Ce qui fut sera/Ce qui s’est fait se refera/Et il n’y a rien de nouveau sous le soleil (Ecclésiaste, 1,9). Dans les Anticipations de H.G. Wells publiées en 1902, nous pouvons lire cette brève explication du désenchantement exprimé et … presque chanté en troubadour du désespoir quintessencié : « C’était alors un lieu commun d’admettre que toutes les choses recommençaient, reparcouraient le cercle de leurs saisons premières (…) ». A cet imparfait optimiste nous apposerions sans la moindre hésitation un présent de vérité générale qui, tel un sceau éloquent, ressusciterais les observations de l’Ecclésiaste dont on ignore toujours l’identité réelle. S’il n’y a rien de nouveau en ce monde, que l’infernal manège de chevaux tourne-tourne sans se donner une seule seconde de répit à l’échelle d’une seule vie, d’une seule individualité prise à part, quid des régimes politiques ? Le XXème siècle a vu se bâtir des dictatures épouvantables, il a vu germer des pouvoirs qui pour seule planche de salut n’avait que leur lâcheté, leur traîtrise, leur hypocrisie. Ainsi du pouvoir fantoche de Pétain, figuration type du collabo ordinaire qui, tout en racontant des salades aux grands crédules de français, envoyaient d’autres bouffer les pissenlits par la racine sous prétexte qu’ils étaient des terroristes ou des gens de race inférieure qu’il convenait d’éliminer au plus vite. Certains connaissent le rôle de Mitterrand dans tout cela, doublement hypocrite car masqué par son appartenance à la Résistance. Ipso facto, on connaît fort bien le rôle écœurant du PS qui, bien des décennies plus tard, tâchera de se redonner des allures de noblesse en invoquant des principes républicains prometteurs de largesses fantasmagoriques. On tient parfois compte, hélas, rien que parfois, de ce que fut la prime jeunesse d’un exécrable Jean-Marie Le Pen qui, quoique peut-être détestable à ses heures de volubilité ex cathedra, a eu le mérite certain de rejoindre son père dans les rangs des résistants et de ne pas, par la suite, s’en targuer outre mesure. Or, ce n’était alors qu’un gamin, un ado comme on dit maintenant, sachant pertinemment ce qu’est le peloton d’exécution. Après la mort en janvier 96 de Mr Mitterrand, éminence jésuite dotée de deux visages, c’est l’UMP qui prit le relais, frigorifiant modérément les « exploits » antifrançais de ce dernier. Si Hollande se réclame de la norme la plus stricte, je crois qu’on pourrait encore en discuter, car, pour moi, la normalité des plus rigoureuses et imbattables, c’est bien celle de Mr Chirac. Un bon président, sans plus, un président tiède, adepte d’une stabilité un tantinet marécageuse. Ca chauffe en conséquence avec Mr Sarkozy, féal intransigeant de L’outre-Atlantique lancé à fond dans ses croisades couleur or noir et signées missions humanitaires. La France en pâtit, une marionnette ficelée de la tête jusqu’aux pieds commence à transparaître sur fond tricolore. Mais la culmination n’est pas encore là. Comme le soleil impose ses cycles à toutes, à tous et, décidément, à tout, les heures n’auront même pas besoin d’aller à rebours pour faire revenir le PS, yeux de biche et … pensées de braise. Le PS aime les bals masqués. A différentes époques, selon les enjeux que celles-ci discernent, les masques changent. Celui de Mr Hollande paraît tant et tant normal que l’on tomberait presque dans l’erreur d’estimer qu’il n’en porte point. Or, c’est en juxtaposant ses discours, c’est en lisant avec une attention suffisamment critique la presse de ces derniers mois, que l’on s’aperçoit du contraire. Les répliques abondent dans le sens de la laïcité, de la « morale laïque » traitée avec une piété digne des émois extatiques de caté, de la justice, de l’intégration totale des étrangers et d’autres matières que le PS élève au rang d’une métaphysique enfin cernée. Le 27 juillet, un article est publié dans la revue Libération intitulé Bientôt des cours de « morale laïque» à l’école. On y apprend que le ministre de l’Education, Vincent Peillon, exhorte la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale à « cogiter » sur la « morale laique » et la façon dont elle serait enseignée dès septembre dans les écoles françaises. Le choix du verbe cogiter, je l’avoue, m’a fait quelque peu sourire, car ce verbe, rarement employé, introduit un soupçon d’ironie. Cette ironie, qu’elle ait relevé d’un certain aléa lexical ou de la position personnelle de l’auteur, peu importe, est aussi la mienne. Pourquoi ? Selon la vision qu’a Mr Peillon de la laïcité, il s’agit d’une religion pour la République, de la foi laïque de Ferdinand Buisson (Mr Buisson était l’un des maîtres d’œuvre des lois sur la laïcité sous Jules Ferry). Et le philosophe Henri Pena-Ruiz de renchérir : « il s’agit de l’idée selon laquelle la morale n’appartient pas aux seules religions et qu’il existe des valeurs communes (…) sur lesquelles croyants, agnostiques et athées peuvent se retrouver » (extrait d’une interview accordée au Figaro). L’abstractionnisme de cette révélation – car elle a tout l’air d’être telle – est loin d’être si inoffensif que ça. Bien à l’opposé, il ouvre la voie à n’importe quelle manipulation de l’avis public, au conditionnement le plus arrogant inculqué à la douce, en intraveineuse. « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (Mat. 7/15), nous préviennent les Evangiles. Goûtons-y donc, un petit morceau ne nous fera pas de mal. Puisqu’il vient d’être question de l’Ecriture Sainte, restons dans le même esprit en nous penchant sur un article passionnant du Réseau Voltaire, au titre tout à la fois synthétique et global : La France selon François Hollande. Encore un apocryphe saisissant par sa force d’analyse et sa simplicité toute sèche, toute mâchée … Thierry Meyssan nous a une fois de plus gâtés. Voici, en version écourtée, ses réflexions sur les implicites hollandais : « Il est très difficile de cerner les convictions personnelles de François Hollande, tant l’homme s’est efforcé d’entretenir les ambigüités pour ratisser large et se forger une majorité » (…). Suite à quoi, Mr Meyssan nous invite à lire entre les lignes, à ouïr ce qui est murmuré dans les couloirs de l’Elysée sous la pression de patrons haut et loin perchés.
