Si vous êtes Français et avez foulé la terre afghane, votre avis m’intéresse au plus haut point ! Si vous êtes un Afghan francophone, cela m’intéresse encore davantage ! Demain à 15 h, heur de Paris, j’aurai le plaisir de recevoir sur notre plateau le colonel René Cagnat, un vétéran de l’Afghanistan et ex-attaché militaire français dans la région du Moyen Orient. Il est également auteur du livre « Afghanistan : de la Djihad aux larmes d’Allah. Les sept piliers de la bêtise ». Et si demain je me prépare à ferrailler avec un représentant de l’élite de la société française, de la fine crème de la pensée géostratégique européenne, qui est une personne de très haut mérite, aujourd’hui je me prépare et me souviens de ma période d’études à l’Institut Catholique de Paris à la fac d’Assas. A l’époque de mon doctorat ès sciences sociales, j’ai été copain avec un Afghan qui s’appelait Hessan. Physiquement parlant il avait tout d’un Tadjik c'est-à-dire type indo-européen au nez aquilin, traits fins et aristocratiques, yeux verts. Issu d’une famille de noblesse afghane, il parlait volontiers du Lion de Panchir Ahmed Shah Massoud. Il vouait une haine farouche au communisme mais somme toute était un garçon bien. Son optique de la guerre soviéto-afghane m’a beaucoup marqué. Il croyait que les Afghans ont remporté la victoire et que ses compatriotes sauront triompher de tous les envahisseurs qui perdront toujours le pied ferme sur le terrain mouvant de Kaboul, capitale d’Afghanistan. Sa version de l’histoire a été confirmée par les tentatives désespérées des Grecs du temps d’Alexandre Le Grand, des Perses, des Britanniques au dix-neuvième ou des Russes sans parler des Américains et de l’OTAN de l’emporter sur les tribus locales. A chaque fois tous les envahisseurs subissaient un cuisant échec et s’en revenaient groggy.
Cette foi en invincibilité de son peuple rendait Hessan très proche de ma propre vision qui était celle d’un Russe, car les Russes ont beau être alarmistes et se plaindre d’avoir peur de se faire envahir. En leur for intérieur ils se croient inébranlables et hors d’atteinte, car aucun ennemi n’a su assujettir la Russie. Et voilà que la logique du monde moderne ne fait que corroborer les impressions de mes vertes années lorsque j’étais en volte des vertugadins.
Pour revenir à des choses autrement plus sérieuses, le nœud coulant d’Afghanistan nous réserve plusieurs surprises et elles sont toutes de taille considérable. A commencer par le retrait des troupes américaines et françaises. Il se trouve que leur départ ne saurait arranger les choses parce que cela ne ferait qu’ouvrir l’accès aux troupes du Taliban. Le mouvement Taliban a apparu dans les années 90 pour lutter contre la montée de la violence qui a déferlé avec la drogue sur le pays qui se scindait de plus en plus en régions plongées dans les guerres tribales. Comme 90 p.c. des recettes du budget afghan sont générés par la présence étrangère, on aura vite fait de comprendre que le départ des Occidentaux causerait une débâcle économique. A plus forte raison on peut se méfier de la réduction de l’armée en contingent humain sous les drapeaux. Sur 352 mille personnes qui sont de service aujourd’hui après l’application du plan du gouvernement afghan, il n’en resterait plus que 230 mille soldats. 120 mille soldats partiront dans la nature. Or ses anciens militaires ne connaissent qu’un seul métier c’est celui des armes. Le résultat ne se ferait pas attendre.
Un autre problème et pas des moindres est représenté par le projet américain « La nouvelle voie de la soie ». Ce projet prévoit la construction d’un gazoduc au nom de TAPI ce qui se décrypte comme Tadjikistan-Afghanistan-Pakistan-Inde. Un projet tout à fait étonnant qui doit isoler définitivement l’Iran et exclure la Russie de la grande politique orientale. C’est un peu le dessein des auteurs. Le projet a été lancé en 1995 et prévoit la participation d’une compagnie américaine UNOCAL et d’un organisme saoudien s’appelant Delta Oil. Mais le projet patauge et pour une bonne cause que personne ne claquera son argent dans le pipeline qui traverserait un Afghanistan non-pacifié. L’enjeu est grand et les Américains se creusent la cervelle ne sachant pas depuis 17 ans déjà comment le mettre à exécution.
Ce projet est contré par les Russes et les Chinois qui revendiquent leur droit à la prééminence dans la région et veulent bouter dehors les Américains. Les Russes ont élaboré l’IPI ce qui veut dire Iran-Pakistan-Inde, un gazoduc en partance de la terre des ayatollahs qui transite par le Pakistan pour arriver en Inde. Si cela marchait, Washington perdrait définitivement la prise en Asie. Mais les élites pakistanaises mènent leur propre jeu en donnant le change à tout un chacun y compris les Russes. Très proches de l’axe anglo-américains, les politiques d’Islamabad que ce soit Navaz Charif ou Imran Han après la victoire aux législatives, ils flirtent plutôt avec le Royaume-Uni ou l’Amérique qu’avec la Russie. Pour changer la donne, Vladimir Poutine se prépare au parachutage in extremis à Islamabad où il mènera des négociations tambour battant tous azimuts.
Restent les Chinois, qui, eux, investissent déjà en Afghanistan dans les mines de cuivre. Ils ont lancé également le projet d’un grand gazoduc en partance du Turkménistan qui transite par l’Ouzbékistan et Kazakhstan et arrive à la Chine. Le premier chaînon est opérationnel à partir de 2009.
On voit bien que la Russie pourrait peut être s’entendre avec l’autre maître de l’Eurasie c'est-à-dire Pékin mais que les Européens et les Américains deviennent de plus en plus indésirables au centre du Moyen Orient. Avec toutes les conséquences néfastes pour les corps et les biens que cela peut entraîner ? Sage décision que celle de François Hollande d’accélérer le retrait des troupes !