Samoutsevitch, de Pussy Riot : "La Russie est une grande prison pour moi"

© RIA Novosti . Vladimir AstapkovitchEkaterina Samoutsevitch
Ekaterina Samoutsevitch - Sputnik Afrique
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Après presque sept mois passés en détention provisoire, Ekaterina Samoutsevitch, membre du groupe Pussy Riot, découvre ce qu’elle a manqué pendant cette période passée derrière les barreaux.

Après presque sept mois passés en détention provisoire, Ekaterina Samoutsevitch, membre du groupe Pussy Riot, découvre ce qu’elle a manqué pendant cette période passée derrière les barreaux, notamment la colère et l'indignation avec lesquelles la communauté internationale a suivi l'arrestation et le procès retentissant de ce groupe punk.

"Les gens n'arrivent pas à comprendre qu'il n'y a pas internet dans les cellules de détention provisoire", déclare Ekaterina Samoutsevitch, sirotant un café dans la banlieue de Moscou.
"Il était très difficile de savoir ce qui se passait mais j'ai pu voir à la télévision que Madonna nous avait soutenues".

Samoutsevitch n'a probablement pas encore tout à fait mesuré les conséquences que la "performance" controversée du groupe dans la plus grande église de Moscou, au printemps dernier, a eues à l’échelle mondiale. Elle estime avoir déjà eu suffisamment de temps pour prendre conscience de la situation politique actuelle en Russie, sous Vladimir Poutine.

"On serre définitivement la vis", lance-t-elle en fronçant les sourcils. "C'est parfaitement clair."

"Mais vous savez, il n'y a pas beaucoup de différences entre la prison et le monde extérieur", poursuit-elle. "La Russie est comme une grande prison. Qu'on soit derrière les barreaux ou non, de toute façon, on est constamment sous la surveillance ou le contrôle de quelqu'un."

Les directives venues "d'en haut"

Katia Samoutsevitch, Nadejda Tolokonnikova (22 ans) et Maria Alekhina (24 ans) ont été accusées de "hooliganisme incitant à la haine religieuse" suite à leur acte de protestation dans l'église du Christ-Sauveur à Moscou, et condamnées à deux ans de prison ferme le 17 août à l'issue du procès qui a fait la une de la presse à travers le monde.

Alexeï Navalny, activiste d'opposition de premier rang, a déclaré que ce verdict  "avait  été écrit par le président Vladimir Poutine" et Samoutsevitch insiste sur le fait que l'ex-officier du KGB s'était personnellement intéressé à cette affaire.

"Pourquoi pas ?", hausse-t-elle les épaules. "Je suis convaincue qu'il y a participé dans une certaine mesure – tout le monde sait qu'en Russie, les juges ne prennent aucune décision importante sans recevoir de directives d'en haut."

"Je ne peux pas expliquer exactement pourquoi j'ai été relâchée – c’est peut-être un résultat de la pression internationale. On voulait probablement apaiser la tension."

Tout le monde est libre de penser ce qu'il veut

Des célébrités mondiales telles que Madonna, Paul McCartney et Sting ont pris la défense de Pussy Riot avant le début du procès, et Amnesty International les avait qualifiées de "prisonnières de conscience".

Mais, tandis que l'Occident soutenait activement Pussy Riot, l'inverse avait lieu en Russie.
Un sondage réalisé par le centre indépendant Levada ce mois-ci a montré que 43% des Russes estimaient que la condamnation de ses membres à deux ans de prison était une sanction insuffisante.

Même du côté de l'opposition, le soutien au groupe punk était modéré – Alexeï Navalny, orthodoxe, a qualifié leur action de protestation de "répugnante".

"Je ne le savais pas", déclare Samoutsevitch, cherchant du regard le soutien de son compagnon. "Mais tout le monde a le droit de penser ce qu'il veut."

Elle pense toutefois qu'une attitude aussi condamnatrice résulte de ce qu'elle appelle la "campagne permanente des autorités" contre son groupe.

"La télévision nationale a dressé les gens contre nous en présentant notre protestation comme menée par une bande de blasphémateurs, qui voulaient délibérément offenser les croyants", fait-elle remarquer.

Guerre sainte

"Le gouvernement cherche à présenter la situation comme s'il s'agissait d'une confrontation entre les chrétiens orthodoxes et Pussy Riot. Mais la question n'est pas là", déclare Samoutsevitch. "Nous n'avons rien contre la religion."

"Nous avons spécialement choisi le moment où nous irions à l'église pour qu’il n'y ait pas de messe ni pratiquement personne à l'intérieur. Nous sommes parties immédiatement quand la sécurité nous l'a demandé et si quelqu'un m'avait questionnée sur notre action, j'aurais présenté mes excuses."

"D'ailleurs, beaucoup d'orthodoxes nous ont également soutenus car ils estiment que l'église s'est trop écartée de la religion, qu'elle s'occupe trop d'autres affaires", ajoute-t-elle.

