L’Ukraine tiraillée entre l’UE et la Russie ? Les législatives par Philippe Comte

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Ca y est : les Ukrainiens se sont prononcés devant les urnes pour leurs législatives. Depuis

Ca y est : les Ukrainiens se sont prononcés devant les urnes pour leurs législatives. Depuis longtemps ce pays appartenant à la fois à la zone d’attraction russe et à celle de l’Europe, louvoie entre les deux carottes : l’alliance militaire et douanière avec la Russie qui veut sécuriser ses positions dans le Sud du continent ; ou bien un mariage de raison avec une Europe qui lui est génétiquement acquise mais minée par la crise financière et économique.

Philippe Comte, professeur et maître de conférences à Paris 2 Sorbonne Panthéon, grand expert de l’Est, nous a donné son appréciation des enjeux à affronter pour l’Ukraine dans sa partie de poker un brin osée.

La Voix de la Russie. Monsieur Philippe Comte, bonsoir ! Merci d’être avec nous sur l’antenne. Les Législatives en Ukraine ont déjà donné les premiers résultats : il s’avère que selon les sources du Parti des Régions, ce parti a remporté les élections parlementaires avec 31 p.c. de voix. Le bloc d’opposition Batkivchtchina ce qui veut dire « Patrie » a à peu près 24 p.c., le parti du boxeur Klitchko entre 11 et 13 p.c. et les communistes de 7 à 8 p.c. de voix. De source d’opposition les données diffèrent un peu sans changer le fond. Ainsi les opposants de Yanoukovitch le reconnaissent vainqueur avec 30 p.c. de voix soit un décalage d’1 p.c. par rapport aux sources présidentielles et le bloc d’opposition aurait 25 p.c. – encore 1 p.c. de différence, Klitchko est jaugé à la hauteur de 15 p.c. ; les communistes – 12 p.c.et les nationalistes de Lvov – 11 p.c.

Cependant, les observateurs français dont Arielle Thedrel du Figaro, considèrent les législatives en Ukraine comme « un galop d’essai avant le combat décisif ». Le Parti des Régions, celui de Ianoukovitch, qui s’en sort triomphant tendra-t-il à faire alliance avec l’Europe ou tournera-t-il le dos pour se jeter dans les bras du Kremlin ? Et Ioulia Timochenko qui reste en prison, que devient-elle là-dedans ? Selon les politologues français est-elle déjà vouée aux oubliettes ou elle a encore une chance de remonter ?

Philippe Comte. Avant de répondre à vos questions je voulais quand même rappeler que seulement 45 p.c. d’électeurs se sont présentés aux urnes pour voter pour leurs députés. C’est un chiffre qui, à mes yeux, est plus important que les autres c’est-à-dire que les résultats des différents partis ou blocs de partis. Parce qu’il signifie que plus d’un électeur sur deux ce qui est énorme ne s’est pas déplacé pour aller voter et donc soit fatigué soit dépité par l’évolution du système politique ukrainien soi indifférent soit tenté par l’approche populiste qui consiste à dire « tous pourris » comme nous le disons en français familièrement. Approche quand même très dangereuse mais qui pourrait être dans l’Ukraine d’aujourd’hui où la corruption est quand même très élevée, cela correspond à un fond de vérité.

Ensuite pour répondre plus précisément à votre question, je ne suis pas persuadé que dans l’Ukraine d’aujourd’hui vu son histoire, une histoire partagée entre une part d’influence polo-lithuanienne et donc européenne et d’autre part, l’influence russe, que les responsables des deux blocs principaux de partis, celui du Président Ianoukovicth, parti des Régions, et celui qui s’appelle « Patrie » et qui est dirigé par Mme Timochenko, soient vraiment si tranchés dans leurs rapports avec la Russie et l’Europe.

