Cette bataille consomma la dernière tentative de Barclay et de Bagration d’arrêter la Grande Armée pourtant déjà sérieusement entamée par l’attrition en territoire russe. S’étant rejointe, les deux armées russes sous le commandement nominal de Barclay ne pouvait pas ne pas s’arrêter et faire face aux Français. Smolensk en effet était considérée depuis toujours comme la clef de Moscou et l’Etat-major russe et les soldats se décourageaient à battre en retraite. Barclay était brocardé et injurié et c’est avec inquiétude qu’il avait accepté de donner ce combat, sans trop se faire d’illusion. Ses effectifs forts d’environ 130 000 étaient en effet très inférieurs à ceux restants à Napoléon, étant de l’ordre de 180 000 hommes, mais en ordre plus dispersé.
En effet la Grande Armée quand elle se présente devant Smolensk arrive en échelon, et une part minime des deux armées fut engagée, que ce soit dans les rangs des Français ou de ceux des Russes, également du fait d’un terrain difficile. Le 15 août, les Français étaient tombés sur la division russe de Neverowski en avant de Smolensk qui avait subi de lourdes pertes, mais l’attaque de la ville ne devait commencer que le lendemain, 16 août. Elle donna lieu à une sévère canonnade entre les deux armées, mais les Russes étaient sérieusement retranchés dans les faubourgs et surtout derrière les antiques murailles de la cité. Les efforts de l’artillerie française, ne possédant pas sur place de pièces de siège furent vain et Napoléon dû se résoudre le lendemain à attaquer de vive force la cité Sainte.
L’attaque du 17 août devait être meurtrière pour les deux camps, les Français furent retenus par la résistance opiniâtre des Russes jusqu’au soir tandis que les tirs de l’artillerie française provoquaient l’incendie de la ville, où les constructions en bois, comme à Moscou dominaient. L’arrivée sans cesse de nouvelles troupes françaises et le danger de se trouver pris au piège, force Barclay à se résoudre à la retraite, chargeant Bagration de maintenir les routes ouvertes sur leurs arrières. Il craignait en effet fortement de se voir tourné par une des savantes manœuvres de l'Empereur génie militaire. Il laissait toutefois tout un corps pour retarder l’ennemi dans sa progression et lui permettre de gagner de vitesse les Français, toujours redoutables dans les poursuites.
L’incendie et l’arrière-garde russe empêchent les Français de prendre pied dans la ville avant le matin du 18 août mais les Russes ont pu détruire les ponts et de fait la Grande Armée ne pourra tenter le passage du fleuve qu’en fin de journée. Tactiquement la bataille de Smolensk est une large victoire française, les Russes sont en retraite, la ville est prise et leurs pertes ont été véritablement très fortes. Le sacrifice de l’arrière-garde russe n’y étant pas étranger, ainsi que la concentration de l’artillerie de Napoléon. L’Armée russe perd plus de 4 700 tués, 7 à 8 000 blessés, 200 canons et 2 000 prisonniers, sur le papier les résultats sont impressionnants. Les Français accusent 700 tués et 3 200 blessés dont beaucoup mourront par la suite. La fournaise de Smolensk cachait toutefois un échec stratégique certain. Les objectifs de l’Empereur n’avaient pas été remplis, à savoir la destruction de l’Armée russe. La ville de Smolensk avait été entièrement détruite ou peu s’en faut, par les flammes et avec elle disparaissait des tonnes d’approvisionnement qui lui manquait.
Les complications déjà grandes de l’intendance de la Grande Armée sur un territoire aussi particulier que celui de la Russie se faisaient déjà lourdement ressentir. A Smolensk, l’Armée principale que menait l’Empereur et forte à la traversée du Niémen de 250 000 hommes environ, était déjà réduite d’un tiers de son effectif, principalement par l’attrition, les maladies et l’épuisement dans les marches, le défaut de ressources alimentaires, l’intensité des combats contre les Russes. Cette victoire de Smolensk devait être finalement néfaste, incomplète, elle poussait l’Empereur à s’engager un peu plus loin pour tenter d’arracher une paix qui semblait lui échapper tout au long des kilomètres parcourus par ses grognards dans l’immensité russe.
Griois raconte à propos de cette bataille dans ses mémoires :
« Le 16 août nous nous mîmes en mouvement de fort bonne heure, et trouvâmes les hauteurs qui environnent Smolensk occupées par des corps de cavalerie ennemie. Notre division de cavalerie légère les chargea vigoureusement et les poursuivit jusque sous les murs de la ville, où elle fut arrêtée par le feu de l’artillerie et de l’infanterie. Je fis aussitôt avancer mon artillerie. Elle se mit en batterie sur deux points et canonna très vivement la place qui de son côté tirait continuellement sur nous. Le feu continua jusqu’au soir et devint bientôt général sur tous les fronts parce que les batteries des corps qui arrivaient successivement, joignirent leur feu au nôtre. J’eus deux pièces démontées et plusieurs chevaux furent tués […] L’ennemi avait encore, hors de la place, des troupes qui cherchaient à nous en éloigner et à reconnaître les mouvements de notre armée. Plusieurs escadrons de dragons russes s’approchèrent de nous dans cette intention. La 1ère brigade de dragons de notre corps reçut l’ordre de les charger, le 7ème soutenu par le 23ème se porta aussitôt à leur rencontre, les deux troupes s’abordèrent au galop et la mêlée fut vive et meurtrière. J’ai peu vu de charges de cavalerie poussées plus à fond, mais enfin les russes plièrent, ils se retirèrent en désordre sous les murs de la place, et mon artillerie qui n’était qu’à demi-portée, les canonna si bien que tous nos boulets et nos obus tombèrent au milieu d’eux et augmentèrent leur désarroi […] Vers 4 heures de l’après-midi, le 1er corps d’infanterie arriva, le Maréchal Davout m’appela et nous nous approchâmes le plus près possible des remparts malgré le feu de mousqueterie qui en partait. Il fit avancer quelques compagnie de voltigeurs pour repousser dans la place les tirailleurs ennemis et son artillerie m’ayant, vers le soir, remplacé il me donna l’ordre avec la mienne de rejoindre l’Empereur ».
« Le 17 août, toute l’armée étant réunie autour de Smolensk, l’Empereur fit attaquer la place de vive force par plusieurs corps d’infanterie. L’Armée russe étant également réunie sur ce point, la résistance fut d’autant plus vive que de la position qu’elle occupait sur les hauteurs de la rive droite du Dnieper, elle faisait relever par des troupes fraîches au moyen des ponts de communication établis sur le fleuve, les troupes qui avaient souffert. Nos attaques se succédèrent sans interruption pendant toute la journée. Souvent nous gagnions du terrain et pénétrions dans les faubourgs, mais de nouveaux efforts des Russes nous en délogeaient, et la nuit arriva sans que nous fussions maîtres de la place. Cette journée, où nos troupes montrèrent l’ardeur la plus brillante, fut très meurtrière et l’acharnement terrible de part et d’autre. […] La nuit venue, les Russes diminuèrent leur feu. Vers 23 heures il cessa entièrement et des flammes s’élevèrent de la place, bientôt l’incendie fut général et des tourbillons de feu et de fumée couvrirent la ville et éclairèrent les environs. Cet événement qui nous annonçait la retraite des Russes perdit son horreur à nos yeux, et le soldat n’y voyait que la ruine d’une ville qui lui avait résisté toute la journée ». /L