La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XXIII, la Bérézina

La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XXIII, la Bérézina
La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XXIII, la Bérézina - Sputnik Afrique
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Alors que la bataille de Krasnoé se terminait par une retraite inespérée, et par le retour miraculeux de Ney avec un millier de survivants hâves et transis, Napoléon est face à un nouveau défi, il va falloir passer la Bérézina. C’est probablement en France le passage le plus célèbre de la campagne et le plus dramatique, au point qu’une expression française est passée dans le langage courant : « c’est la Bérézina »….

Pourtant, et peu d’historiens ont eu le courage de le dire, la Bérézina fut certes un épisode épouvantable de la campagne, mais ce fut aussi… une victoire française et nous pouvons le dire un véritable miracle, le miracle de la Bérézina. C’est une histoire, loin des manuels éculés que l’histoire de cette bataille. Lorsqu’elle se profile, l’Empereur Napoléon était sur le point avec les débris de son armée de se trouver complètement anéanti, lui et son armée. Malgré l’arrivée des corps de Victor et Oudinot qui se profilait, les lambeaux de la Grande Armée étaient en danger de destruction totale.

Car sur les arrières de l’Armée, Vitebsk et Minsk étaient tombés au pouvoir des Russes, qui repoussèrent les Polonais de Dombrowski et de Bronikowski, ne comptant que 4 800 hommes. Le 21 novembre, un émigré, Charles de Lambert s’emparait même du seul pont sur la Bérézina, une improbable construction sur pilotis longue de 600 mètres. Il était l’avant-garde de l’armée de l’amiral Tchitchagov, tandis qu’arrivait également à la curée, l’armée de Wittgenstein ainsi que la force principale, l’armée de Koutouzov. La route était coupée et les Français désormais encerclés par une force trois fois supérieure en nombre, sans compter les milliers de traînards hagards, et les milliers d’attelages divers encore restant et alourdissant la retraite.

La bataille pouvait commencer. Dès le 22 novembre, les préliminaires s’engagent par l’attaque des forces de Lambert par le corps d’Oudinot. Il est trop faible, « en l’air », Tchitchagov a été imprudent, Lambert est enfoncé, la localité de Borissov tombe aux mains des Français, les Russes surpris, laissent un millier de prisonniers, 6 canons, des centaines de chariots emplis de vivres et de vêtements, autant de soulagements pour les Français en guenilles. Tchitchagov doit se replier, Lambert est grièvement blessé, les Français viennent de prendre l’une des rives et l’accès au pont mais ils ne peuvent déboucher, le pont a été coupé à deux endroits.

Le miracle vînt d’un cavalier, le général Jean-Baptiste Corbineau qui à la tête d’une brigade de cavalerie légère avait trouvé un gué et un passage non encore gelé, sur la Bérézina près de Stoudienka, 40 kms au sud. Le 23 novembre, lorsque Napoléon l’apprend, il dirige immédiatement ses forces et expédie le général Eblé, commandant des pontonniers, sans équipage de ponts, qui avaient été imprudemment brûlés. Dans le danger extrême, toutes les maisons et izbas sont détruites pour fournir en poutre, ceux qui vont sauver l’armée. C’est également à ce moment que de nombreux aigles sont enterrés, et les drapeaux cachés sur les poitrines. Un « escadron sacré » formé des derniers cavaliers est constitué pour protéger l’Empereur, le moment est décisif. Il faut vaincre ou mourir…

Une fois encore, un allié inattendu se présente, il s’agit de Koutouzov… les ordres qu’il donne retarde la marche de Wittgenstein et de Tchitchagov, qui sont également trompés. Le dernier sera le bouc émissaire de ce rendez-vous manqué. Car personne ne peut croire que Napoléon puisse traverser la Bérézina et sa zone marécageuse, les Russes s’attendent donc à un changement de direction, et ils ne veulent pas manquer l’Empereur. Il ne doit et ne peut s’échapper. C’est l’hallali. Durant les journées du 24 et du 25 novembre, les mouvements français font croire à Tchitchagov que le passage aura lieu à Bérézino, il concentre donc ses troupes sur ce point, sans se douter que les Français commençaient la construction de deux ponts près de Stoudienka.

Le 26, deux ponts ont été jetés sur la Bérézina, par les héroïques pontonniers, la traversée commence, une centaine de caissons d’artillerie et une quarantaine de canons, mais il y en a encore à cette date 250. La neige qui commence à tomber masque encore plus la manœuvre. Les ponts sont fragiles, les pontonniers doivent à plusieurs reprises intervenir, et le long défilé de la Grande Armée commence. Ce sont au départ, les troupes encore en ordre, après Oudinot, Ney traverse, puis Junot et Poniatowski, la Garde Impériale et Napoléon. Mais ensuite vient une foule, celle des trainards, des hommes décharnés, hâves, aux longues barbes, désarmés pour la plupart et apeurés. Ils sont des milliers.

Davout et le Prince Eugène traversent le 27 novembre, derrière, il ne reste quasiment plus aucune troupe en ordre. Ce jour-là, Tchitchagov, lui-même épuisé par les marches forcées arrivait enfin et se heurta à Borissov aux français de Victor, la division Parthouneaux. Elle se maintînt assez longtemps pour repousser les premières attaques mais au matin du 28, dû se rendre, les forces de l’armée de Wittgenstein arrivaient pour l’assaut. La vraie bataille pouvait commencer, elle fut féroce. Les trainards épuisés, sans force et sans chef, étaient restés sur la berge pour se reposer, et aussi piller les fourgons qui étaient abandonnés en nombre devant l’impossibilité de continuer. Rien, pas même les exhortations de quelques officiers n’a pu les faire traverser, ils ont préféré bivouaquer par millier sur la berge.

