Arctique: à qui profite la "fièvre pétrolière"?

© RIA Novosti . Sergueï Echenko / Accéder à la base multimédia La plate-forme Prirazlomnaïa
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Envoyer une fusée dans l'espace coûte moins cher que forer un puits de pétrole dans l'océan Arctique. En effet, le lancement d'une fusée Proton coûte entre 80 et 100 millions de dollars, tandis que le prix du forage d'un puits de pétrole dans la région glaciaire varie entre 100 et 150 millions.

Envoyer une fusée dans l'espace coûte moins cher que forer un puits de pétrole dans l'océan Arctique. En effet, le lancement d'une fusée Proton coûte entre 80 et 100 millions de dollars, tandis que le prix du forage d'un puits de pétrole dans la région glaciaire varie entre 100 et 150 millions. Or, chaque champ pétrolier doit comporter des dizaines de puits, déclare Valeri Nesterov, expert en gaz et pétrole chez Sberbank CIB (ex-Troïka Dialog). Quant aux plateformes pétrolières arctiques, chacune vaut 5-6 milliards de dollars selon lui, soit la moitié du prix du Grand collisionneur de hadrons.

Les dépenses sont colossales mais le revenu potentiel de l'exploitation de pétrole et de gaz en Arctique pourrait être encore plus élevé et atteindre plusieurs milliers de milliards de dollars.

Un résultat qui permettrait à l'industrie pétrolière de se développer avec succès pendant encore plusieurs décennies.

Cependant, selon les experts russes de l'environnement et de l'industrie pétrolière, les projets menés dans l'Arctique sont encore loin d'être rentables et nécessitent de nouvelles technologies, identiques à celles utilisées dans le domaine spatial.

Ces considérations économiques ne dissuadent pourtant pas les autorités russes, qui poussent les corporations pétrogazières nationales à conquérir le Grand Nord.

Les enjeux

La fièvre arctique a commencé au milieu des années 2000. Les "puissances polaires" - comprenant la Russie, et à l'exception des Etats-Unis - revendiquent des portions considérables du plateau arctique auprès de l'Onu, qui devrait rendre sa décision en 2014.

Pour le moment, on ignore quel est l'enjeu de telles demandes et combien ces pays ont dû payer pour obtenir ce qu'ils convoitent.

Selon des estimations approximatives, les ressources exploitables de l'Arctique russe atteignent 25 à 30 milliards de tonnes. Valeri Nesterov, de Sberbank CIB, suggère de comparer ce chiffre aux 359 milliards de tonnes de réserves pétrolières avérées et disponibles dans le monde à l'heure actuelle – dont le pétrole lourd, les sables bitumeux et le pétrole de schiste, difficile à extraire.

Cependant, l'exploitation de ces ressources coûterait cher. Dans un article publié en octobre par le quotidien Vedomosti, Igor Tchestine, directeur de l'antenne russe du Fonds mondial pour la nature (WWF), évalue le coût d'extraction d'un baril de pétrole en mer de Laptev à 700 dollars.

Compte tenu de la taxe pétrolière en vigueur en Russie - 70 dollars par baril - et du tarif actuel du pétrole brut Brent (environ 110 dollars le baril), l'exploitation pétrolière en Arctique ne rapporterait pas la marge nécessaire pour pousser les compagnies à dépenser des milliards de dollars pour ces projets onéreux dans l'Arctique, estime Mikhaïl Babenko, coordinateur des projets pétrogaziers du Programme arctique du WWF.

Les plus grandes compagnies pétrogazières font pression afin d'obtenir des réductions fiscales pour augmenter la rentabilité de leurs projets arctiques, mais ce travail est loin d'être terminé, déclarent les experts.

L'espace sous-marin

Le forage dans l'Arctique requiert des "technologies comparables à celle du domaine spatial", a déclaré Igor Iouchkov, analyste de la Fondation pour la sécurité énergétique nationale pendant une récente table ronde à Moscou.

Les technologies actuelles sont incapables de régler certaines situations d'urgence telles qu'un éventuel déversement de pétrole sous la glace. Elles ne peuvent pas non plus gérer tous les risques, par exemple une plaque de glace de 20 km se dirigeant vers une plate-forme, comme c'est arrivé au groupe Shell en septembre, explique Mikhaïl Babenko.

