûté très cher à fabriquer et malgré son passage au Festival de Cannes, le film de N. Mikhalkov aurait dû être sorti par une très grosse société française. Mais la société française, comme les critiques n’ont pas été très bonnes, a eu peur de mettre des millions d’euros qu’il aurait fallu pour que ce film ait une énorme exposition. Donc ils avaient le choix de le sortir comme « Portrait au crépuscule » sur 10 copies avec un positionnement « film russe difficile », soit ne pas le sortir du tout, parce que le sortir sur une très vaste combinaison de salles, leur aurait fait prendre un risque financier énorme. Donc, oui, le cinéma russe change, mais, malheureusement en changeant, ça ne change pas la difficulté financière des distributeurs étrangers vis-à-vis de ce cinéma-là qui continue d’être un cinéma sans notoriété, sans star-system, sans grands noms connus à l’étranger. Même quand vous avez un film grand public, personne n’ose prendre le risque de sortir un film grand public. Finalement c’est plus facile de sortir u film de Sokourov ou un film de Zviaguintsev qu’un film grand public, parce qu’un film de Sokourov et de Zviaguintsev, on sait, à peu près combien il va faire d’entrées, on sait qu’il y aura Télérama, Le Monde. Libération qui va en faire de bons articles, on sait à qui le film s’adresse… Sortir aujourd’hui « Soleil trompeur II » on ne sait pas à qui le film s’adresse, parce que les gens qui vont voir « Faust » ne sont pas ceux qui vont voir « Soleil trompeur II », et les gens qui vont voir « Soleil trompeur II » sont peut être ceux qui vont aller voir un film en costumes américain ou un film en costumes français. Mais donc ça veut dire que c’est pas des gens qui vont voir du film russe, c’est des gens qui vont voir du cinéma en général, et là le seul moyen d’attirer des gens qui d’habitude ne vont pas voir des films russes, c’est avec de l’argent : des affiches, des bandes-annonces, des passages à la télé, des passages à la radio, et ça, ça coût beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent… Personne ne veut prendre le risque.

Anton Nikolski.Un jour vous avez dit qu’il existait un décalage entre le cinéma russe et le public russe. Que vouliez-voous dire par cela ?

Joël Chapron. Il y a deux décalages. Le cinéma russe que globalement on voit en France, est un cinéma russe que globalement les Russes ne voient pas. Quand vous prenez les cinq films russe qui sont sortis cette années en France, certains ne sont jamais sortis en Russie, et ceux qui sont sortis, sont sortis sur des toutes petites combinaisons de copies. Et les films russes que les Russes voient en Russie, ne sont pas que nous voyons parce que justement c’est des films un peu occidentalisés, des comédies, des films avec effets spéciaux, des films fantastiques, et cela, on ne voit pas chez nous. Donc il y a un décalage déjà entre el leurs films et notre public, et puis il y a aussi un décalage entre ce que nous on perçoit du cinéma russe et ce que, eux, ils perçoivent du cinéma russe. Quand on parle avec des Russes aujourd’hui des films qu’ils ont vus, et si vous êtes amateur du cinéma russe, vous allez parler de certains films, ils vous parleront d’autres films. Vous n’arriverez pas à vous retrouver parce vous n’avez pas vu les même films. Alors, que quand vous parlez à un Russe aujourd’hui d’un film français, très souvent, vous l’avez vu, le film français, ici en France. François Ozon, Astérix, Luc Besson, Catherine Breillat. Les Russes voient ce que les Français voient. Alors que pour le cinéma russe, les Français voient des films que les Russes ne voient pas et les Russes voient des films que les Français ne voient pas. Le décalage, il est là.

Anton Nikolski. Vous vous occupez de la diffusion des films français en Russie. Quels sont les films qui marchent le mieux là-bas ?

Joël Chapron. Les films qui marchent le mieux restent des comédies. Toujours. Cette année 2012, on a cinq films qui ont très bien marché, des films de langue française qui ont très bien marché en Russie. Le numéro un c’est « Astérix et Obélix au service de Sa Majesté», le numéro deux c’est « Sur la piste du Marsupilami », le numéro trois c’est « The Artist », le numéro quatre c’est « Intouchables » et le numéro cinq c’est « Les infidèles ». C’est ce qui marche franchement le mieux là-bas. Mais on la chance d’avoir un cinéma français extrêmement divers et d’avoir des distributeurs russes qui aiment le cinéma français. Moi, j’ai quatorze distributeurs russes qui achètent des films français, et cette année, avec les coproductions franco-belges, franco-italiennes, en tout c’est soixante-un films français qui sont sortis en 2012 en Russie. Soixante-un.

Anton Nikolski. Et cela contre cinq films russes en France ! Une disproportion vraiment désolante. Espérons que la situation pourra changer. Déjà le festival de Honfleur montre que le cinéma russe ne laisse pas les gens indifférents et qu’ils sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser. Merci à Joël Chapron et à une autre rencontre sur les ondes de la Voix de la Russie !

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