Je ne suis pas convaincu que le Président Ianoukovitch soit si pro-russe que cela et que Mme Timochenko soit si antirusse que cela. Tout cela me paraît être un peu simpliste et il me semble que l’histoire de l’Ukraine quel que soit le Président, conduit vers un pragmatisme beaucoup plus prudent dans la mesure où l’Ukraine a intérêt d’avoir de bonnes relations avec son voisin du Nord et de l’Est, la Russie. Et il en va de même avec l’UE de tous les points de vue : économique, culturelle, échanges, voyages, etc. Je pense que les lignes sont moins nettes que vous ne le dites !

En revanche, il me semble qu’elles sont très nettes dans le domaine des revendications d’honnêteté, anti-corruption, et d’assainissement de la vie économique et politique de l’Ukraine. 25 p.c. des électeurs ont voté pour le parti « Patrie » de Mme Timochenko. Donc ils ont voté pour un parti dont la dirigeante est en prison à la suite d’un procès sur lequel nous avons des doutes et très sérieux, en particulier, en France quant à son honnêteté. Ces 25 p.c. sont un vrai vote. Les 30 p.c. pour le parti des Régions, il faut voir comment et sur quelle base les gens ont voté. On sait bien que les partis au pouvoir en cette zone y compris quelquefois en Russie, ont tendance à faire de petits cadeaux à dos aux retraités pour qu’ils aillent voter. En quelque sorte à encourager le vote de manière beaucoup moins politique mais beaucoup plus concrète et matérialiste.

Je fais le lien avec votre deuxième question : la France et Yulia Timochenko. Il me semble parfaitement scandaleux qu’elle soit maintenue en prison. Et le procès lui-même est à la fois un scandale politique, moral et judiciaire. Et donc l’Ukraine a envoyé récemment en la mettant en prison de cette manière-là un signal extrêmement préoccupant sur l’attachement à un certain nombre de valeurs qui, par exemple, pour moi sont importantes. La justice doit être libre. Elle doit se prononcer librement. Et ici en France nous avons réagi à ce signal. ET nous trouvons cela très préoccupant.

Comme votre question est plus large, il me semble que les Français qui s’intéressent à cette région du monde, à toute l’Europe de l’Est et à cette région de l’ex-URSS, ils ne peuvent pas oublier l’Ukraine.

L’Ukraine c’est 45 Millions d’habitants. C’est un très grand pays. Et quand on réfléchit un petit peu et qu’on connaît l’histoire de cette région, on ne peut que comprendre que l’Ukraine s’attache à ménager les relations avec la Russie et à ménager ses relations avec l’Europe. C’est normal. Ce sont ses deux grands voisins et historiquement cela se comprend très bien : l’Ukraine était partagée entre 3 siècles d’influence polo-lithuanienne et 3 siècles d’influence russe et soviétique. Cela fait partie de sa chair et de sa mentalité. La langue russe a une place importante en Ukraine. L’ukrainien retrouve de la vigueur ! C’est très bien ! Il a été longtemps victime d’une politique étatiste décidée à Moscou. Et puis petit à petit cela va s’arranger. Mais il me semble que le message qu’envoie la population ukrainienne dans ce vote, il est parfaitement clair ! D’une part, la moitié n’est pas allée voter parce qu’elle est dégoûtée par ce qui se passe. L’autre moitié dit : Arrangez-vous mais je ne veux pas de décisions tranchées ni contre l’Europe ni contre la Russie ! La population a voté pratiquement à égalité pour le Président et pour le parti d’opposition. »

A mon sens, Philippe Comte a mis toutes les pièces sur l’échiquier. Reste à ajouter que l’Ukraine n’a jamais baissé la garde devant les envahisseurs venus de l’extérieur ce qui est dû au patrimoine polonais très fort dans l’Ouest du pays. L’Ukraine veut décider toute seule de son avenir en gardant son indépendance. Mais comme la partie industrialisée, celle de Kharkov et de Donbass est ethniquement russe à très forte majorité sans parler de Sébastopol ou de la péninsule de la Crimée, une scission du pays est à craindre. Et cela représente un autre écueil à éviter pour le pauvre Etat ukrainien qui louvoie à tous les vents.

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