Le 1er janvier 2002 en saluant l’événement d’une grande ampleur historique, à savoir la mise en circulation de l’euro (actuellement dans 17 pays européens), le ministre allemand des Finances de l’époque Hans Eichel a souligné l’importance de cette journée en ces termes. « C’est une journée historique ne fût-ce que parce qu’aujourd’hui il devient évident pour chacun ce que la réunification de l’Europe représente. C’est un grand projet contribuant à la prospérité de nous, les Européens, et à la paix au XXI siècle en Europe ». Mais au bout de seulement six ans il devient évident que l’Europe est condamnée à se heurter à des problèmes plus que graves sur le plan économique et financier, tant et si bien que les pronostiques actuels les plus pessimistes prévoient que la zone euro est sur le point de s’en aller en charpie.
Pour essayer de comprendre les raisons de cette perturbation et de mesurer la gravité de la situation actuelle dans l’Union européenne, j’ai demandé l’opinion du Responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Robert Schuman, Charles de Marcilly, qui a aimablement consenti à nous donner sa vision des choses.
LVdlR : Bonjour Monsieur ! Pouviez-vous nous éclairer, s’il vous plait, sur les fautes qui seraient commises par les créateurs de la zone euro qui ont provoqué la situation actuelle dans l’Union européenne ?
Charles de Marcilly : En pratique il faut essayer de comprendre de quelle Union européenne on parle. Est-ce que la crise actuelle souligne une incapacité de l’Union européenne des 27, Etats-membres à se coordonner ? Ou au contraire, est-ce plutôt une crise de la zone euro et à ce moment-là cela concerne les 17 Etats membres qui partagent la monnaie unique. On peut avoir deux visions différentes. Concernant l’ensemble de l’Union européenne, et c’est ce que la discussion actuelle sur le prochain cadre budgétaire pluriannuel 2014-2020 pose comme problème c’est d’avoir une coopération et une vision politique commune entre les différents Etats membres. On observe que les différences d’avancée, de développement, de vision politique de l’Union (plus d’agriculture, moins d’agriculture, quelle politique de cohésion, d’investissement…) sont assez disparates. En revanche, pour la zone euro c’est une problématique plus lourde. La crise de la zone euro, soulignée par la Grèce, et auparavant par l’Irlande ou le Portugal, explique, en fait, la difficulté de partager une monnaie commune et d’avoir des politiques nationales budgétaires, économiques, financières, fiscales, différentes. Aujourd’hui la crise relève que cette monnaie commune, doit être accompagnée de la la volonté de la gérer en commun. La crise actuelle montre que les pères-fondateurs dans un premier temps et puis après ceux qui ont créé l’euro avaient, peut-être pensé à tort ou à raison que le politique viendrait après l’économique. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il aurait été utile d’avoir une vision politique davantage coordonnée en même temps qu’une vision économique.
LVdlR : Le sommet récent dont la question clé portait sur le budget européen pour le septennat prochain n’a abouti à aucun résultat. Quels sont les divergences entre les membres de l’UE dans le domaine budgétaire ?
Charles de Marcilly : Dans le domaine budgétaire on observe plusieurs courants. Commençons par institutions européennes. La Commission européenne a proposé fin 2011 d’augmenter le budget global de 5,5 %. Le Parlement européen souhaite également qu’il y ait une augmentation du budget européen essentiellement pour avoir plus d’investissements notamment dans de grands projets et sur des questions telles que l’énergie ou l’éducation. Le Conseil européen, qui rassemble l’ensemble des Etats membres, montre une vision différente du budget. Il faut rappeler ici que l’on reconduit quasiment le même budget européen depuis 30 ans. Les Britanniques demandent d’avoir moins de budget, avec des coupes drastiques, bref, une réforme en profondeur de budget. Ils souhaitent toujours avoir ce qu’on appelle « le rabais britannique », la fameuse phrase de Madame Thatcher « I want my money back » qui signifie tout simplement qu’ils vont avoir une contribution complémentaire de la part de certains Etats membres. Ensuite, vous avez deux ou trois grands groupes: un groupe qui va pousser à une sorte d’austérité qui rassemble les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et d’autres. Un groupe qui, au contraire, ne veut pas avoir de coupes budgétaires lourdes, et appelle à davantage de solidarité. Ce sont plutôt les Etats membres qui travaillent autour de ce qu’on appelle le pacte de cohésion (les aides qui sont apportées à des Etats pour se développer : pour financer des autoroutes ou des écoles, ou améliorer l’économie). Ce groupe, composé de pays récemment entrés dans l’Union, est piloté par les Polonais qui sont un pays assez grand, plus de 40 millions d’habitants. Et puis vous avez un troisième groupe, un groupe de leaders, dans lequel vous avez des Allemands qui restent un peu discrets, et qui sont les premiers contributeurs nets. La France joue une partition un peu isolée en poussant pour que la participation dans le budget à allouer à la politique agricole commune soit la même alors que ce point de vue n’est pas unanimement partagé. Ces divergences ont été mises en lumière la semaine dernière puisque le Conseil n’a pas réussi à trouver un accord et ils vont se revoir début 2013 pour essayer d’obtenir une vision commune de ce futur budget.
