La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XIV, Moscou !

La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XIV, Moscou !
La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de géants. Partie XIV, Moscou ! - Sputnik Afrique
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Lorsque la bataille de La Moskova/Borodino se termine, le succès des armes françaises ne pouvait être douteux, mais les troupes russes bien que sévèrement étrillées dans la bataille se repliaient en ordre, les pertes françaises avaient été lourdes également, ils avaient perdu également pas moins de 15 000 chevaux dans la fournaise de ce combat acharné. La poursuite était impossible, la route de Moscou était ouverte.

La bataille qui fut une sanglante mêlée frontale laissait un champ de mort hallucinant, l’un des plus terrifiants des guerres napoléoniennes. Les Français ne purent qu’admirer le soin des Russes à tenter d’ensevelir les morts et de relever les blessés, même dans la retraite, alors qu’eux-mêmes ne purent faire vraiment face au désastre. Les pertes sanglantes reçues dans l’assaut et le besoin de faire souffler une armée éprouvée, n’avait pas permis à Napoléon de se lancer efficacement aux trousses des Russes qui se replièrent en ordre, laissant les Français aux prises avec plus de 50 000 blessés des deux camps sur les bras, sans compter près de 40 000 cadavres, vision d’horreur.

A Saint-Pétersbourg, Koutouzov qui a envoyé un communiqué de victoire, déclenche la liesse populaire, vite éteinte par les nouvelles contradictoires qui arrivent bientôt et ne laissent aucun doute : Moscou a été prise. Son gouverneur Rostoptchine est un homme décidé, il agira avec une grande énergie, prêtant parfois l’oreille à des projets fous, comme celui de ce ballon explosif au vitriol chargé d’exploser au-dessus de l’Armée française et de liquider Napoléon… N’ayant pas conscience que Koutouzov l’a trompé, il prévoit une bataille sous les murs de la ville, et prend beaucoup de mesures, il ordonne l’évacuation des archives, fait vendre à un prix dérisoire d’antiques pétoires et armes diverses détenues dans les arsenaux, et arrive bon an mal an à faire respecter l’ordre dans la ville.

L’arrivée de hordes de paysans apeurés et des débris de l’armée russe, quelques milliers de blessés, ne sont pas sans l’inquiéter. La bataille envisagée sous les murs de Moscou a été discutée en fait lors du conseil de guerre qui se tînt à Fili. Il en ressort que l’Armée russe réduite à une moitié de ses forces pouvait se trouver anéantie dans une prochaine bataille. Léon Tolstoï dans le célèbre Guerre et Paix a passablement contribué à réécrire l’histoire de ce moment historique capital. L’issue fut la décision prise de laisser Moscou aux Français de ne pas défendre la ville et de se replier au-delà de la ville dans une position lointaine afin d’attendre les renforts et une occasion propice. Koutouzov aurait dit, « perdre l’armée c’est perdre la Russie et nous pouvons sauver les deux ».

Ce fut probablement la décision la plus importante de toute la carrière militaire de Koutouzov, il n’était d’ailleurs pas seul, loin de là. Ce jour-là, Barclay et Bennigsen assistaient également au conseil, le premier de l’avis de Koutouzov, le second partisan d’une nouvelle confrontation. Cette décision stratégique avec l’habileté de Barclay dans la retraite jusqu’aux portes de Moscou est à mettre à l’actif du vieux renard. S’il n’avait pas vaincu, il entrevoyait que la Russie ne pouvait être défaite en perdant sa capitale historique, les Polonais au début du XVIIème siècle ne l’avaient-ils pas prise et avaient été finalement écrasés ? L’immensité russe, la force de sa population, son unité remarquable, tout cela permettait en effet d’espérer un retournement de situation spectaculaire. Koutouzov et Barclay, Alexandre 1er aussi, en gardant espoir, en refusant la défaite tant que celle-ci n’avait pas été complètement consommée, rendirent possible la victoire finale. Le 13 septembre, Rostoptchine recevait une lettre de Koutouzov, qu’il ne défendrait pas Moscou. Le lendemain, Napoléon étaient en vue de la ville, spectacle que les survivants de la campagne ont tous gardé dans leur mémoire : « Moscou ! Moscou ! », ses clochers dorés et colorés, la vision de la ville offerte, l’espoir de la paix, enfin !

