La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de Géants. Partie XII, la bataille de Chevardino

La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de Géants. Partie XII, la bataille de Chevardino
La Campagne de Russie, histoire d’une guerre de Géants. Partie XII, la bataille de Chevardino - Sputnik Afrique
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C’est à marche forcée que dans le sillage de l’Armée Russe, les forces de la Grande Armée de Napoléon ont dépassé Viazma dans les dernières journées du mois d’août 1812. L’Armée russe constamment en infériorité, a été bousculée et contrainte à la retraite, mais la sagesse de Barclay de Tolly qui pratiqua la terre brûlée était mal supportée par la jeunesse dorée de Saint-Pétersbourg avide d’en découdre.

C’est dans ces conditions, que le Tsar Alexandre Ier, après d’âpres conflits internes entre les différents partis et personnalités de l’Armée russe, avait fait le choix à contrecœur d’un nouveau commandant en Chef, le Général Koutouzov. Son choix était dicté par l’unanimité que ce général vraiment russe faisait, à la fois dans l’armée mais aussi dans le peuple. La retraite habile dirigée par Barclay, chef d’œuvre tactique et stratégique avait été ressentie par les russes comme une humiliation, un aveu de défaite. Pourtant le général Barclay avait sauvé l’armée russe d’une destruction complète, dans les premières journées du conflit, et les semaines qui suivirent. La disproportion des forces était telle et le génie militaire de Napoléon si grand, que l’écrasement de l’armée russe n’étant pas douteux au début de la campagne.

Deux mois plus tard, la situation a réellement changé, mais le sauveur de la Russie, Barclay de Tolly, doit laisser sa place au vieux Koutouzov. Adoré du peuple, il était injustement vu par ses contemporains comme la preuve que tout allait changer et que les Français ne prendraient pas Moscou. C’est dans une ferveur presque mystique qu’il fut accueilli par les soldats et le peuple, qui l’acclamaient à chacune de ses apparitions. Koutouzov en effet était un grand personnage de la Russie, un héros, presque mythique. Ses talents militaires s’étaient déployés dans les guerres contre l’Empire Ottoman, et le « vieux renard » comme il fut surnommé par les Russes, n’était pas sans des talents, de prudence. Lorsqu’il prend le commandement, il sait, comme avant la journée d’Austerlitz, qu’il était douteux de gagner une bataille contre Napoléon. Il se trouvait toutefois devant un dilemme.

Il restait en effet persuadé que la retraite devait se poursuivre, et c’est ce qu’il ordonna après les journées de Smolensk, mais devant l’opinion publique et l’œil du Tsar, qui ne l’aimait guère, il ne pouvait se permettre de reculer et de laisser Moscou à son sort. C’était pourtant sans doute la meilleure stratégie à adopter, mais elle pouvait se révéler dangereuse, le Peuple russe, fier et combattif, voulait la bataille. Les pertes dans la retraite avaient été importantes, mais moins que celles subies par l’attrition de la marche de la Grande Armée de Napoléon. En comptant les milices, c’était un total de 120 000 hommes que les Russes pouvaient opposer à environ 135 000 Français. La bataille pouvait être tentée. Contrairement aux idées préconçues, cette bataille se fit en deux temps, une entrée en lice à Chevardino et le plat principal à La Moskova/Borodino.

Barclay de Tolly fin tacticien qui gardait le commandement de la 1ère Armée, avait conseillé un intelligent repli derrière une ligne plus défendable, un peu en arrière, mais l’entêté et rusé courtisan qu’était Koutouzov avait fait la sourde oreille. Cela devait coûter la vie à de nombreux soldats russes, dont l’avant-garde se trouvait dangereusement « en l’air » très en avant de la position principale russe, qui était autour de Borodino. Les Russes avaient construit une forte redoute à Chevardino, mais le temps imparti à ces ouvrages avait été insuffisant, à une époque également où l’art du retranchement restait tout de même loin des ingénieux systèmes que connut l’art de la guerre vers la fin du siècle. Le 5 septembre 1812, la Grande Armée affaiblie par sa marche de plus de deux mois dans les plaines russes, se présentait devant les redoutes russes. Elle avait déjà perdue près de la moitié de son effectif, du moins dans le corps principal commandé par l’Empereur.

