« Le joueur de flûte de Hamelin. Une légende à revoir »

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Bien peu se souviennent d’une légende allemande mettant en scène un joueur de flûte, dératiseur et… dérobeur d’enfants à ses heures de juste vengeance.

Bien peu se souviennent d’une légende allemande mettant en scène un joueur de flûte, dératiseur et… dérobeur d’enfants à ses heures de juste vengeance. « Le joueur de flûte de Hamelin », telle est la traduction française de cette légende aux arrière-goûts de parabole sociale. Retranscrite par les frères Grimm, elle évoque le désastre qui se serait produit le 26 juin 1284 dans la ville de Hamelin : une invasion spectaculaire de rats porteurs potentiels de peste. Or, un beau jour, lorsque tout espoir semblait mort, un joueur de flûte venu on ne sait d’où s’aventura dans les lieux. Son talent de musicien était tel qu’il jouissait de la faculté exceptionnelle de débarrasser la ville de ses envahisseurs, autrement dit, de la dératiser. C’est ce qu’il fit avec succès en échange d’une récompense que lui promirent les habitants de Hamelin. Or, une fois l’affaire achevée, l’ingratitude de ces gens les poussa non seulement à faire fi de leurs promesses, mais à chasser le pauvre diable à coups de pierres. Saisi d’une rancune légitime, ce dernier revint dans la ville par une nuit sans lune et, jouant de son instrument quasi-divin, entraîna à sa suite tous les enfants des environs. Selon la version la plus vieille, il les enferma ou, par extension de sens, les emmura dans une montagne. Justice fut faite, à un prix, certes, exorbitant ! Pourquoi, se demande-t-on, s’en prendre à des innocents, victimes des vices des grands ? Que symbolise cet étrange flutiste, source d’espoir et de malheur tout à la fois ? Au-delà de quelques explications dévergondées dites freudiennes par excellence, on devine l’image neutre, tiède, fade, insensible de l’entité sociale. Capable de bien comme de mal, bienfaitrice et imprécatrice selon les circonstances, elle nous rend exactement ce que nous méritons, revêtant le masque de nos propres tares, de nos propres failles. De même en va-t-il de cette réalité assez obscure que l’on appelle la justice juvénile. Brillante à ses débuts car visant à protéger les droits des mineurs – souci d’actualité au tout début du XXème, elle finit par sombrer dans des excès révélateurs du malaise fondamental des sociétés européennes d’aujourd’hui. Grosso modo, elle vise à « protéger » l’enfant des vertus éducatives exercées par ses parents, à leur interdire d’interdire … de les forcer à ne pas donner ce qu’ils devraient au demeurant donner au titre seul d’éducateurs ! Le vieil adage qui dit que les voies de l’enfer sont pavées de bonnes intentions n’est même plus de mise dans la mesure où il ne saurait en principe être question de bonnes intentions. Quand la mauvaise foi épouse l’absurde, c’est le crime social doublé du crime moral qui en naît. Pour mieux comprendre de quoi il en retourne et tâcher de réduire un problème par définition irréductible à l’échelle d’un seul pays, dans le cas présent, ce sera surtout la Russie, j’ai tenu à interviewer Mme. Anokhina, présidente de l’organisation régionale « Union des comités parentaux de Moscou et de la région moscovite », député municipal. Voici quelques fragments d’un entretien passionnant que nous avons eu la semaine dernière.

La Voix de la Russie  : Parlez-moi SVP de la justice juvénile telle qu’elle se présente à l’heure actuelle. Quelle est l’appréciation que vous donneriez à ce phénomène de mode ? Considérez-vous que les familles russes se trouvent en danger si jamais le projet de loi portant sur la justice juvénile finit par être voté ?