"En 2050, l'Arctique ressemblera au Golfe ou à la Sibérie occidentale tels que nous les connaissons aujourd'hui", déclare le professeur Anatoli Zolotoukhine, vice-recteur de l'Université russe du pétrole et du gaz de Moscou.

"Il faut seulement développer nos technologies. Il y a vingt ans, les téléphones portables étaient loin d'être aussi pratiques. Qui pouvait imaginer, à l'époque, qu'on pourrait les utiliser pour envoyer des photos ?", fait-il remarquer.

Une étude publiée en 2011 par BP, Energy Outlook, soulignait que le développement des champs pétroliers arctiques ne serait pas un facteur significatif pour l'industrie avant 2030. Le ministère russe des Ressources naturelles applique également ce pronostic à ses propres projets d'envergure dans la région.

Cap sur le nord


Chaque puissance polaire a ses raisons de se lancer vers le nord, que ce soit pour maintenir ou renforcer sa croissance économique, soutenir son potentiel en matière d'exportations ou assurer sa sécurité énergétique, estime Mikhaïl Babenko.

Selon lui, dans le cas de la Russie, la fièvre arctique est stimulée exclusivement par l'État.

Les consortiums étatiques Gazprom et Rosneft sont les seules compagnies autorisées à travailler sur le plateau arctique russe.

D'ici 2050, les investissements pour l'exploitation des gisements arctiques atteindront 500 milliards de dollars, a déclaré le ministre russe de l'Energie, Alexandre Novak, il y a quelques semaines.

Il s'agira principalement d'investissements de l'État dans l'infrastructure connexe comme les aéroports, les ports, les services d'urgence et les bases militaires.

Selon l'étude du WWF publiée en mai, le développement de l'efficacité énergétique, plus que l'exploitation des ressources énergétiques arctiques, permettrait à la Russie d'économiser jusqu'à 700 milliards de dollars sur la facture de chauffage, sachant que la modernisation des logements à l'échelle du pays coûterait 320 milliards de dollars seulement.

Réserve mondiale


Mais la fièvre arctique qui fait tant parler pourrait ne jamais se matérialiser. Car pendant que les consortiums pétroliers estiment les réserves des gisements pétrogaziers, les écologistes redoublent d'efforts pour protéger l'Arctique contre l'exploitation des hydrocarbures.

La pétition de Greenpeace exigeant de proclamer la région nordique "réserve mondiale" a déjà recueilli plus de 2,1 millions de signatures.

"La glace, dont dépend le climat de la planète, fond en Arctique. Cela se produit bien plus rapidement qu'il n'y paraît", affirme le site de la pétition, Savethearctic.org. Plus loin, on explique que la calotte polaire, qui a connu une fonte record cet été, est un facteur climatique crucial.

En réalité, la logique qui se cache derrière la campagne arctique est vicieuse: la calotte polaire fond depuis plus de 30 ans et cela a commencé bien avant qu'on n'évoque des projets tels que la plate-forme Prirazlomnaïa, le puits Shell Burger en mer des Tchouktches, le champ Chtokman dans la mer de Barents - exploré par Gazprom - ou encore le gisement de Snohvit en mer de Norvège.

La fonte des glaces arctiques semble simplifier le forage dans les eaux du nord, c'est pourquoi les organisations de protection de l'environnement mènent une action préventive en cherchant à empêcher une exploitation "irresponsable" du pétrole et du gaz dans cette région écologiquement fragile, explique M. Babenko.

La région est déjà polluée par les déchets des bases militaires datant de la Guerre froide, fermées depuis longtemps. Choqué par les images de tonneaux de produits pétroliers vides, le président Vladimir Poutine a ordonné en août un "nettoyage général en Arctique". Le projet-pilote de cette opération, sur l'archipel François-Joseph, coûtera 8,5 milliards de roubles (environ 213 millions d'euros) et durera au moins jusqu'en 2020.

Le chef de file du projet, Anatoli Chevtchouk, a reconnu que l'argent avait été promis sans être inscrit dans le budget – contrairement aux 500 milliards de roubles (environ 12,5 milliards d'euros) que Gazprom et Rosneft prévoient d'investir dans leurs projets sur le plateau arctique avant 2015.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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