Le lendemain, lorsque les premiers coups de canons russes tombent sur la tête de pont, la foule se réveille…La cohue immense se précipite sur les ponts, les hommes sont écrasés, broyés sous les attelages, poussés dans les eaux glacés par centaine, et le premier pont lâche… le second est mis à rude épreuve. Pendant ce temps alors qu’Oudinot a été blessé, Ney fait face aux russes de Tchitchagov sur la rive Ouest. Les Français n’ont plus le choix, un régiment de cuirassiers réalise une charge folle, à travers bois, les Russes sont enfoncés, la vieille Furia Francese reprend ces droits, 1 500 russes sont faits prisonniers, le reste est dispersé ou tué, les Polonais se couvrent de gloire, la menace est repoussée. Sur la rive Est, à un contre cinq, le Maréchal Victor repousse également les assauts de Wittgenstein, et réussit même à reculer et à traverser le dernier pont dans la nuit du 28 au 29.

Les combats désespérés des Français acculés, permirent aux dernières pièces de traverser, et puis l’ordre fut donné de faire sauter le dernier pont. Il restait encore plus de 10 000 trainards devant les accès de l’ouvrage qui étaient couvert de morts. Ceux qui s’élancèrent à ce moment furent tués par l’explosion, le reste fut abandonné à l’ennemi avec un incroyable amas de charrettes, fiacres, fourgons et berlines, calèches et chariots de paysans qui étaient encore chargés de l’énorme butin pris à Moscou ou ailleurs. Napoléon avait échappé à l’anéantissement, le miracle de la Bérézina avait eu lieu. Il avait coûté cher en vie, 40 000 hommes et 200 canons avaient pu se dégager, et de 25 à 40 000 avaient été tués, blessés et pour la plupart prisonniers. Les russes laissaient sur le champ de bataille, 6 000 morts et blessés, preuve de la défense opiniâtre des combattants français.

L’histoire n’aura retenu de ce moment que le tragique, d’un épisode impressionnant, qui deviendra le symbole de la défaite des Français dans l’historiographie française. En Russie, cet épisode est relativement inconnu. Le Tsar entra dans une nouvelle colère à l’annonce incroyable de la fuite de Napoléon, n’importe quel général regardant une carte de la situation ne pouvait que s’étonner que l’Empereur des Français ait pu se dégager, encerclé comme il l’était dans une région hostile et marécageuse, devant traverser un courant d’eau sans équipage de pont… Il y avait de quoi en effet être furieux. La foudre tomba sur l’amiral Tchitchagov, il avait quelques responsabilités, mais pas beaucoup plus que Wittgenstein et Koutouzov.

Il ne fut réhabilité que bien plus tard… bien après sa mort. Accusé, chassé, il s’était exilé… en France, puis en Angleterre devenant citoyen britannique, avant de mourir à Paris sans avoir jamais revu la Russie en 1849, triste destin d’un homme, qui était pourtant un vrai patriote. La prise de Napoléon à la Bérézina et la destruction de son armée eut sans aucun doute changé bien des choses dans l’histoire. Qui pourrait dire ce qu’Alexandre 1er aurait fait et quelle paix serait sortie d’un tel événement ? La retraite qui continue devait être encore jalonnée de beaucoup de drames et la route jusqu’au Niémen était encore très longue, le drame de la retraite de Russie était loin d’être terminé.

Griois raconte dans ses mémoires le fameux et terrible passage :

« De quel poids je me sentis soulagé en le traversant ! La sensation que j’éprouvai ressemblait à celle d’un malheureux qui recevrait sa grâce en marchant au supplice. J’étais presque seul sur le pont tant l’accès en devenait difficile. Il s’élevait peu au-dessus de la surface de l’eau, de sorte que les cadavres, portés par le courant s’y trouvaient arrêtés parmi les glaçons que charriait la rivière. Un grand nombre de chevaux dont les cavaliers s’étaient noyés venaient appuyer leur tête sur le plancher et restaient là, tant que leurs forces leur permettaient de se soutenir sur l’eau, ils garnissaient un côté du pont dans presque toute sa longueur. Lorsque que j’avais gagné le pont grâce au secours des pontonniers, une cantinière, portant un enfant dans ses bras, avait eu l’idée de s’accrocher à la queue de mon cheval et de partager ainsi ma bonne fortune. Ce ne fut qu’à la sortie du pont que je m’aperçus du signalé de service que je lui avais rendu sans le savoir, et je n’oublierais jamais l’accent pénétré avec lequel elle me dit, en me quittant qu’elle me devait la vie et celle de son enfant, et l’insistance qu’elle mit à partager avec moi un morceau de sucre qui lui restait encore. Je me reproche de l’avoir accepté, il lui était sans doute plus nécessaire qu’à moi, mais elle me semblait si heureuse de me l’offrir, et ce cadeau était si précieux dans le moment que peu de gens à ma place eussent eu, je crois, la force de refuser».

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