Protestation russe : de la faveur à la disgrâce

© RIA Novosti . Alexandre Kozhokhine / Accéder à la base multimédia"Marche des millions" anti-Poutine à Moscou (Archives)
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Un an après les protestations sociales qui ont secoué tout le pays, on peut affirmer que les manifestants et la classe dirigeante sont dans un état d'esprit complètement différent.

Un an après les protestations sociales qui ont secoué les habitants des grandes villes, voire tout le pays, mais surtout l'élite politique russe, on peut affirmer qu’à l’approche de la date anniversaire des événements, les manifestants et la classe dirigeante sont dans un état d'esprit complètement différent.

A fortiori, on ne peut pas dire que la situation soit confortable pour l’un ou l’autre des deux camps.

L’exercice punitif de l'Etat s'est visiblement renforcé ces six dernières semaines.
Rien d’anormal : cette fonction est partie intégrante du gouvernement. La question est de savoir comment et contre qui elle s’est appliquée. La réponse n’est pas univoque. Au départ, les autorités faisaient pression sur les leaders de l'opposition et les manifestants. La semaine dernière, un premier verdict a été prononcé contre un participant au rassemblement de la place Bolotnaïa.

Avant cela, la condamnation des membres du groupe punk Pussy Riot  a beaucoup choqué même au sein de l'élite dirigeante. Ensuite, on a assisté au retour étrange d'un manifestant de Kiev, au témoignage confus. Les leaders des protestations - bien que beaucoup ne les considèrent pas comme leaders, disons, des figures marquantes actives de la vie réelle et de la scène virtuelle - ont soudainement réduit leur activité sociale, voire complètement cessé pour certains.

La flamme des "citadins en colère" s’est éteinte, laissant derrière elle un arrière-goût désagréable et multiforme. Un parfum de peur, tout d’abord. En effet, beaucoup réfléchiront désormais à deux fois au prix qu’ils seraient prêts à payer pour une manifestation publique de leur colère sociale. La déception, ensuite. Les nombreux débats des leaders d'opposition ont soulevé la question de la dignité et du respect après que, dès les premières phrases, ces derniers ont commencé à s'insulter, ils ne sont aujourd’hui évalués qu’en fonction de leur apathie envers l'autre.

Si un opposant est jugé selon son niveau de haine et, en cas de manque de
Motivation, se voit immédiatement coller l'étiquette de "collaborateur de l'Etat" ou encore d'ennemi, alors le doute s’installe sur son véritable libéralisme et réduit fortement la volonté des citoyens de le suivre. Enfin, toute vague s'éteint. Si les protestataires ne sont pas des révolutionnaires professionnels, ils ne peuvent pas entretenir une flamme éternelle, qui plus est en l'absence d'une discussion à part entière. Il est difficile d'exister éternellement avec la question "jusqu'à quand ?". Et la recherche de réponses introuvables cède forcément la place aux occupations quotidiennes.

Le plus accablant est la dissipation des figures aux dispositions pas vraiment révolutionnaires. Ceux qu'on appelait auparavant le milieu intellectuel et qu'on pourrait qualifier aujourd'hui, à juste titre, d'élite culturelle du pays. Des gens qui ont mérité le respect de la population par leurs propos et leurs actions. Mais ces derniers temps, ils se font de plus en plus discrets.

Ce processus n'est probablement pas uniquement associé à la peur et aux actions du gouvernement mais également au courant objectif de la vie : la vague s'est soulevée, la vague est retombée. Désormais, tout le monde est parti prendre conscience de ce qui s'était produit.

Certains experts ne s'attendent même plus à un nouvel élan d'activité sociale jusqu'en 2014, date des prochaines élections municipales, et en 2016, année des législatives. Alors, le baromètre social montrera non seulement les dispositions de la classe créative mais également son nouvel état d'esprit. Il montrera si les opposants sont prêts à faire parler d'eux à nouveau, par quels moyens, avec quel niveau d'expression et derrière quels leaders. Tout aussi éloquentes seront les initiatives du gouvernement, proactives ou réactives, constructives ou punitives. Evidemment, tout cela si la situation évolue de façon linéaire, sans excès ni tournants imprévisibles.

Mais à peine la vague protestataire s'est-elle apaisée que l'élite s'est occupée d'elle-même.
Tout a commencé par le projet de loi sur l'interdiction des actifs étrangers, avec les appels au "nationalisme" et au "patriotisme" de la classe dirigeante. Une mesure suivie de démissions dont l'ampleur rend perplexe car rien de tel ne s'était produit ces vingt dernières années. En moins de deux mois, deux ministres, des députés, des responsables régionaux et des chefs d'entreprises ont été démis de leurs fonctions. Pratiquement tous en raison de scandales financiers.

Personne n'affirme que ces événements soient les maillons d'une seule et même chaîne. Plutôt l'inverse, d’ailleurs : ils ont un logique et des causes différentes, comme la lutte entre les clans au pouvoir et les châtiments démonstratifs "pour l’exemple". Cependant, on a l'impression que ces deux processus sont liés à un certain niveau : un nouvel élan de lutte et des rancunes accumulées d'une part, accompagnés de notions mouvantes de la loyauté de l'autre. Mais le plus curieux serait de savoir comment tout cela est devenu possible.

Ici, les versions divergent. Certains affirment que la disgrâce de certains dirigeants est la conséquence directe de leurs excès, au sens le plus large du terme. Autrement dit, ils ont perdu le "sens de la mesure". Cependant, d'autres partent du principe que cette "mesure" est une notion vague et que, si la loyauté de l'individu ne soulève aucun doute, la mesure qui lui sera impartie dans les affaires sera alors grande. Par conséquent, ce n'est pas la transgression de la
"ligne rouge" qui a fait déborder la patience du pouvoir, mais autre chose. Par exemple, l'absence de signaux clair venus d'en haut indiquant qui pourrait être "déplacé" et qui fait toujours partie des "intouchables".

Comme toujours, la vérité se situe très probablement entre les deux. Sentant que le principe d'inamovibilité s'était affaibli, divers groupes se sont lancés à la conquête de nouveaux "territoires". En parallèle, les plus forts d'entre eux pouvaient également poursuivre un autre objectif, quelque part paradoxal : déstabiliser l'élite afin de la consolider ensuite sur une nouvelle base – la peur, plus fiable que le profit.

Le mantra selon lequel "personne n'est intouchable", ressemble à une tentative menée par les dirigeants du pays, ces dernières semaines, pour se persuader du contraire. Comme aiment en rire les enquêteurs, "si vous n'êtes pas encore en prison, ce n'est pas votre mérite, c'est notre lacune". Ceux qui font partie de l'élite sont conscients qu'ils sont extrêmement vulnérables et la question de leur prospérité se réduit souvent à la faveur et à la force qu’ils retirent d'eux-mêmes ou de leur clan. Et lorsque les faveurs tournent à la disgrâce, les alternatives sont limitées : Londres ou la prison.

Ainsi, les événements actuels rendront l'élite plus monolithique ou, au contraire, la pousseront à placer ses intérêts au-dessus de la solidarité "collective". L’issue dépendra des émanations captées, dans l'air politique, par les plus forts, les plus avisés ou les plus avertis.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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