Mme Anokhina : Et bien, on essaye de nous prouver, cela, à tout bout de champ, que la justice juvénile n’a trait qu’aux tribunaux juvéniles composés de juges et d’avocats compétents en la matière et chargés de crimes liés d’une façon ou d’une autre aux enfants et ados, à savoir aux crimes directement commis par des ados en âge de répondre de leurs actes. Or, cela n’est qu’une partie de la notion, partie visible parce qu’accessible aux yeux du grand public grâce aux efforts des médias. Le sommet de l’iceberg, dirais-je… Mais que se cache-t-il au fond, là est la question ?! En fait, le projet de loi portant sur la justice juvénile en Russie remonte à 2005. Il a été d’ailleurs abandonné par ses auteurs et partisans suite à l’examen détaillé dont il a fait l’objet à la Douma. Une tentative récurrente a été entreprise en mai 2011 mais elle a heureusement échoué suite aux protestations d’un grand nombre de comités parentaux qui ont eu l’intelligence de réaliser à temps le danger que cette insinuation dissimulait. Pour tout dire, il était question de détourner le regard de la société de la ratification en Russie de la Convention de la Haye relative aux droits de l’enfant. Cette Convention légalise quasi-ouvertement l’expropriation d’enfants russes et leur envoi à l’étranger. Ce que j’en pense, moi, de ce « phénomène de mode » ? Ma vision est des plus négatives. Faute de pouvoir être appliquée dans son intégralité, la loi sur la justice juvénile s’immisce d’une façon plus ou moins partielle au cœur de nos sociétés, s’emparant des lois les plus importantes tant sur le plan moral que stratégique. L’éloquence venimeuse qui abreuve une notion de prime abord aussi innocente et lumineuse que les « droits de l’enfant » ouvre les voies aux pires manipulations, aux pires spéculations, aux tentatives les plus perverses d’enlever les enfants à leurs parents. Ce qu’on appelle les services de tutelle s’arroge le droit souverain de retirer un enfant de sa famille sous des prétextes souvent incompréhensibles, voire littéralement insensés. Ces services-là abusent sciemment de leur impunité, ainsi que du caractère presque entièrement secret de leur action qui les garantit de tout jugement. Bien plus, si l’on peut extraire un enfant de sa famille sans passer par des procédures juridiques préalables autorisant cette extraction en en démontrant le bien-fondé, on ne peut rendre l’enfant à sa famille sans obtenir l’accord d’un tribunal spécial qui devra quant à lui prouver que les services de tutelle ont fait erreur. Une procédure de longue haleine, comme vous pouvez vous le figurer. Entre temps, l’enfant devient le triste témoin de multiples scènes caractéristiques des orphelinats, des scènes de violence entre enfants, d’humiliations chroniques, bref, de tous les menus « plaisirs » qui abondent dans les lieux mentionnés. Je ne parle même pas des familles, abattues, réduites à trois fois rien, aux cas de suicides ou de crises de folie dont on devine aisément l’origine. Les fonctionnaires, doués de tous les pouvoirs imaginables et inimaginables, continuent pour leur part à œuvrer en faveur d’un avenir radieux, propice à l’épanouissement de nouvelles générations privées de parents. C’est à ne plus savoir s’il faut en rire ou en pleurer …

La Voix de la Russie : Peut-on considérer le système juvénile comme un outil soi-disant civilisé de manipulation appliqué par le biais et bien sûr au détriment de nos enfants ? Cette hypothèse m’est venue à l’esprit par référence à l’approbation massive qu’à connu le système aux USA, organisme sans conteste totalitaire …

Mme Anokhina : Je trouve que les USA ont intérêt à s’occuper de leurs oignons, c’est-à-dire à mettre un peu d’ordre chez eux sans fourrer leur long nez dans les affaires d’autres états, que cela leur plaise ou non, souverains. Je vous assure que nous nous passerons bien de leurs conseils. En revanche, je n’estime pas inutile de prendre en compte l’expérience négative qu’ils ont eue – avec d’autres états occidentaux logés à la même enseigne – suite à l’application de cette loi sur leur territoire. Cette dernière, je tiens à le préciser, est assez mal perçue par les masses qui, s’ils savaient concrètement de quoi il en retourne, s’opposeraient fermement à la justice juvénile. Je pense notamment au défilé des poussettes vides (traduction littérale) dans les pays qui essayent de nous imposer leur vision de l’éducation. Je me demande ce qu’il y a de civilisé dans toutes ces manœuvres juridiques, bien plus fascistes que démocratiques à proprement parler ! Peut-on seulement s’imaginer qu’une fillette puisse être enlevée à sa maman pour la simple et soi-disant bonne raison qu’elle lui a acheté une belle robe … ou plutôt, une robe trop belle qui trahirait une forme d’ « amour étouffant » ? Peut-on seulement s’imaginer qu’un enfant puisse être retiré de sa famille simplement parce que sa maman lui a interdit de manger des cacahuètes avant le déjeuner ? Et c’est la « tyrannie déplacée » de la mère qui lui sera alors reprochée. On se représente sans peine quel degré d’amour dit raisonnable et de laxisme modéré l’enfant connaîtra une fois à l’orphelinat ! Les parents ne sont pas autorisés à voir leurs enfants, ne sont pas en mesure de les défendre contre des éducateurs parfois, hélas, enclins à la pédophilie, contre d’autres enfants parfois eux aussi agressifs parce que malheureux. Je ne voudrais en aucun cas que cette situation plus que pénible soit celle de mon pays.

La Voix de la Russie : Quels seraient d’après vous les mobiles réels de ceux qui font la promotion de la justice juvénile, que ce soit en Russie, en France ou ailleurs ? Ne comprennent-ils donc pas que la natalité, déjà en baisse sans cela, chutera aussitôt d’une manière radicale ? Ne comprennent-ils donc pas que l’on ne puit « confisquer » les enfants comme l’on confisquerait des objets ?

