Après une manifestation organisée vendredi dernier par les membres de la secte égyptienne ultraconservatrice des salafistes, des affrontements ont eu lieu entre les manifestants et leurs opposants au Caire.
Le conflit entre les libéraux et les salafistes a débuté quand les manifestants ont dispersé leurs troupes à l'issue du rassemblement de vendredi, qui visait à soutenir l'établissement de la charia. Les salafistes ont déjà manifesté deux vendredis de suite pour cette cause. Cependant, contrairement à la semaine dernière qui a connu un taux de participation relativement bas, près de 10 000 personnes ont manifesté cette fois-ci.
"Le peuple souhaite l'accomplissement de la loi divine", scandaient les manifestants.
Les manifestants exigeaient également la démission du grand imam Ahmed al-Tayeb, de l'université al-Azhar, car quelques semaines auparavant la direction de l'université et les salafistes avaient eu des différends concernant l'article 2 du projet de nouvelle constitution.
L’université insiste sur le maintien, sous sa forme actuelle, de l'article 2 de la constitution de 1971 : "Les principes de la charia sont la source principale de la législation". Les salafistes souhaitent remplacer l'expression "principes de la charia" par la formule "droit islamique ou lois de la charia". En pratique, cela signifierait l'adoption de sanctions médiévales, à l'instar des châtiments appliqués en Arabie saoudite et en Iran.
Les musulmans modérés estiment que ces mesures, qui incluent la lapidation des femmes infidèles et l'amputation des bras aux voleurs, sont trop cruelles et ne sont pas dignes d'une société civilisée contemporaine. Parmi les opposants aux mesures punitives, on compte les leaders du Parti de la liberté et de la justice - aile politique des Frères musulmans -, qui ne veulent pas voir l'Egypte se transformer en un "Etat théocratique" et souhaitent la mise en place d'une démocratie laïque.
De plus, la direction de l'université a rejeté la proposition des salafistes de l'Assemblée constitutionnelle – une commission de 100 membres chargée de rédiger une nouvelle constitution - au sujet de l'élection du grand imam de l'université pour deux mandats maximum et l'établissement d'un âge limite (75 ans).
Les manifestants exigeaient également la démission du procureur général nommé par Hosni Moubarak, Abdel Meguid Mahmoud, qui résistait au cours des dernières semaines aux tentatives du président Mohamed Morsi de le démettre de ses fonctions. Morsi lui a proposé le poste d'ambassadeur au Vatican.
Abdel Meguid s'est attiré les foudres de millions d'Egyptiens après l'acquittement des partisans de Moubarak ayant participé à la "bataille des chameaux", qui avait éclaté sur la place Tahrir le 2 février 2011 alors que des personnes, à chameau et à cheval, avaient percuté la foule des manifestants. Cette attaque avait semé la panique et provoqué des dizaines de blessés. L’événement a marqué un tournant dans l'insurrection populaire, qui a été suivie du renversement du président Moubarak - il n'a fait que renforcer la détermination des manifestants à renverser le régime.
Les partisans des Frères musulmans se sont abstenus de participer à la manifestation de vendredi, obéissant à l'appel des leaders de ce mouvement modéré - bien que conservateur - à ne pas descendre dans la rue. Le président islamiste Morsi a appelé les manifestants à ne pas
"se concentrer sur les détails susceptibles de diviser la population" mais à "faire tous les efforts possibles pour rétablir le pays".
La confusion politique qui dure depuis des mois a fait beaucoup de tort à l'économie égyptienne. La manifestation de vendredi illustre à nouveau que la population du pays est idéologiquement divisée. Les libéraux s'inquiètent de plus en plus du fait que l'Egypte ne va pas dans la bonne direction et beaucoup nourrissent des doutes concernant la véritable position des Frères musulmans au sujet des lois de la charia.
Les réseaux sociaux débordent de commentaires cyniques, adressés à ce mouvement arrivé au pouvoir après une révolution menée par d'autres. "Les Frères musulmans cachent leurs plans islamistes", écrit sur Facebook un homme d'affaires égyptien. "Il ne faut pas les croire : ils disent une chose mais font complètement l'inverse", déclare sur sa page Facebook Yasmin Amin, diplômée d’études islamiques à l'université américaine du Caire.
Les différends idéologiques autour de la constitution qui déterminera le visage de l'Egypte pour les prochaines années, n'ont fait que creuser le fossé entre les islamistes radicaux d'une part, les libéraux et les chrétiens de l'autre.
Ces derniers mois, la tension est encore montée après une série d'attaques des islamistes sur les unités des forces de sécurité déployées dans la péninsule du Sinaï. La dureté du conflit est alimentée par des rumeurs selon lesquelles le Qatar et des combattants financés par l'Iran avaient l'intention de fonder, dans la région frontalière déserte, un émirat islamique. Comme aucun progrès n’est en vue, beaucoup se posent la question: ou ce conflit pourrait nous entraîner ?
Shahira Amin, journaliste égyptienne, ancienne vice-directeur de la chaîne nationale égyptienne Nile TV, l'une des principales chaînes du pays