Night Wolves (Les Loups de la Nuit), créé il y a une vingtaine d'années, est le premier club officiel de motards en Russie. Organisé selon une hiérarchie très stricte, déterminée par un règlement, il compte près de 5.000 membres. Le leader et fondateur du club Alexandre Zaldostanov, alias
"Le Chirurgien", parle de l'histoire du club, de ses traditions, d'"amour populaire" et de popularité, dans une interview accordée à RIA Novosti.
Dites-nous comment êtes-vous devenu motard et pourquoi vous avez lié votre vie à la moto?
C'est ce qu'on appelle le destin. La vie a voulu que je devienne médecin et je travaille en tant que chirurgien — d'où mon pseudonyme "Le chirurgien". C'est la vie, je ne regrette rien.
Je pense que je me suis retrouvé au bon endroit au bon moment et pour cette raison, j'ai réussi à faire ce que j'ai fait, à laisser quelque chose derrière moi pour mon pays — cela a beaucoup d'importance pour moi.
J'ai eu ma première moto sous l'Union soviétique. En 1983, j’ai réussi à acheter ma première Jawa et, en 1984, je suis sorti de l'université. Cette moto était le rêve de tous les jeunes et même des adultes.
Bien sûr, à cette époque, les motards étaient très différents. On ne pouvait pas s'appeler "bikers". On utilisait d'autres termes — marginaux, rockers, comme on veut — mais pas comme ça. Même aujourd'hui ce terme ne me plaît pas beaucoup, il sous-entend une sorte d'américanisation qui ne nous convient pas à tous. Je préfère le mot "motards", "motards russes", parce qu'il reflète mieux le phénomène que nous sommes devenus.
Il faut avouer que nous avons emprunté certaines choses à l'Occident; mais nous les avons repensées et avons suivi un chemin complètement différent. Nos roues roulent dans un autre sens, sur une autre route. Même en empruntant quelque chose, on l'a mis à notre "sauce" et ce qu'on a obtenu nous tient vraiment à cœur.
Evidemment, les Loups de la Nuit se sont transformés en un phénomène. C'est plus qu'un simple club de moto: c'est déjà une structure telle qu'elle pousse les présidents à venir nous voir et le patriarche à nous bénir en personne. Voilà ce qu'on a créé et enduré pendant ces 23 années d'existence des Loups de la Nuit.
Pourquoi vous avez choisi de vous appeler Les Loups de la Nuit?
A l'époque on se voyait comme une meute, et tous les événements qui se produisaient autour de nous arrivaient la nuit. Ce nom est un pur produit des années 1980. Bien sûr, à cette époque, la ville ne nous appartenait que la nuit. La nuit, on se sentait libres. On pouvait rouler à 300-500 motos depuis Loujniki jusqu'à l'aéroport Cheremetievo sans voir la route et en prenant les deux voies de circulation — personne ne pouvait nous en empêcher. A cette époque, la nuit était une délivrance pour nous et pour cette raison, ces moments étaient précieux. L'état d'esprit était vraiment particulier.
Sur quelle idéologie repose le mouvement Les Loups de la Nuit?
Premièrement: la fraternité, le sentiment d'appartenance à une certaine caste – comme l'ordre de chevalier ou même le monachisme, je dirais. Hormis la fraternité qui existe dans le club, il a construit son propre mode de pensée, qui pourrait être résumé par "idéologie orthodoxe".
Nous renions les symboles sataniques et tout ce qui lance un défi à l'orthodoxie. Nous voulons que ce mouvement évolue dans nos traditions, qu'il soit perçu comme sien.
De plus, nous ne voulons pas être une organisation criminalisée. Je voudrais qu'on reste un club patriotique, un exemple pour les jeunes, qu'on fasse quelque chose pour notre pays, notre Patrie, que nous avons perdue, en principe, en achetant des chewing-gums et des jeans, en l'échangeant contre McDonalds. Voilà ce qui repose à la base du mouvement Les Loups de la Nuit.
Comment peut-on devenir membre de votre club?
Il n'y a pas de limite d'âge mais évidemment, on ne prend pas d'enfants. La question n'est pas là de toute façon. La première exigence, c'est de devenir un ami, la deuxième – aimer la moto, la route les voyages —, et la troisième: partager notre conception du monde afin que nos idées et préoccupations ne soient pas considérées comme de la politique. C'est un moment important pour nous. Lorsque ces trois qualités sont réunies – bienvenue chez les Loups! Il faut également se faire parrainer par un membre. Bien sûr, il existe un rite d'initiation mais seuls les nouveaux adhérents pourront le découvrir.
Est-ce qu'il existe une discipline, une structure dans le club?
