Jacques Sapir n’est pas à présenter. On le connaît pour un grand économiste, fin connaisseur de la zone européenne et des engrenages intrinsèques des relations russo-européennes avec toutes ses raisons sous-jacentes et ses arguments camouflés.
Donc las d’attendre le sommer entre l’UE et la Russie qui tombe le 21 Décembre, nous avons décidé d’anticiper sur les événements en nous livrant à une réflexion sur les tenants et les aboutissants de cette crise de confiance qui s’installe entre Moscou et Bruxelles. Il est vrai que les Russes n’apprécient guère les initiatives militaires de l’OTAN fermement soutenues par la France qui a récemment renoncé à sa souveraineté militaire. Il est également notoire que les Russes ne sont pas aimés dans tous les pays de l’Europe Occidentale et on en comprend les raisons historiques que nous a exposées dernièrement Roger Holeindre. Mais on constate que vingt années après la disparition de l’Union Soviétique le climat ambiant en Europe ne change absolument pas. Les Européens restent très vigilants à l’égard de la Russie et massacrent les Russes à travers leurs masses-média en présentant une image risible et défigurée. Personne ne s’intéresse à la vérité. Les événements sont passés sous silence ou c alomniés de façon ostentatoire. Une journaliste française se disant de la droite a nommé, par exemple, l’invasion de l’Ossétie par l’armée géorgienne « une victoire dans la guerre éclair ». En fait la guerre a été menée contre les civils endormis et les Casques bleus. Au contraire les Russes sont toujours traités d’agresseurs. Des gros méchants pleins de soupe qui massacrent les nounours, se gavent de caviar et carburent au pétrole.
L’ennui est que, la crise oblige, les gens sont obligés de revoir leurs classiques. Mais les politiques continuent de camper sur leurs positions respectives un peu comme le Vatican qui n’a reconnu que dans les années 90 du vingtième siècle que c’est bien la Terre qui tourne autour du soleil et pas le contraire.
A titre de conclusion nous avons supposé que la Russie ait peut être tort de soutenir si fermement la devise européenne surtout quand les citoyens russes sont obligés de geler régulièrement à l’entrée des ambassades des pays occidentaux pour se procurer un malheureux visa de touriste.
Mais comme toujours nous avons tenu à attirer dans notre orbite un expert qui est cette fois-ci le docteur ès sciences économiques Jacques Sapir :
La Voix de la Russie. Monsieur Sapir, on vous salue sur nos ondes. J’aurais aimé vous poser plusieurs questions concernant les relations entre la Russie et l’UE. Il va-t-avoir une réunion, un sommet entre l’UE et la Russie au cours du mois de décembre. On se demande s’il y a une dynamique ou pas. Par exemple, la Russie essaie de faire des pas en avant pour abolition des visas avec l’Europe. Les politiques européens ne pipent pas mot. Existe-t-il des raisons objectives d l’ordre économique, politique ou autre pour expliquer ce mutisme obstiné ? Ou je me trompe d’objectif ?
Jacques Sapir. Il n’y a pas de raison à refuser la demande de la Russie pour passer à un régime très simplifié pour les visas comme par exemple, ce qui existait avant le 11 Septembre 2011 pour les Etats Unis où un visa pour trois mois on le prenait dans l’avion ! Le problème est que si l’Union Européenne peut se servir de la question des visas pour pénaliser la Russie sur différents dossiers : on peut penser à la question syrienne ; on peut penser aussi aux relations parfois difficiles entre l’UE et Gazprom. Bref, si l’UE prétend pénaliser la Russie sur ces questions-là, elle se pénalise elle-même en réalité! Et c’est cela, me semble-t-il que les dirigeants européens ne comprennent pas ! Il y a aujourd’hui beaucoup plus d’Européens, de Français, d’Allemands, d’Anglais, d’Italiens, etc. qui souhaitent aller en Russie ! Que ce soit pour les affaires ! Que ce soit pour des tâches d’enseignement ! Que ce soit pour du tourisme ! Qu’il n’y a en réalité des Russes qui souhaitent venir en UE ! Parce que l’on sait qu’une partie de ces Russes qui sont des gens très riches, vont utiliser d’autres circuits pour obtenir leur visa et les auront de toutes les manières ! t donc dans cette situation on va en réalité pénaliser des gens productifs de l’UE : des hommes d’affaires, des enseignants d’aller en Russie. Cela me semble profondément illogique.
LVdLR. Les Russes déclarent de vouloir soutenir la devise européenne. En tout cas, il y a M.Medvedev, premier ministre russe qui s’est prononcé de la sorte juste avant sa visite officielle à Paris. Qui plus est, une partie d’avoirs de la Fédération de Russie est toujours en euros. Jusqu’à 30 p.c. si je ne m’abuse ! La Russie, d’après vous a-t-elle raison d’investir sa confiance dans le système financier européen ou vous soutenez le contraire ?
Jacques Sapir. Tout d’abord il faut rappeler que la position du Premier Ministre est la position constante de la Russie depuis le début de la crise ouverte de l’euro. Depuis début 2010, la Russie a toujours dit qu’elle voulait soutenir la devise européenne et on en comprend les raisons. En réalité, c’est parce que l’existence de l’euro offre à la Russie une alternative par rapport au dollar. Maintenant est-ce que c’est justifié ? Oui, d’un point de vue politique. C’est évident ! D’un point de vue économique, il faut rappeler ici que la Russie détient à la fois des titres de dettes en euros. C’est-à-dire, grosso modo, des émissions des titres allemands, français, etc. Et que si jamais l’euro éclatait, ces obligations seraient entièrement relibellées ou redénominées dans la monnaie du pays d’origine. Compte tenu du fait que ceci s’accompagnerait d’une très forte surévaluation du Deutsche Mark, du Florin hollandais ; du mark finlandais et probablement d’une très légère dévaluation du franc et d’une dévaluation beaucoup plus importante pour l’Espagne, la lire italienne, etc., je pense qu’aujourd’hui le coût pour la Fédération de Russie serait nul.
Mais évidemment on voit bien que le problème essentiel, c’est que l’euro pour l’instant est la seule monnaie qui soit capable de s’opposer, même faiblement ! parce qu’il faut rappeler que le dollar reste malgré tout la monnaie dominante du système monétaire international ! et que cela pose un problème à la Russie.
Je pense que les dirigeants russes sont parfaitement conscients des problèmes structurels qui existent dans la zone euro. Je pense qu’ils comprennent qu’ils ont, malheureusement, assez peu de moyens de pression sur cette crise. Mais ils sont aussi tout à fait conscients des problèmes que le dollar peut poser. Et quand on est confronté à un problème déjà sur le dollar, évidemment on a plutôt envie que survive l’autre monnaie de réserve importante au niveau international. C’est l’euro !
Fondamentalement je pense que pour la Russie comme pour beaucoup de pays de ce point de vue-là - Le cas de la Russie n’est absolument pas unique ! C’est aussi un problème pour la Chine et pour d’autres pays émergeants ! – je pense que le problème pour la Russie serait plutôt d’essayer de faire évoluer ou de susciter dans les années qui viennent une autre monnaie de réserve. »
On voit bien que la Russie est un peu prise en porte à faux entre le dollar et l’euro. Mais la conjoncture est telle que c’est l’Europe qui croyait prendre est plutôt prise, elle ! Donc les Russes peuvent construire de nouvelles alliances qui ne seraient pas forcément européennes comme Vladimir Poutine l’a déclaré récemment.