La décision est argumentée par « l'insuffisance du support technique de la part d'Israël » et « l'inutilité » des drones. Les experts estiment cependant que les raisons véritables se trouvent plus en profondeur. Elles tiennent à l'ensemble des relations entre les deux pays. En voilà l'opinion de Jelaleddin Yavuz, vice-président du Centre d'études stratégiques et internationales, colonel à la retraite des forces armées turques, docteur ès sciences politiques et professeur :
« La Turquie a acheté à l'époque en Israël quelque 10 drones Heron pour 15 millions de dollars. Mais ils restent inactifs pendant huit mois. Il y a un problème de leur réparation et entretien technique. C'est tout à fait correct de renvoyer ce qui n'est pas utilisé. Mais il est difficile de dire comment cela se passera en réalité. La décision des autorités turques peut être envisagée comme l'intention de mettre un terme à la coopération avec Israël en ce qui concerne l'achat de drones. En plus, la Société turque de l'industrie aéronautique et spatiale réalise des travaux de construction de ses propres drones. Dans deux ans environ les forces aériennes turques seront dotées de drones fabriqués en Turquie».
Cette situation reflète d'une certaine façon l'état actuel des relations entre la Turquie et Israël. En 2009 le « Livre rouge », document confidentiel sur la politique de sécurité nationale de la République turque, reconnaissait Israël comme unique adversaire de la Turquie. Cependant les relations entre la Turquie et ses trois voisins – l'Iran, l'Irak et la Syrie – ont radicalement changé depuis. Dès qu'Ankara a tourné le dos à Tel Aviv, des différends insurmontables avec les voisins ont vu le jour.
« Tel Aviv n'a pas ménagé les efforts pour enfoncer un coin entre la Turquie et ses voisins. Pourtant ce n'est pas seulement le résultat des activités du gouvernement de Netanyahu. Un grand rôle a été joué par le lobby juif des Etats-Unis et par l'administration d'Obama. Conscients de l'impossibilité d'imposer à Ankara l'amitié avec Tel Aviv, ils ont conjugué les efforts pour exclure toute possibilité d'adhésion de la Turquie à toute coalition anti-israélienne. Il est difficile d'imaginer une union anti-israélienne de la Turquie, de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie. Ce qui fait aggraver l'état déjà déplorable des relations entre la Turquie et Israël».
Arye Gut, politologue israélien et conseiller de l'ambassadeur de Turquie en Israël de 2006 à 2008, estime qu'il est précipité de parler d'une séparation définitive des deux pays. Il est convaincu qu'Israël et la Turquie ont objectivement besoin l'un de l'autre :
« Les relations turco-israéliennes ne sont pas seulement 60 ans de rapports officiels entre les deux pays, mais aussi 500 ans de bonnes relations entre les deux peuples. Maintenant la situation s'est compliquée dans la région. La Turquie a besoin d'Israël autant qu'Israël a besoin de la Turquie. Celle-ci a toujours été pour Israël un partenaire militaire et économique important. La direction turque doit privilégier les intérêts nationaux de son pays et non pas ses ambitions personnelles».
La Turquie doit prendre en considération le grand poids dont Israël bénéficie dans les arènes régionale et internationale. La direction israélienne, pour sa part, voudrait redonner du souffle aux relations bilatérales. La Turquie y est également intéressée. Nous constatons que la situation en Syrie dégrade. La Turquie soutient les forces anti-Assad, mais, d'autre part, des forces relèvent la tête qui présentent une menace à la sécurité de la Turquie. Ce sont des organisations liées aux séparatistes kurdes. Durant des décennies Israël accordait à la Turquie le soutien multiple dans la lutte contre ce problème, il a toujours été son allié et continue de se tenir à des positions pro-turques là-dessus. Selon Arye Gut la direction des deux Etats doit comprendre que les rapports étroits entre les deux pays ne doivent pas s'interrompre parce qu'ils n'ont pas d'alternative.