Premièrement, le 15 mai passé, Mr. Hollande a décidé d’honorer le fondateur de l’Ecole publique, gratuite et obligatoire, Mr Jules Ferry. Oui, en effet, quel écolier français ne connaît pas ce brave homme dont le nom revient constamment avec celui de Voltaire ou, un peu plus tard au collège-lycée, Jean Jaurès ? Or, en lui rendant hommage, le Président s’est senti obligé de présenter des excuses en rapport aux penchants – et c’est encore un euphémisme – colonialistes de cet humaniste de la science scolaire qui, comme l’a si bien démontré le philosophe et sociologue Michel Foucault, concevait l’école non point comme un lieu d’épanouissement, mais comme l’antichambre d’une caserne dont les enfants devaient sortir bien sages, bien pétris, tous coulés dans un seul et même moule. Le traitement réservé aux enfants d’étranger désireux de parler leur langue aux heures de récré était réputé pour son inégalable dureté. Georges Clémenceau, opposant résolu du système Ferry, radical au caractère trempé, n’avait de cesse que d’accuser notre mécène des masses de racisme (selon la formule de l’époque, reconnaissance du concept de « races supérieures »), d’ambitions expansionnistes juchées sur un patriotisme dépassant amplement les frontières françaises. Conclusion : Mr Hollande, selon Thierry Meyssan, entend réinstaurer l’école de Ferry … sans vouloir enfoncer le clou, j’ajouterais tout de même que c’est déjà chose faite, je me demande ce que l’on pourrait inventer de plus. Toutefois, retenant cet avis tout à fait pesé et réfléchi, je miserais plus sur l’hypothèse des velléités hollandaises. Les vicissitudes et perturbations accumulées ces trente dernières années sont telles qu’il faut bien au PS un frein de secours relativement totalitaire comme l’est l’école selon le modèle présenté. Le culte de la médiocrité tient non pas tant aux viles aspirations d’un Hollande manipulateur qu’aux conséquences lamentables d’une politique qui finit par faire de la France un pays incontrôlable. Le rétablissement de l’éducation autoritaire se présente comme une tentative de dernier recours.
Deuxièmement, Mr Meyssan s’est très judicieusement arrêté sur le discours prononcé par le Président à l’occasion du 70ème anniversaire du Vel’d’Hiv lors duquel le chef de l’Etat a fait ce que jamais aucun de ses prédécesseurs n’avait fait : il a mis en exergue la responsabilité entière de la France, du peuple français collaborateur conscient et engagé de Vichy, sans partage impliqué dans la déportation meurtrière de 13 152 juifs. En alignant les coupables avec n’importe quel français, chaque français a priori, sans nul égard à la Résistance qui compterait donc pour du beurre, sans nul égard pour des gens qui, malgré leur impuissance, n’ont pas dénoncé, ont abrité juifs, communistes, résistants, Mr Hollande a sordidement noircie l’image de son pays. L’auteur de l’article y voit surtout l’achèvement logique de la politique lancée par Sarkozy qui consiste à retirer à la France son identité, à lui crever l’œil, à en faire un état rabaissé, criblé sous le poids d’une responsabilité certes monstrueuse. Là encore, tout en reconnaissant le bien-fondé rationnel de cette explication, je tendrais davantage à voir en cette politique d’autoflagellation une tentative maladroite d’exhiber une objectivité que n’a bien sûr aucun état … ce qui est normal. Un président normal ne ment jamais, il sait reconnaître ses tares, il ne cache pas le bulletin trimestriel de son pays ! Cette coquetterie, à vrai dire étrange pour un Président, outre le fait qu’elle assène un coup terrible à l’œuvre gaulliste, ridiculise ses efforts de laïcisation religieuse.
Ainsi donc, tout en ne m’opposant pas aux thèses formulées par le directeur du Réseau Voltaire, bien plus, les trouvant courageuses et en beaucoup subtiles, je m’abstiendrais de diaboliser François Hollande, interprétant sa personnalité et la stratégie qu’elle dicte comme celle d’un homme faible, placé aux commandes d’un vaisseau tourmenté par deux courants opposés. Le pouvoir hollandais est en cela collaborationniste qu’il s’adapte aux circonstances sans tenter de les faire changer de cours. C’est un collaborationnisme mou, aussi gélatineux qu’un flamby, aussi fourbe que le PS à travers ses actes vus à présent à bonne distance. /L
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.