Ces jours-ci l'Egypte vit un terrible déjà-vu – un printemps arabe à l'envers. Dans la nuit de jeudi à vendredi, des chars ont à nouveau été envoyés dans la capitale, destinés cette fois à faire cesser les affrontements entre les opposants et les partisans des Frères musulmans au pouvoir en Egypte. La police est incapable de maîtriser les confrontations qui éclatent dans divers quartiers du Caire. Les altercations ont déjà fait sept morts et plus de 600 blessés.
Tout le pays s'attendait à ce que jeudi, le président s'adresse enfin à la nation dans une période aussi difficile. L'opposition lui reproche déjà d'avoir réuni une conférence de presse à quatre heures du matin pour annoncer sa victoire alors qu'aujourd'hui, il n'arrive pas à trouver le temps pour rassurer le pays.
Vaut-il mieux une stabilité stagnante ou des troubles révolutionnaires ? Deux ans après le début de la révolution égyptienne, alors que le sang coule à nouveau dans les rues du Caire et que les affrontements entre les opposants et les partisans du président Mohamed Morsi ne cessent pas, la société égyptienne choisira certainement la première option.
Changer un dictateur pour un autre
Le 2 juin 2012, l'ex-président Hosni Moubarak, qui a dirigé le pays pendant 20 ans, a été condamné à perpétuité pour la mort des manifestants pendant les émeutes du début de l’année 2011. Quand les manifestants exigeaient la démission de Moubarak - qui menait selon eux une politique despotique - ils ne s'attendaient certainement pas à changer de dictateur pour un autre.
Tout avait commencé avec plus ou moins d'optimisme : quelque temps après le départ de Moubarak et sa mise en détention, la présidentielle organisée en Egypte a été remportée de façon tout à fait démocratique par le représentant des Frères musulmans, Mohamed Morsi.
Bien que la frange libérale de la société égyptienne n'ait pas sauté de joie en voyant les radicaux arriver au pouvoir, la construction de la démocratie en Egypte semblait tout de même possible. Quelques mois plus tard, le pays se retrouve avec un nouveau dictateur encore plus cruel que Moubarak – un dictateur islamiste.
Avant et après la présidentielle, Morsi ne lésinait pas sur les promesses : il assurait à ses compatriotes qu'ils conserveraient leurs droits et leurs libertés. Mais le gouvernement islamiste d'Egypte a commencé à serrer les boulons, y compris en faisant pression sur les médias.
La proclamation par le président de la déclaration constitutionnelle qui refermait sur lui les trois pouvoirs le 20 novembre a fait déborder le vase.
Morsi, que l'opposition qualifie déjà de "nouveau pharaon" au pays des pyramides, s'est également accordé l'immunité – immunité qui s’étend même à ses décisions. Selon les représentants des partis laïques, cette méthode établit en Egypte une véritable dictature.
Constitution, loi fondamentale… de la charia
Les Egyptiens n'étaient pas du tout réjouis par le projet de nouvelle constitution, qui fera l’objet d’un référendum le 15 décembre. Déjà, au stade de l'élaboration du texte, les passions s’étaient déchaînées.
Une commission spéciale a été formée pour élaborer le projet de constitution nationale - dont font partie les représentants de plusieurs partis égyptiens. Cependant, rapidement après la création de la commission, les libéraux et la gauche l'ont quittée, indignés par l'hégémonie des islamistes radicaux.
Avant que commencent les travaux de la commission, les Frères musulmans avaient fait comprendre qu'ils voulaient élaborer une constitution impliquant une forme de gouvernement présidentielle-parlementaire, où les pouvoirs du président seraient significativement réduits. Par ailleurs le parlement, au sein duquel les islamistes détiennent la majorité, était censé obtenir le droit de nommer le gouvernement. Cependant, tandis que l'opposition laïque exigeait la dissolution de la commission, ses membres ont tout fait pour terminer leur travail dans les plus brefs délais et faire adopter leur projet.