Certaines disparités existaient en effet, le Maréchal Davout, économe et avare du sang de ses hommes présentait le corps dans le meilleur état, sans doute avec 60 % de son effectif. Mais la Cavalerie malmenée par l’intrépidité toujours meurtrière et gaspilleuse de Murat était dans un plus mauvais état, sans parler des divisions et unités étrangères souvent sujettes à une désertion endémique. Les Russes n’étaient pas dans un meilleur état, mais ils avaient l’avantage de défendre leur sol, et donc d’être motivés au point de vendre chèrement leurs vies, jusqu’aux frontières de l’impossible. Ils se montrèrent à Chevardino comme deux jours plus tard à Borodino, d’une bravoure inouïe, malgré l’effroyable boucherie qu’ils subirent. A défaut d’être suffisant pour la victoire, le prix à payer pour la Grande Armée devait se trouver lui aussi très élevé.

Napoléon de son côté a immédiatement relevé l’erreur de Koutouzov, et si Barclay qui a parcouru les lignes voit le danger et l’exprime vainement au général en chef, l’attaque française donne rapidement raison à l’habile tacticien. Menée de vive force, la position tactique de Chevardino, incomplète et impuissante, trop éloignée du système central des Russes, est enlevée par les Français par une attaque combinée. Elle fut prise en fin de journée, après un âpre combat où les Russes sans esprit de recul se firent tuer sur place, préfigurant les tragiques pertes de la journée de La Moskova. A 20 heures, la position était prise, menaçant directement tout le système russe. Le Général Bagration commandant la 2ème Armée, tenta en vain pendant deux heures de reprendre la position, entraînant avec lui une division de Grenadiers dans une mêlée indescriptible.

Dans la nuit déjà tombée depuis longtemps, les combats se poursuivirent à la lueur des éclairs des armes à feu et des canons. Efforts inutiles qui furent stoppés par Koutouzov lui-même ordonnant la retraite, le désarroi causé par cette défaite était grand. Les Russes en effet laissaient 7 000 hommes sur le terrain, sans compter quelques canons, les Français ayant tout de même perdu 4 000 des leurs, dans la fureur d’une bataille disputée. Contre toute attente, cette terrible bataille fut relativement salutaire pour les Russes, montrant à Koutouzov la justesse des remarques de Barclay. L’Armée dut toutefois dans l’urgence la plus absolue, creuser de nouvelles positions défensives autour de Borodino. Cependant, malgré une forte aile droite, l’aile gauche, et cela encore une fois contre les avis de Barclay, restait dans une position très dangereuse, un point faible qui ne fut pas sans être remarqué par l’Empereur Napoléon…

Une chose était claire et réjouissait les uns et l’autre, une grande bataille allait avoir lieu, elle était espérée comme décisive, la destruction de l’Armée russe, ou un coup d’arrêt à la progression française qui sauverait Moscou.

 

Mémoires de Faber du Faur, 1er septembre 1812 :

«Toute l’armée était concentrée en cercle autour de Ghyacz, parce qu’à la nouvelle que les russes venaient de recevoir Koutouzov pour chef, et que ce général paraissait intentionné d’accepter une batailles sur les rives de la Moskova, nos troupes avaient obtenu quelques jours de repos pour se disposer au combat et pour réorganiser les corps. Cette dernière mesure était de toute nécessité, car les régiments, les bataillons et les compagnies étaient, pour la plupart, surtout dans le 3ème corps d’armée, tellement diminués en nombre qu’on ne pouvait plus guère les regarder comme des unités tactiques. Nos trois brigades d’infanterie ne formèrent plus que trois bataillons […]Deux régiments portugais qui faisaient aussi partie de notre corps d’armée, se trouvaient dans le même état. Amenés des extrémités de l’Europe, offrant pour la stature, la physionomie, le teint et les coutumes, un contraste frappant avec les autres troupes, ils semblaient plutôt appartenir à une armée africaine qu’à une armée européenne. Ils avaient, comme tous les autres corps, franchi le Niémen au grand complet, mais ils avaient beaucoup souffert aux journées de Smolensk et de Valoutina, et de toutes les troupes, c’étaient peut-être celles qui, pendant le cours de la campagne, avaient le plus souffert de l’intempérie d’un climat rigoureux, des privations et des fatigues de tout genre, aussi n’étaient-ils plus qu’un petit nombre, réduits au-dessous du quart de leur état primitif, quand ils vinrent établir leur bivouac à côté du nôtre. Mais peu de jour après, ce faible reste disparut encore, tombés glorieusement à l’assaut des redoutes de Sémenovski, ils couvrirent de leurs corps, ainsi que des milliers de leurs compagnons d’armes les plaines ensanglantées de la Moskova. Peu d’entre eux virent l’antique cité des Czars, et ce peu encore, non accoutumé aux glaces du Nord, devient la proie des premiers frimas. Aucun d’eux n’a peut-être eu le bonheur de revoir le jardin des Hespérides et de la Lusitanie, ni saluer les champs fleuris du Paradis de la Guadiana, du Tage et du Duero ». /L

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