Pirates russes : des droits d'auteur à l'activité politique

© Photo Pirate Party of RussiaPavel Rassudov et Stanislav Chakirov
Pavel Rassudov et Stanislav Chakirov - Sputnik Afrique
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Le mois dernier, un officier de marine à la retraite, dégarni, musclé, tatoué et piercé, s'est présenté à l'élection municipale de Kaliningrad sous les couleurs du Parti pirate russe.

Le mois dernier, un officier de marine à la retraite, dégarni, musclé, tatoué et piercé, s'est présenté à l'élection municipale de Kaliningrad sous les couleurs du Parti pirate russe.

Dmitri Evsioutkine n’a obtenu que 2,7% des voix, soit environ 2.000 électeurs. Cependant, les dirigeants du parti non enregistré estiment que c'est un bon résultat pour une première fois.

"Certains électeurs disaient même qu'ils ne connaissaient pas Evsioutkine mais qu'ils étaient venus soutenir son programme", a déclaré à RIA Novosti Stanislav Chakirov, vice-président du Parti pirate russe.

Le Parti pirate russe, créé pour lutter contre les droits de propriété intellectuelle, accorde aujourd’hui moins d'attention à cette lutte et donne la priorité aux questions qui ne sont pas associées au web, comme la transparence du gouvernement, la censure et même le nettoyage des rues.

Bien que ce parti ne soit pas la première organisation politique pirate du monde dotée d’un tel ordre du jour, cette initiative pourrait avoir un impact important et de long terme sur la scène politique russe, déjà mouvementée.

Ce parti, proposant un ordre du jour pertinent, ne rappelle en rien les habitudes politiques ordinaires. C’est pourquoi ses membres sont capables d’attirer les citadins jeunes et instruits, principal moteur des récentes manifestations. En effet, cette catégorie de population ne fait toujours pas confiance à la majorité des hommes politiques de l'opposition. "Actuellement, nous devons simplement convaincre les gens que les "torrents" ne sont pas notre seul cheval de bataille", ont déclaré les membres du Parti pirate en interview.

"Parti populaire"

Le parti pirate russe a lancé un défi au gouvernement, la semaine dernière, en lançant un service permettant d’accéder aux sites inscrits sur la liste noire du gouvernement, supposés nuisibles pour les mineurs. Selon les pirates, cette nouvelle pratique de l’Etat est une forme de censure.

Ce n'est la première attaque que le parti mène contre le gouvernement. L'année dernière, le site Ruleaks.net - la version russe de Wikileaks -, soutenu par les pirates, a publié des photos de la luxueuse villa de Poutine, datant de l'époque où il était premier ministre. Les représentants de Poutine ont rejeté ces allégations. "On ne nous a pas tapé sur les doigts pour ça mais ils ont essayé de nous intimider en nous mettant sous surveillance", déclare Stanislav Chakirov. Il souriait comme s'il ne croyait pas que dans le monde réel les gens puissent être surveillés.

Les membres du parti pirate cherchent également à coopérer avec le gouvernement. Dans l'ensemble, cette coopération se réduit à l'envoi d'innombrables lettres et plaintes au sommet de l’Etat. Seul le ministère de la Communication exprime pour l'instant sa volonté de concevoir les idées du parti.

Le Parti pirate russe prône un contrôle plus efficace du système bureaucratique hypertrophié, qui ne dessert que ses propres intérêts, ainsi qu'une participation publique plus active dans les questions de gestion.

Le parti refuse de professer une idéologie précise. Au lieu de quoi il se présente comme un "parti populaire", qui propose des "actions réelles". Notamment en termes de transparence et de contrôle public mais ces questions ne sont pas exclusives.

M.Rassoudov a 29 ans, il est diplômé en psychologie. M.Chakirov, 25 ans, est informaticien. Les deux responsables du parti ne ressemblent pas aux autres hommes politiques et ne se comportent pas non plus comme eux. Ils préfèrent rester discrets. Rassoudov et Chakirov préfèrent diriger l’organisation d'une manière calme et détendue. Leurs communiqués comportent le mot "Caramba!". Cette pratique est très différente des rassemblements antigouvernementaux à Moscou.

