Une petite histoire de l’administration russe…

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Alexandre Latsa - Sputnik Afrique
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Un de mes amis français qui vit en Russie m’a récemment raconté une histoire qui a elle seule traduit bien certains dysfonctionnements de certains services publics russes. Nous étions trois amis à table dans un des restaurants d’une chaine russe qui porte un nom italien, mais ou il est de coutume de manger des sushis

Un de mes amis français qui vit en Russie m’a récemment raconté une histoire qui a elle seule traduit bien certains dysfonctionnements de certains services publics russes. Nous étions trois amis à table dans un des restaurants  d’une chaine russe qui porte un nom italien, mais ou il est de coutume de manger des sushis. Nous comparions nos situations, étant tous les trois en Russie depuis cinq ans, mariés à des ressortissantes russe, et ayant tous les trois le statut de résident.

Les lecteurs de RIA-Novosti qui ont lu ma tribune sur les statuts des étrangers en Russie savant très bien de quoi il s’agit. L’étranger qui souhaite devenir résident obtient d’abord un permis de travail, puis peut demander un permis de séjour valable 3 ans (le RVP), puis un permis de résidence, valable 5 ans, le Vid Na Jitelstvo, ou VNJ. Ce dernier document est renouvelable ad vitam aeternam (sauf si son titulaire souhaite devenir citoyen russe) et confère quasiment les droits d’un citoyen russe.

Cet ami a donc décidé de créer une société. La forme la plus simple pour un résident russe comme lui est sans doute de choisir le statut d’auto entrepreneur russe, en russe индивидуальный предприниматель ou ИП (IP). Il faut le dire ce statut est assez confortable puisqu’une IP en Russie est très facile à créer, il faut moins de 15 jours pour avoir la société et ouvrir un compte en banque, le tout pour une somme inférieure a 100 euros. L’IP peut légalement exercer dans un nombre illimité de domaines d’activité.

L’IP permet de choisir entre deux statuts fiscaux. Dans le premier, il y a un impôt unique et libératoire de 6% du chiffre d’affaires, et dans le second, l’impôt est de 15% mais certains  frais généraux peuvent être déduits. Il a choisi le régime fiscal à 6%, qui peut s’appliquer jusqu’à 125.000  euros de chiffre d’affaires par mois. Ce système à 6% permet en outre de ne pas faire appel à un comptable, et de faire ses déclarations de revenus soi même. Qui dit mieux ? Comme le reconnaît implicitement KPMG dans son rapport 2012 la Russie à en effet l’un des régimes fiscaux les plus favorables sur la planète, pour les petites entreprises.

Mais en Russie, une constante existe, les problèmes ne se situent pas là ou on les attend.

Damien a décidé d’ouvrir le compte de sa société dans l’établissement d’état le plus important du pays. Son choix était justifié par le fait que cette banque, solide, devrait vraisemblablement être la dernière à disparaître dans les tourments de la crise financière occidentale. Il faut bien l’avouer, ce raisonnement tient la route. Bien sur cette banque célèbre dans toute la fédération à cependant des défauts. Il s’agit de la banque de paiement des retraites et pensions, et ses agences font donc souvent face à un afflux de clients qui forment des queues sans fin. Récemment un salarié de cette banque a même été licencié pour avoir Twitté qu’il "suffisait d’écrire le nom de la banque sur un mur, en moins d’une heure se créait une queue de 30 retraités". L’imprudent a perdu son emploi mais malheureusement, mon ami me l’a confirmé, si l’IP permet de fonctionner sans comptable, alors il faut accepter de prendre en main le travail principal du comptable : attendre et faire la queue.

Lorsqu’il a ouvert son compte en banque, il était titulaire d’un permis de séjour de 3 ans, et il était résident selon la loi russe, mais pas résident selon la règlementation bancaire. Cette divergence entre la loi et la règlementation bancaire a créé une première difficulté. La création de la société IP avait été simple et rapide mais avec un permis de séjour de 3 ans, l’ouverture du compte en banque nécessita prés d’une vingtaine d’heures de négociations et d’efforts.