Samoutsevitch refuse de parler de sa propre opinion sur la religion.

"Je ne veux pas répondre à cette question et soulever une nouvelle fois le thème religieux qui a été utilisé par le gouvernement contre nous", dit-elle. "Mais hypothétiquement, oui, je pense que Dieu aurait approuvé nos actions."

Aucune scission

Samoutsevitch a été libérée le 10 octobre, après que la cour d'appel a accepté l'argument de son nouvel avocat selon lequel elle avait été appréhendée par les gardiens de l'église avant qu'elle ne puisse participer à l'action de protestation.

Mais le tribunal a décidé que ses partenaires de Pussy Riot devaient purger leur peine - et les deux jeunes femmes ont été transférées dans un pénitencier éloigné de Moscou.

Samoutsevitch avait renoncé aux services du groupe d'avocats chargé de l’affaire Pussy Riot, clairement anti-Kremlin, en engageant une avocate qui évitait de s’inviter sur le terrain politique.

"Cette ligne de défense avait déjà été choisie pour la première audience", dit-elle. "Rien n'a donc changé – ce point de vue a été simplement exprimé plus clairement pendant l'examen de l'appel. Et vous voyez, je n'ai pas reconnu ma culpabilité – c'était un acte politique et nous avons été jetées en prison pour nos opinions politiques."

Elle insiste également sur le fait que le groupe est resté uni. "Il n'y a aucune scission", a-t-elle affirmé.

La passivité est dans le sang

Malgré la prière que Pussy Riot a adressée à la Vierge pour "chasser Poutine", Samoutsevitch fait preuve de retenue lorsqu'on lui demande ce qu'elle pense de l'ex-officier du KGB.

"Tout cela est plus compliqué que de dire simplement : Poutine est le symbole du mal", rit-elle.

"Nous sommes contre le gouvernement, pas personnellement contre Poutine. Je n'ai aucune envie de rencontrer Poutine mais même si cela arrivait, je ne pense pas que je changerais d'avis", poursuit-elle. "Je suis opposée à toutes les méthodes qu’emploie le gouvernement pour manipuler la société et tout notre système d'éducation, qui n'apprend pas aux gens à réfléchir de façon autonome."

"Je n'ai jamais été en Occident mais on sait pourquoi nous sommes perçus de cette façon là-bas. Nous avons protesté sous une forme qui s'est avérée immédiatement reconnaissable. Et en Occident, les gens sont habitués à se battre pour leurs droits."

Samousevitch suppose que la fameuse capacité des Russes à supporter les périodes difficiles a des racines historiques. Elle se souvient de l'atmosphère de peur, largement répandue même durant la dernière décennie précédant l'effondrement de l'Union soviétique.

"Il faut connaître notre histoire, notamment celle de l'époque soviétique", explique-t-elle.
"On apprenait aux gens à se tenir tranquille, à éviter le moindre mécontentement. Je me souviens de mon enfance, quand mon père me mettait en garde de rien dire de mal sur le gouvernement. Les parents apprenaient à leurs enfants de ne jamais critiquer nos dirigeants, même ceux du passé comme Lénine et Staline."

"On inculque à la population, de génération en génération, que nous avons besoin d'un dirigeant puissant – que nous devons simplement aller au travail et ne penser à rien d'autre."

En dépit de la disposition hostile de la société à l'égard de la "prestation" de Pussy Riot, elle n'a connu aucun conflit sérieux avec d'autres détenues, qui purgeaient des peines principalement pour des crimes économiques.

"Elles ont même fini par me soutenir quand nous avons mieux fait connaissance. Beaucoup de gens ne sont pas du tout satisfaits par la situation actuelle dans le pays mais ils ignorent comment la changer."

"Quant aux gardiens, certains d'entre eux me soutenaient ouvertement mais d'autres enviaient notre célébrité, notamment quand le procès a commencé et que nous passions à la télévision toutes les cinq minutes. Ils avaient une attitude du genre "vous allez voir quelles stars vous êtes"."

"Nous n'avons jamais cherché à être arrêtées pour faire passer notre message", déclare Samoutsevitch. "Mais je n'ai pas été en prison pour rien. Le monde a vu comment fonctionne notre système judiciaire, a vu Poutine mentir quand il affirmait qu’en Russie existait une justice indépendante."

Samoutsevitch ne veut pas renoncer à la lutte contre le système, qu'elle considère comme autoritaire.

"J'ai l'intention d'être plus attentive et prudente mais cela ne signifie pas que je resterai à la maison les bras croisés."

"D'ailleurs, ma période probatoire s'achève dans 18 mois. Après cela, je pourrai faire ce dont j'ai envie !", rit-elle avant de sortir dans la rue, dans le chaos des quartiers de la banlieue de Moscou.

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