Ce mouvement, issu de l'activité apolitique au niveau local, est en grande partie dirigé par des hommes politiques professionnels. Les manifestants comme le Kremlin les accusent souvent de faire ainsi de la publicité pour leurs propres intérêts, mais aussi d’entretenir des ambitions excessives et de manquer d'un ordre du jour pratique.

Une loi plus libérale sur les partis – un compromis du Kremlin – a entraîné la formation de dizaines de nouveaux groupes politiques cette année. Cependant, aucun d’entre eux n'a de marque commerciale aussi forte que le Parti pirate russe, qui a l'intention de se faire enregistrer auprès du ministère de la Justice. Leur position floue sur les questions stratégiques pourrait également leur être bénéfique, étant donné que les questions idéologiques ont peu d'impact dans la politique moderne, a déclaré à RIA Novosti Sergueï Mikheev, du Centre de conjoncture politique.

Les entités laissant la priorité aux questions pratiques, y compris le Parti pirate, le Parti des retraités ou les associations puissantes d'automobilistes, ont plus de chances d'attirer les voix des électeurs sceptiques que les partis prônant de vieux modèles idéologiques "standard", déclare le politologue indépendant Artemi Pouchkarev.

La campagne électorale grâce aux jeux vidéo

Le Parti pirate russe, qui fait partie des 28 membres du Parti pirate international, a été créé en 2006. Pour commencer, en imitant le Parti pirate suédois, ses membres ont tenté de lutter contre la loi sur les droits d'auteurs. Il a subi plusieurs changements depuis. Son fondateur, Ilia Kravtsov, vit aujourd'hui au Somaliland. Il y met en œuvre des programmes d'enseignement et travaille dans les affaires. Il n'est pas partisan des pirates de mer de la vieille école.

La direction du parti a surmonté l’obstacle du "lobby pirate conservateur" et a inclus, dans son programme, des termes tels que la transparence et la démocratie représentative, qui n'ont rien à voir avec internet. Tout cela a été préparé pendant un congrès important en 2012, déclare M.Rassoudov. "Telle est notre position sur diverses questions", a déclaré M.Chakirov.

"Nous sommes la première génération postsoviétique, la première qui n'a pas subi un lavage de cerveau… et on estime que le gouvernement doit être au service de la population - et non pas le contraire", dit-il.

Le parti existe principalement grâce à l'enthousiasme de ses partisans et les cotisations de ses 500 membres officiels, dont la moyenne d'âge est de 28 ans. Chaque membre du parti donne 1.000 roubles, soit 25 euros par an. Les projets sont très nombreux. Le premier objectif du parti est de participer à l'élection à la Douma municipale, l'année prochaine.

La stratégie de campagne, en cours d'élaboration, pourrait inclure des questions n'ayant rien à voir avec les droits d'auteur ou le Wifi gratuit, comme le nettoyage des rues et la lutte contre les embouteillages, parce que le parti a ses propres idées sur chaque thème, affirment Rassoudov et Chakirov. De plus, les pirates comptent rendre leur marque plus reconnaissable et persuader la population qu'ils ne téléchargent pas simplement des films sur le net.

Entre autres, ils suggèrent de développer un projet basé sur le crowdsourcing, ainsi qu'un jeu pour smartphone afin d'expliquer les principes du parti à la population. "On espère également gagner un peu d'argent", a déclaré M.Chakirov.

"Les Allemands ont mis deux ans à comprendre que leurs pirates ne sont pas des malfrats", déclare M.Chakirov. Il n'a indiqué aucun délai concernant le déroulement de la campagne du parti. "Je pense qu'en fin de compte, on entrera en confrontation avec les hauts fonctionnaires russes ", a-t-il déclaré. Il critique activement les bureaucrates dans son district, à l'ouest de Moscou. "Notre force augmente et nous serons prêts à agir lorsque notre heure viendra", conclut-il.

La correspondante de RIA Novosti Angelika Wolhmuth a participé à la préparation de cet article

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