L’employé de la banque lui a finalement confirmé qu’il était préférable d’ouvrir des comptes non résidents, tout en étant résident aux yeux de la loi russe, mais que lorsqu’il deviendrait résident selon la règlementation de la banque, avec un permis de 5 ans, il serait nécessaire de simplement transformer les comptes non résidents en comptes résidents. Damien a donc décidé de suivre ce conseil et a commencé à travailler. Lors de la réception de son permis de résidence 5 ans, il a voulu changer le statut de ses comptes, mais à la banque, sa conseillère lui dit que finalement il était possible de conserver les anciens comptes (non résidents) et que cela serait sans doute plus simple, et lui couterait moins cher.

Au bout de quelques semaines, la banque le rappela en prétextant une erreur et une responsable de niveau manager lui dit qu’il devait impérativement changer les statuts des comptes de non résidents à résidents. Il revint à la banque et la manœuvre de fermeture des comptes ne prit que 4 heures. Il ne restait plus qu’à ouvrir des comptes résidents. A ce moment la intervint une sur-responsable qui expliqua que non c’était idiot et que finalement, selon un article de la règlementation de la banque, il était possible d’être résident, d’avoir une IP et garder ses comptes non résidents. La réouverture des mêmes comptes ne prit que 3 heures supplémentaires. Damien, littéralement assommé par une journée passée dans la banque, repartit chez lui en ne sachant quoi penser. J’espère que mes lecteurs eux suivent.

Il a compris quelques semaines après, lorsque la banque d’un de ces clients lui annonça qu’il était impossible de le payer, qu’il était en tort, violait la loi et que possédant un permis de résidence 5 ans, il devait selon la loi russe et la règlementation bancaire, avoir des comptes de résident, afin d’accorder son statut fiscal et bancaire. Il a expliqué au client que d’autres paiements étaient arrivés sans problème, mais impossible de dénouer la situation.

Il retourna donc à sa banque, puisque plusieurs de ses encaissements étaient bloqués. La conseillère lui confirma qu’il était dans son bon droit mais (restez assis chers lecteurs) qu’il "aurait été préférable de ne pas dévoiler au client son statut de résident" afin de pouvoir continuer à utiliser ses comptes non résidents. Damien, russophone et russophile, céda à un énervement sincère et justifié me dit il pour la première fois depuis qu’il vivait en Russie. L’affaire se termina dans le bureau de la directrice de l’agence qui ne reconnut évidemment pas la faute de la banque mais affirma la nécessité de passer à des comptes à statut résident. La fermeture et la réouverture des comptes dura 6 heures nous dit il, 6 heures durant lesquelles la conseillère tenta d’expliquer qu’elle n’était pas en tort.

Moralité de l’histoire, Damien nous dit qu’après avoir passé près d’une trentaine  d’heures en 3 mois dans son agence de banque, il comprenait mieux l’intérêt d’un comptable en Russie, non pas pour faire la comptabilité, mais faire la queue. Alors que celui ci nous racontait son histoire avec un certain découragement, notre troisième ami nous dit: "Attendez, je n’y comprends rien, à mon agence de cette même banque ou j’ai également mon compte IP, on m’a dit que les comptes de résidents ne pouvaient être attribués qu’aux citoyens du pays!"

En conclusion, dès que j’aurai  quelques instants de libre cette semaine, je pense que je vais moi aussi foncer a mon agence afin de vérifier de quoi il en retourne (j’ai aussi une IP), mais j’ai déjà la certitude que je vais avoir droit à une troisième explication, encore différente. Car la Russie c’est aussi ca, le flou et la souplesse ambiante font que si rien n’est infaisable et que presque tout s’arrange, on ne sait jamais quand et comment les problèmes ou les surprises vont apparaître.

L’opinion exprimee dans cet article ne coïncide pas forcement avec la position de la redaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.

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