« Le point sur l’économie de la Russie » tel est le titre d’un bref descriptif de l’économie russe donné par l’économiste français éminent Jacques Sapir. On y lit entre autres :
« Après deux années où le taux de croissance a été supérieur à 4,5%, elle devrait réaliser entre 3,7% et 3,9% en 2012. Les performances macroéconomiques ont été bonnes, et le redémarrage de l’investissement soutenu. La croissance de la consommation est aussi restée forte, soutenue en particulier par les dépenses sociales mais avec également un accès au crédit des ménages qui a été favorisé par la politique de la Banque Centrale. Le taux de chômage a ainsi reculé à un niveau historiquement bas (5,2% en août 2012).
Mais, le maintien de sorties importantes de capitaux et la dépendance importante des banques à la politique de la Banque Centrale pourraient être des facteurs limitant la croissance à l’avenir. Surtout, la question du modèle de croissance de la Russie reste toujours posée. Avec la récession qui se développe aujourd’hui dans la zone Euro et qui menace de durer, mais aussi avec les craintes que l’on peut avoir sur la croissance chinoise dont le taux est historiquement faible, et le plus bas depuis 11 ans, les exportations de matières premières auront du mal à progresser en 2013 ». Fin de citation.
Cependant la situation de l’économie russe n’est pas vue de la même façon de l’intérieur de la Russie. Mikhaïl Deliaghine, docteur ès sciences économiques, directeur de l’Institut des problèmes de globalisation, dénonce sur les pages de la très populaire revue « Odnako » les agissements d’une partie de la bureaucratie russe. Selon ses prévisions, qui coïncident parfaitement avec celles de Jacques Sapir, le monde entier, occidental aussi bien qu’oriental, serait sur le point de plonger dans les profondeurs abyssales d’une indicible crise économique. Selon Deliaghine, la crise des années 20 à côté n’est qu’un jeu à la maternelle. Et l’auteur d’invectiver les fonctionnaires qui au lieu de s’activer au développement de l’économie russe préfèrent engranger les recettes du budget dans les Fonds en devises étrangères en corrélation avec les banques occidentales. On peut dire que les paroles de l’économiste ne sont pas dépourvues de sens à une seule différence près : il est inutile de prêcher la bonne parole aux Russes et les appeler à ne pas calculer les dépenses de l’Etat en fonction de la cote du pétrole à la Bourse de l’année prochaine. Ce serait de la peine perdue ! Les Russes ont besoin de développer leur économie et ils la développent à cors et à cris et peut être parfois de façon maladroite. C’est vrai que la Russie n’arrive pas à se défaire de la crasse des bureaucrates corrompus qui la souillent avec leurs manœuvres adipeuses. Mais, ceci dit, le budget reste toujours au positif. Et l’on sait pourquoi. Parce que l’économie russe a tout de même démarré et que les usines et fabriques occidentales s’installent de plus en plus au pays. Parce que l’espace et la vente d’armements marchent de tonnerre et que la commande militaire remplit le carnet de la production.
Cependant le point en commun entre les deux analyses – celle de Sapir et celle de Deliaghine, est plus que visible. Comme on le sait l’économiste français reste un partisan des plus fervents de la séparation de la France avec l’euro. Le russe Deliaghine appelle contre vents et marrées à créer son propre rythme de développement ce que Jacques Sapir d’ailleurs a déjà proposé à maintes reprises pour la Russie. Le docteur russe insiste sur la nécessité d’en découdre avec les crédits occidentaux ce qui, de nouveau, le rapproche encore d’un cran de la position du Français. Autrement dit, les grands esprits se rencontrent et l’économiste moscovite semble avoir concerté ses violons avec l’analyste parisien. Du point de vue de la science académique une telle convergence non voulue d’opinions des deux professionnels est la preuve même de l’objectivité de la conclusion à moins qu’ils ne se trompent tous les deux, bien sûr. Chose peu probable tout de même !
Tout cela m’avance à tirer la conclusion suivante. Le monde avoisine un gouffre insondable de la fin de l’époque capitaliste. Ce décès se fera en douleur et générerait des crises à répétition dans tous les pays du globe terrestre. Paradoxalement les mieux protégés seraient les pays non alignés comme la Russie qui n’est pas encore définitivement arrimée à l’économie occidentale bien qu’elle en paye souvent les pots cassés. Les pays du Tiers Monde souffriront infiniment, car ils dépendent corps et âme de leurs patrons développés. La Chine, elle, a copié plus ou moins la crise immobilière américaine avec toutes les conséquences néfastes pour son économie. En plus la réduction des commandes des pays développés frapperont de plein fouet les travailleurs chinois. Un autre point important : une démographie monstrueuse ne laisserait pas à la Chine une très grande marge de manœuvre. Reste la Russie qui garde encore, selon Sapir et Deliaghine en tout cas, le droit à un choix libre et souverain.
De façon tout à fait étonnante, quand bien même la bureaucratie russe choisirait la voie par inertie en se référant à l’exemple occidental, que cela ne changerait pas grand-chose. Par son territoire, son potentiel intellectuel et militaire, sa splendide isolation dans la partie septenrionnale de l’Europe et de l’Asie, la Russie est condamnée à rester debout. Le monde aura toujours besoin du gaz et du pétrole pour se chauffer. Et les Russe maîtrisent toutes les grandes branches de l’industrie moderne et excellent en de nombreuses matières y compris l’aéronautique et l’espace. Donc nonobstant les pronostics lugubres du scientifique russe, ce pays pourrait devenir une nouvelle terre promise pour les rescapés de la crise. La France ferait très bien de s’aligner sur Moscou.