Le nouveau texte répond presque intégralement aux intérêts des Frères musulmans au pouvoir bien que, selon les auteurs, le document "inclut des droits et des libertés qui n'avaient encore jamais été inscrits dans aucune constitution égyptienne". Le projet s'appuie sur le texte établi à l'époque de Moubarak - l'une des nouveautés est l'interdiction faite aux anciens chefs du Parti national démocratique de faire de la politique, de se présenter au poste de chef de l'Etat et au sein du pouvoir législatif pendant dix ans.
Les discussions les plus vives ont été suscitées par l'article sur la charia, qui stipule qu'elle est la "principale source de la législation". Pour ne pas arranger les choses, l'article suivant déclare que les affaires civiles et religieuses des chrétiens et des juifs qui vivent en Egypte seront traitées en conformité avec les normes législatives de ces confessions. Les islamistes ont paralysé le travail de la Cour constitutionnelle d'Egypte, dont les membres ont dû annoncer une grève dimanche dernier. Ce jour-là, les juges devaient apprécier la légitimité de la commission constitutionnelle. Les partisans des Frères musulmans avaient encerclé le tribunal et les juges ont préféré ne pas travailler tant que la pression ne cesserait pas. Selon les juges, le 2 décembre fut une "journée noire dans l'histoire de la justice égyptienne".
L'Egypte serait-elle au bord d'une guerre civile ?
Aujourd'hui, l'Egypte traverse une période difficile. Les affrontements entre les opposants et les partisans du gouvernement actuel ont déjà fait des morts et des centaines de blessés. A neuf jours du référendum, l'opposition libérale s'efforce toujours de faire annuler le vote mais les Frères musulmans n'ont pas l'intention de reculer et veulent faire adopter à tout prix leur projet de loi fondamentale pour le pays.
Pour l'instant, toutes les forces politiques égyptiennes cherchent à l'éviter. Le mercredi 5 décembre, les représentants de l'opposition libérale unie ont déclaré qu'ils étaient prêts à dialoguer avec les autorités mais si Morsi reportait le référendum et annulait sa déclaration constitutionnelle.
Après plusieurs jours de confrontations violentes, le président égyptien a promis de s'adresser à la nation mais on ignore quand il le fera et comment il pourrait rassurer la population.
De toute évidence, les fruits de la révolution n'ont pas été aussi savoureux qu'on l’aurait voulu : la mésentente sociale et la situation économique égyptienne continuent de s'effondrer tandis que le gouvernement ne semble pas pouvoir contrôler la situation.
La situation touristique
Le déclin général a aussi touché le secteur le plus prospère de l'économie égyptienne : le tourisme. Même si les autorités se démènent pour maintenir l'ordre dans les régions touristiques, les signes de la crise qui s'est emparée du pays sont flagrants. Les touristes qui reviennent d'Egypte constatent que les territoires des hôtels ne sont plus aussi bien entretenus, que des gens à l’air obscur errent dans les rues des villes sans pour autant que l'on voie des policiers appelés à maintenir l'ordre.Les commerçants, autrefois souriants et avenants, qui acceptaient de faire des remises sur leurs marchandises, refusent de négocier en prétextant que les touristes sont de moins en moins nombreux - or leurs besoins sont plus élevés en raison de l'inflation dans le pays.
Quelle suite ?
Si la situation en Egypte échappait à tout contrôle, la communauté internationale se retrouverait avec un autre point chaud au Moyen-Orient alors que la région traverse déjà une période de troubles. Surtout, l'Egypte ne serait plus le pilier de la stabilité relative mais se transformerait en pays à l’avenir imprévisible. Et l'évolution de la situation pourrait suivre un scénario qui ne ressemblerait ni à la Syrie ni à la Libye, où les troubles étaient et sont alimentés de l'extérieur.
Il est possible que le printemps arabe en Egypte ait été partiellement orchestré par l'Occident. Cependant, la situation actuelle dans le pays n'est certainement pas le résultat d'un plan qui aurait mûri quelque part sur les rives du Potomac. C'est plutôt une réaction interne, ce qui la rend encore plus effrayante. Il reste à espérer que ce processus ne devienne pas irréversible, et que ce pays central dans la région ne s'immerge pas dans le chaos d'une guerre civile insensée et impitoyable.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.