Nous avons plusieurs niveaux et après un certain temps, le membre reçoit une veste avec tous les emblèmes. Avant cela, il a seulement des écussons devant sa veste, sans rien au centre. Ensuite, il reçoit l'inscription "biker" accompagnée du nom de sa ville et, seulement quelques années plus tard, il peut porter le logo complet du club.
Est-ce que vous avez des préférences côté motos?
Nous ne choisissons pas une marque connue en particulier, comme Harley Davidson ou autre. Aujourd'hui, on apprécie plutôt les BMW que les Harley: elles sont faites pour les voyages — la marque se positionne en tant que moto pour les voyageurs. Sur ce plan nous sommes solidaires avec les Allemands, nous sommes amis.
Apparemment, les Allemands ont un faible pour les anciens modèles de motos avec sidecar. Est-ce qu'ils vous ont déjà demandé d'en échanger ou de leur en vendre?
Ils apprécient tout ce qui est russe et cela ne concerne pas seulement le monde de la moto, vous savez. Ils aiment nos anciennes motos. Cela leur rappelle peut-être la BMW des années 1940, qui a peut-être un charisme propre à la moto russe.
Parlez-nous de votre modèle de moto Volk.
A vrai dire je voudrais que, dans pays, existe une moto russe avec sa propre légende. Ce projet a été lancé à l'usine d'Irbit (marque OURAL) et il était vraiment réussi. Pour le prix d'une Volk (Loup) de 3.000 dollars, vous aviez une moto très belle avec un moteur de 45 CV.
Elle pouvait parcourir de longues distances sans rien à envier aux motos japonaises. Et ce, à 140 km/h sans problème. Certaines technologies améliorant le moteur ont été utilisées sur ce modèle. Il n'était pas aussi puissant mais il avait de très belles proportions, ce qui était, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, un vrai progrès.
Mais le marché a scellé le sort de cette usine — cela ne dépendait pas de moi. A cette époque, son propriétaire n'en avait simplement plus besoin. Malheureusement, cette usine n'a conservé qu'un local d'essai et ne peut plus produire en série — mais je voudrais mener l'affaire jusqu'au bout et faire en sorte que la Russie ait sa propre moto.
Est-ce vrai que d'autres clubs vous reprochent vos relations étroites avec le président russe Vladimir Poutine? Est-ce que l'Etat vous fournit un soutien financier?
Nous sommes complètement indépendants. On fait ce qu'on veut. Personne ne me forcera à faire ce que je n'ai pas envie de faire. En ce qui concerne "plaît-ne plaît pas", on n'est pas un billet de 100 dollars qui doit plaire à tout le monde. Quand on ne plaît pas à quelqu'un, on le prend très calmement. Quant à Poutine: je ne trahis pas mes amis et je suis capable d'apprécier les gestes faits à mon égard. C'est un homme, aussi. Jamais un fonctionnaire moyen ne m'a remarqué mais le chef de l'Etat, lui, l'a fait. Cela témoigne de son intelligence et de son caractère. On ne se préoccupe pas de savoir si quelqu'un nous remarque ou non. Toute notre vie, nous avons compté les uns sur les autres, sur l'aide des amis proches. On a vécu de cette façon, en faisant tous nous-mêmes.
Je dirais même plus que, même si tout le monde criait "crucifiez-le", je serais avec lui. Parce qu'on ne donne ni ne vend ses amis. De plus, je vois en lui un homme doté d'une conception proche de la mienne — il me semble que c'est le cas. En tant qu'homme politique, bien sûr, il n'a pas le droit de parler comme moi. Moi, je dis ce que je pense directement, je peux me le permettre parce que je n'ai pas de responsabilité politique — et je n'en veux pas. Mais je pense que nous voyons le monde sous le même angle. Je vois en lui un homme, pas un simple haut fonctionnaire mais quelqu'un qui sait prendre des risques. Il peut risquer et gagner. Il a quelque chose à nous, de russe, quelque chose d'un "loup de la nuit" — et c'est la raison de ma sympathie pour lui. Pour l'instant je n'ai pas vu, de sa part, des actions qui me feraient honte, chose que j'ai constatée chez d'autres présidents et secrétaires généraux. Ils ont perdu le pays, ils l'ont poussé au déclin, à l'effondrement, puis à la division. Ils n'étaient pas des gens honnêtes. Mais je vois que lui, il veut autre chose.
Est-ce que Vladimir Poutine est membre de votre club?
Tu sais bien qu'un Président ne peut pas faire partie du club. Bien sûr que non. Il a assisté quelques fois à nos activités et j'ai même réussi à parler avec lui personnellement comme avec un être humain. Cette communication m'a laissé une très bonne impression. En soi, sa venue me réjouit, évidemment.