LVdlR : Quels moyens de la sortie de la crise les dirigeants de l’UE donc visent à mettre en jeu ?
Charles de Marcilly : Une nouvelle fois il faut voir de quelle crise on parle. Si c’est une crise aujourd’hui due à l’austérité qui touche la plupart des Etats membres ou si c’est une crise qui est propre à la zone euro. Evidemment les remèdes sont différents. De façon générale l’Union européenne s’est aperçue qu’il y avait une crise non pas forcement au niveau économique global parce que il y a de certaines économies qui fonctionnent plutôt bien, par exemple, l’Allemagne, mais surtout qu’il y avait un manque premièrement de coordination des politiques économiques, ça c’est au niveau global. Des dispositions ont été prises au niveau financier ou budgétaire avec notamment ce qui s’appelle « le Six pack » qui était voté au Parlement européen et proposé par la Commission européenne en 2010. Il s’agit d’avoir des règles communes plus fortes. On dispose d’un ensemble d’éléments qui permettent à la Commission européenne de regarder les budgets des Etats membres et de s’assurer que ces budgets vont rester dans les chiffres imposés par Maastricht, c’est les fameux trois pour-cent de déficit autorisés. Vous avez l’obligation par les Etats membres de présenter leur budget à leurs partenaires. Evidemment les autres ont un avis consultatif et pas formel sauf pour la Commission européenne qui peut demander d’avoir des réformes ou des modifications du budget et ça c’est une vraie nouveauté car elle contraint les Etats à mieux respecter les règles.
Le deuxième point qu’on peut voir c’est sur les questions qui sont propres à la finance. Evidemment on va avoir une réglementation financière plus forte en termes de transparence et de responsabilités. On l’appelle l’ensemble de directives qui vont pousser vers le contrôle des institutions financières et bancaires.
Enfin, un dernier point. C’est évidemment si on partage une monnaie en commun pour les 17 membres de la zone euro, c’est d’avoir des autorités qui puissent aller plus loin. Et c’est donc les pouvoirs renforcés de la Banque centrale européenne qui demain lui permettront d’être encore plus présente sur les marchés.
LVdlR : La Grèce vient de recevoir une tranche séquentielle. Vous croyez que c’est une solution du problème ou bien ce n’est qu’un succès temporaire ?
Charles de Marcilly : Il faut bien comprendre que la Grèce est un peu un cas unique. Unique dans l’histoire par les montants qui sont demandés, par les montants qui sont proposés, unique aussi au sein de la zone euro et de l’Union européenne puisque qu’on s’aperçoit qu’ils sont rentrés dans l’UE puis après dans la zone euro sur les chiffres qui étaient faux. Probablement, il y a eu à l’époque un manque de contrôle de la part des institutions européennes et des Etats membres lorsqu’ils ont accepté que la Grèce puisse intégrer la zone euro, puisque vraisemblablement ils ne respectaient pas les critères puis leurs engagements. On s’aperçoit que plus qu’une crise économique ou budgétaire c’est une crise d’Etat. Le problème est que la Grèce n’a pas d’Etat qui fonctionne correctement, et qu’il n’arrive pas à mettre en œuvre les mesures qui sont préconisées. Alors évidemment il y des promesses, il y a des engagements mais derrière on peut s’interroger sur les avancées réelles qui ont été faites depuis 2008. Il est positif que les Etats membres puissent de nouveau apporter leur soutien, avoir une réflexion au sein de la Banque centrale européenne pour savoir comment accompagner la Grèce mais il faut avoir des réformes beaucoup plus significatives en Grèce pour lui permettre de se relancer. Je sais que c’est difficile à comprendre puisqu’on voit les Grecs qui sont dans la rue, qu’on voit un ensemble de personnes qui ont peur de l’avenir, qui ont faim mais à côté on a encore un Etat lourd, inadapté, avec un poids de dépenses publiques sont mal ajustées. Il faudra encore réfléchir comment accompagner la Grèce de façon plus structurelle.
Il semble que les pères-fondateurs de la construction européenne auraient du penser plus globalement à la composante politique de l’Union à venir. C’est maintenant qu’on commence à y penser. Mais la récente tentative tardive de transformer l’Union européenne à un Etat-fédération sous forme de la Constitution pour l’Europe n’a pas eu de succès. Dans le contexte d’une crise totale les Européens, se permettront-ils de reprendre cette tentative et de faire passer l’unité de l’Europe à un niveau plus élevé ?