A qui profite le mythe des talibans

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Kaboul intensifie ses tentatives de s'entendre avec les talibans. Pour ce faire, des diplomates afghans ont même visité dans une prison pakistanaise le numéro deux de leur direction, le mollah Abdul Ghani Baradar. Kaboul déclare que sa libération impulserait le dialogue de paix. De l'avis des experts, les contacts avec Baradar poursuivent un autre objectif à savoir jouer la carte des talibans dans l'intérêt des forces politiques différentes de la région.

Le mollah Baradar, un fondateur des talibans en 1994 et la main droite du dirigeant du mouvement, le mollah Mohammad Omar, a été arrêté en 2010 à Karachi lors d'une opération conjointe de la CIA et des services secrets du Pakistan. Washington a d'abord qualifié cette opération de « coup dur contre les rebelles ». Il n'a compris que plus tard qu'à ce moment Baradar avait des contacts secrets avec les émissaires du président afghan Hamid Karzai. Islamabad s'est servi de la CIA pour les déjouer d'une façon élégante parce qu'ils ne s'inscrivaient pas dans ses projets. En plus, l'arrestation du numéro deux n'a pas fait la lumière sur l'endroit où se cachait le numéro un. Baradat joue de nouveau un rôle d'appât pour maintenir les pourparlers engagés avec les talibans. Il paraît que le dialogue apporte des résultats : les rebelles « ont une vision nouvelle de leurs perspectives dans une organisation future de l'Afghanistan », affirment à l'unisson les représentants de Kaboul et le nouvel ambassadeur américain James Cunningham.

Cependant le rôle des talibans a été joué dans les années 1990 et au début des années 2000. Il est peu probable que les talibans qui prétendent à une niche politique dans l'avenir puissent à nouveau mobiliser les Pachtounes en vue de s'emparer du pouvoir à Kaboul. Le tapage au sujet de Baradar et des talibans profite au premier chef aux Pakistanais, est convaincu Oleg Koulakov, professeur à l'Université militaire :

« Baradar est leur créature destinée à contrôler les questions ayant trait à l'Afghanistan pour que les développements soient prévisibles. Ils continuent de gonfler ce mythe. Soit dit en passant, les Américains ont aussi compris de quoi s'afgissait-il, mais ils ne peuvent pas faire marche arrière ce qui les agace. Bon gré mal gré, il est dans l'intérêt du Pakistan et dans l'intérêt des Etats-Unis et de l'OTAN de poursuivre la « talibanisation » du problème afghan. C'est dans cet ordre d'idées qu'évoluent tous les événements relatifs aux talibans. La direction aghane est également obligée d'apporter de l'eau au moulin de cette stratégie. Dans le cas contraire, si le régime de Kaboul parle objectiivement du rôle des talibans dans la vie politique actuelle, il sera discrédité. Le mythe est alimenté dans l'intérêt de toutes les parties. Tout ce manège avec les talibans : l'arrestation de l'un d'entre eux, puis la libération d'un autre, les négociations, etc., c'est toujours les épisodes d'un seul jeu ».

Ainsi une « talibanisation » artificielle du problème afghan est nécessaire aussi bien à Islamabad qu'à Kaboul. Force nous est de préciser pourquoi le Pentagone en a aussi besoin. Les pertes principales des Américains en Afghanistan ne sont pas infligées par les talibans, mais par des unités qui ne font pas partie de leur structure. Ces pertes sont infligées par toute sorte de détachements armés de la population locale. Mais reconnaître ce fait signifierait changer le fondement idéologique de la présence en Afghanistan : elle ne s'appellerait plus la lutte contre le terrorisme. Etant donné que les talibans conviennent au mieux au rôle d'ennemi, il importe de maintenir l'illusion que leur mouvement décide quelque chose et, par conséquent, que le mécanisme de dialogue est si important et qu'il faut l'huiler constamment. Ce qui est fait avec ardeur aussi bien à Washington qu'à Kaboul.

Le zèle de Kaboul en ce sens est même trop excessif. Baradar seul ne lui suffit pas. Kaboul propose de transférer cinq talibans de la prison de Guantanamo dans la prison militaire américaine du Qatar. Les Etats-Unis ne doivent pas l'accepter, estime Sergueï Demidenko, orientaliste de l'Institut des estimations et de l'analyse stratégiques :

« La position des Etats-Unis a toujours été dure pour ce qui est des terroristes. Ils font fi de toute opinion étrnagère : leur décision prime n'importe quelle opinion. Tous les transferts des prisonniers sont faits uniquement dans leurs intérêts ».

N'oublions pas une partie de plus qui tire profit du mythe en question : les talibans eux-mêmes. Grâce à ce mythe ils sont également impliqués dans le jeu et se voient bénéficier d'un poids dans le monde qu'ils ne possèdent pas en réalité. Sur fond d'une telle abondance d'interessés poursuivant leurs propres objectifs, les manipulations avec le mollah Baradar en détention peuvent devenir inutiles : le jeu va bon train sans lui. Dans ce contexte, la question de savoir s'il sera libéré ou non a peu d'importance. /L

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