L’Empereur ne se presse pas d’entrer dans la ville, il ne le sait pas mais elle a été évacuée par les troupes, par la très grande majorité de ses habitants, par son gouverneur, toute la ville est à merci, et Napoléon n’en croit pas ses yeux. C’est en vain qu’il attend une délégation pour lui remettre les clefs de la ville, il y pénètre dans la soirée, il n’y a pas de curieux pour voir entrer les troupes françaises, ils s’installent sans coup férir, l’Empereur entre dans le Kremlin, mais vite, vers 19 heures les premiers incendies apparaissent dans la ville, une première fumée noire, des soldats surprennent des incendiaires. Un peu plus tard, dans la nuit un dépôt de munition explose avec fracas vers les 23 heures.

Moscou est bientôt en flammes, les soldats rencontrent des bandes hystériques d’incendiaires, armés de flambeaux, et c’est assez rapidement que l’information parvient à l’Empereur, il ne veut pas y croire. Pourtant, 200 ans après, nous avons entre les mains, les documents nécessaires, le gouverneur Rostoptchine avait en effet accumulé pour son ballon, assez de matières incendiaires pour brûler une ville qui je le rappelle était en majeure partie construite en bois. Longtemps l’historiographie russe a indiqué que les Français avaient bouté le feu à la ville, mais nous connaissons parfaitement la vérité. Le feu qui commence va dévorer littéralement la ville pendant plusieurs jours, attisé par des vents défavorables. Les Français déjà dans la ville évacuent avec précipitation les lieux, le danger est grand car de grandes quantités de poudre sont arrivées dans le sillage de l’artillerie.

Philippe de Ségur écrira de ce moment : « Nous marchons sur un sol de feu, sous un ciel de feu, entre deux murs de feu ». Alors que Moscou brûle du 14 au 18 septembre sans discontinuer, Napoléon pressent que le moment est décisif. Il a été surpris de prendre la ville sans défense, mais la voici anéantie. Un instant son génie militaire échafaude un plan, il veut marcher en deux semaines sur Saint-Pétersbourg, un maigre corps russe lui barre le passage, la ville est quasiment sans défense. Mais il faut marcher, encore très loin, et seul le Prince Eugène est favorable au projet. Peut-être nous ne le saurons jamais, l’étoile de Napoléon le quitta en cet instant, car sentant la fatigue, ne voyant pas de soutien dans ses Maréchaux, l’Empereur, et c’est un fait unique, va attendre. Une attente qui aura des conséquences incalculables.

En effet, en attendant une paix qu’il croit possible, il entre exactement dans les plans de Koutouzov, qui aura donc le temps de se reprendre, de se réorganiser, de se renforcer, tandis que les Français sont dans une ville en ruine. Sur 9 300 maisons et bâtiments, 800 palais et riches demeures, il n’en reste plus que 2 000 environ debout. L’Empereur une fois l’incendie maîtrisé, s’évertue à ouvrir un contact avec Alexandre 1er . C’est en vain, le Tsar a compris qu’il ne lui reste plus que deux options, la défaite, ou la victoire. Il a choisi la lutte jusqu’au bout, l’Espagne, lui donne l’exemple depuis 1808, et l’Angleterre veille évidemment à encourager sa résistance. Le Tsar est furieux, il réunit une commission pour enquêter sur l’affaire de « la victoire de Borodino », une bataille imaginaire que lui avait servie Koutouzov. La Venise du Nord est inquiète, la hardiesse et l’audace de Napoléon était redoutée, au point que les propriétaires, les habitants ne parlent que d’évacuer, de fuir déjà la capitale de Pierre le Grand.

Alexandre toutefois ne peut sévir contre Koutouzov, le moment est trop grave, il avalise donc son acte lorsque le danger d’une attaque de la ville est écarté et qu’il a repoussé les avances de L’Empereur, pour l’anniversaire de son couronnement, le 27 septembre 1812. A cette occasion une proclamation est publiée qui indique que le gouvernement justifiait l’abandon de Moscou parce qu’il était destiné à « faire du bref triomphe de l’ennemi un inévitable désastre […] invoquant l’aide du Tout-puissant au nom de l’Eglise russe, au nom du combat légitime du Peuple russe contre l’ennemi, car en triomphant et en se sauvant lui-même, le Peuple russe servira la liberté et l’indépendance des souverains et de leurs royaumes ».

Déjà en substance, Alexandre annonçait son programme : il n’y aurait pas de paix, même à la libération du territoire national, la guerre serait une guerre de libération de tout le continent européen, jusqu’à Paris s’il le fallait… /L

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