Mme Anokhina : Les mobiles réels visent à détruire les valeurs familiales traditionnelles, valeurs fondées sur un système de hiérarchie strictement défini et promouvant la primordialité du rôle parental jusqu’à la majorité de l’enfant. Or, ce sont des individus déracinés, ignorants de leurs antécédents que l’on risque d’obtenir en définitive. Des individus qui, étant enfants, ont avalé le poison parfois délicieux d’une liberté délétère consistant entre autres en leur dépravation sexuelle et physique au sens large du terme, puisque la liberté de goûter, par exemple, à la marijuana, fait également partie intégrante des libertés recherchées à un certain âge. Libérés à l’extrême, ces enfants deviennent dès lors la proie de personnes qui leur semblent bienveillantes, respectueuses au plus haut point de leurs droits, de leurs caprices et fantasmes… les plus fantasques ! C’est ainsi que l’on voit des ados de quinze ans changer de sexe parce que des parents adoptifs « bienveillants » soucieux de leur bien-être leur ont prouvé qu’ils seraient « mieux » en filles ou en garçons. Mais il y a plus ! Profondément asociaux, dénuées de convictions, ces enfants qui ont vocation tôt ou tard à devenir des citoyens sont bien plus faciles à manipuler (mise en relief de l’auteur). Autre danger que je ne pourrais passer sous silence : la loi relative à la politique de santé publique stipule maintenant le droit des médecins d’effectuer des extractions d’organes sur des enfants dont la mort cérébrale aurait été médicalement avérée. Des milliers de lettres de protestation ont été envoyées au gouvernement russe, des lettres de citoyens indignés du cynisme dont leurs enfants pouvaient devenir victimes. En effet, la mort cérébrale d’un enfant est presque impossible à constater objectivement. Celle d’un sujet adulte pose moins de difficultés mais, là encore, il s’agit d’un sujet à caution (une marge d’erreur de 15 % est à relever, selon les estimations d’un grand nombre de spécialistes en réanimatologie). Or, le cerveau d’un enfant se trouve en plein processus de formation ce qui ne facilite guère le diagnostic final, donc, le verdict qui suit. Je me suis moi-même opposée à cette nouveauté monstrueuse, n’ayant pas hésité à monter sur les barricades le 1.11.2011, le jour de la ratification de ce projet de loi déplorable. Après quelques louvoiements formels surtout destinés à apaiser l’opinion publique, la loi en question fut finalement adoptée dans toute son intégralité… ce qui ne dénote qu’une chose : l’obstination cynique des autorités compétentes en la matière.

La Voix de la Russie : Une accusation revient assez souvent sur les sites consacrés à la lutte contre la justice juvénile : il semblerait que celle-ci se soucie de questions purement médicales qui débordent de son champ de compétence, entre autres de celles concernant l’éducation sexuelle et la contraception. Comment est-ce que la question de la contraception serait liée à celle de l’existence de la justice juvénile ?

Mme Anokhina : J’ai déjà partiellement répondu à cette question. J’ajouterai que la loi sur la justice juvénile a été complétée par des précisions portant sur ce qu’on appelle technologie juvénile. Une femme peut être privée de son enfant dès la naissance de ce dernier si son revenu mensuel est jugé insuffisant. En attendant qu’elle trouve un bouleau mieux rémunéré ou un papa jugé susceptible de la prendre en charge avec le petit, le bébé peut être envoyé dans un hôpital où on peut légalement le garder jusqu’à l’âge de quatre ans. Mais dites donc, en quatre ans, qu’adviendra-t-il de lui ? Une aliénation mentale et donc sociale pour le moins minimale, voici ce qui l’attend !

Je réalise que les témoignages livrés sont loin d’être radieux. Néanmoins, si je me suis décidée à parler, c’est bien pour être entendue, pour qu’on nous entende, que l’on cesse de sacraliser l’esthétisme factice d’une justice qui n’en est pas une. J’espère être entendue de nos fonctionnaires qui, eux aussi, ont des enfants, des petits-enfants. J’espère et même, je sais, que toutes ces nouveautés n’ont aucun avenir en Russie. En attendant, j’invite tous les parents à lutter pour leurs enfants !

Ces révélations, si tristes qu’elles soient, confirment une fois de plus une réalité difficile à entendre, encore plus difficile à digérer que les propos de Mme Anokhina : les joueurs de flûte n’apparaissent que dans les sociétés qui les engendrent. Ils ne sont ni mauvais, ni bons en soi. Tout bonnement, ils nous rendent ce que nous leur projetons, grossissant à la loupe nos égarements. Ainsi des lois, ainsi de la montagne dont les enfants du conte ne sortiront jamais et qui, quant à elle, symbolise l’impasse, le mur auquel se heurte toute une génération d’enfants enchantés par des libertés hypnotiques dont ils ne savent que faire. /L

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