Les élections législatives en Ukraine sont prévues pour le 28 octobre, et pour le coup d'envoi de la campagne les favoris se sont préparés comme pour un combat entre adversaires qui se connaissent bien et savent également le fond de l'intrigue. Elle n'a d'ailleurs rien de nouveau.
Sous les drapeaux bleu-blanc on trouve le leader – le Parti des régions (au pouvoir), l'orange représente la coalition d'opposition Patrie qui comprend le parti Timochenko et le Front pour le changement dirigé par le ministre des Affaires étrangères de son gouvernement "orange", Arseni Iatseniouk. Les communistes, qui ferment la marche, comptent sur une participation minoritaire au parlement qui pourrait intéresser le vainqueur.
Et sans aucun drapeau ou slogan on trouve les projets des partis appelés symboliquement "Tierce force": UDAR dirigé par le célèbre boxeur Vitali Klitchko et Ukraine, en avant! de Natalia Korolevskaïa qui cherche à usurper à Ioulia Timochenko le statut de femme politique numéro 1 du pays.
Bref, on retrouve dans les rôles habituels pratiquement les mêmes acteurs, sans compter certains doubles. Ailleurs, cela aurait pu sembler ennuyeux, mais pas en Ukraine, où tout se transforme en festin pour gourmé politique. Même le congrès du Parti des régions.
Le parti d'une région, ou Le luxe sans plaisir
Le Parti des régions a organisé son congrès comme il se doit pour un parti au pouvoir, mais la liste électorale, selon les sources proches, a subi des changements jusqu'au dernier moment. Le luxe sans plaisir est le style du parti qui s'est retrouvé au pouvoir.
Après tout, le Parti des régions n'a pas été créé en tant que parti au pouvoir. Ni dans le but de lutter pour le pouvoir. C'était un parti d'une autre époque révolue depuis longtemps, une démonstration de force du clan de Donetsk (région située à l'est de l'Ukraine) qui savait efficacement régler les problèmes, y compris avec le président Koutchma.
La révolution orange a fait de ces gens un parti parlementaire. Et, d'une part, en obéissant à la réalité le parti a accepté les règles du jeu, en conformité avec lesquelles les questions gouvernementales se règlent aujourd'hui aux élections réelles. D'autre part, la situation dans laquelle il s'est retrouvé ne le forçait pas à apprendre les formes d'existence parlementaires normales. Il n'avait pas besoin de mener une campagne législative – il a toujours eu sous la main tout l'est de l'Ukraine condamné à voter pour lui.
Selon certains politologues ukrainiens, cette fois également le Parti des régions remportera une victoire arithmétique. Mais de toute évidence, cette victoire pourrait à nouveau soulever la question de savoir dans quelle mesure le parti a appris à être parlementaire.
Selon les observateurs, même en remportant la victoire dans la majorité des circonscriptions uninominales, les membres du parti au pouvoir n'obtiendront pas dans le futur parlement la majorité qui lui permettrait de diriger la coalition ayant la mainmise absolue sur le parlement et la possibilité, comme partout chez les voisins, d'éviter les discussions parlementaires avec l'opposition. Et en général prétendre, comme c'est le cas aujourd'hui, à la place qui doit revenir au parti au pouvoir dans la tradition postsoviétique.
Choisir entre les deux maux
La clé du succès continu du Parti des régions est l'éternelle dualité géographique de l'Ukraine, en fonction de laquelle l'appartenance à l'est ou à l'ouest du pays détermine presque automatiquement les dispositions politiques.
Mais de la même manière cette dualité protège l'Ukraine de l'ossification politique en empêchant un monopole politique de s'établir définitivement.
Cependant, tout n'est pas aussi simple qu'il ne paraît avec cette dualité. Les premiers doutes sur son immuabilité ont été éveillés par la révolution orange qui, contrairement à l'opinion répandue, a été nettement plus soutenue par l'est et le sud du pays qu'on ne pourrait l'imaginer, et aujourd'hui à Odessa et à Dniepropetrovsk on sourit avec nostalgie en se souvenant de l'élan de l'époque.
Après tout, les habitants de l'est de l'Ukraine ont toujours su que leur soutien très médiatisé du Parti des régions était également une illusion. Ils possèdent tellement d'informations compromettantes sur ce parti et ses leaders qu'ils pourraient donner cent points d'avance à leurs opposants idéologiques de l'ouest.
Mais c'est ce mythe de l'ouest, qui comme tous sont convaincus interdirait la langue russe et érigerait des monuments à Stepan Bandera (homme politique nationaliste ukrainien), qui poussait l'est à faire ce choix entre le sien, qui est mauvais, et celui, terrifiant, des autres.
Cependant, selon le politologue ukrainien Oles Doniï, il ne s'agit pas d'une division: "Il existe dans le cadre d'un même pays deux projets culturels – ukrainophone et russophone. Mais les deux sont ukrainiens, et non pas antagonistes."
D'autre part, selon les sociologues, sans politiser la question de la langue, elle ne pose problème qu'à 5-6% de la population. Et très lentement, dans la limite de la marge d'erreur des statistiques, les critères d'appartenance géographiques cessent de primer sur l'objectivité des sympathies et des déceptions politiques.
Les oranges ont fait un résultat légèrement meilleur à l'est aux dernières élections, les bleu-blanc ont gagné quelques points à l'ouest et au centre.
L'aptitude à éprouver une déception face aux "siens" (or c'est également un signe, certes indirect, de la capacité salutaire de faire un choix politique conscient) devient un véritable facteur électoral. Après tout, sur le Maïdan révolutionnaire (la place centrale de Kiev) les citoyens ne se faisaient aucune illusion au sujet de leurs leaders. On avait un sentiment d'une chance qui s'offrait, et dans l'euphorie de l'époque cette chance semblait réelle.
D'autant plus que la nature même de la révolution semblait lui prédire un avenir bourgeois-démocratique: au cœur du gouvernement était née une classe qui pouvait arriver au pouvoir non pas grâce aux jeux byzantins avec le président sortant Koutchma, mais en réussissant simplement à faire changer les règles du jeu.
Le bonheur d'un supporter
La révolution ukrainienne n'est pas devenue bourgeoise. La lutte pour le changement de ces règles du jeu n'a pas marqué un tournant – tout simplement parce qu'aucune lutte n'a eu lieu.
Disons, ceux qui, en accord avec les notions de la géographie ukrainienne étrange, devaient défendre les valeurs de l'est, ceux qui sponsorisent les protestations concernant l'entrée des navires de l'Otan en Crimée et le soutien national de la fraternité séculaire slaves, ont aussi facilement accepté la westernisation proclamée par la révolution.
L'Europe correspondait tout aussi bien aux plans de l'est que de l'ouest: Rinat Akhmetov (un des principaux sponsors du Partie des régions) a besoin d'investissements, et seule l'Europe peut lui en fournir, car l'argent en provenance de Russie pourrait lui coûter bien plus cher, y compris sur le plan politique.
Il s'est avéré que les oranges et les blanc-et-bleu n'avaient pas non plus de sujet politique pour débattre. Les leaders des premiers passaient facilement de l'autre côté de la ligne du front (et le feront une nouvelle fois si besoin), ce sont des gens d'un même groupe sanguin.
Nul n'est surpris de voir Anatoli Kinakh, le chef éternel de l'Union ukrainienne des industriels et des entrepreneurs, qui encore hier portait une écharpe orange, au poste de conseiller de Viktor Ianoukovitch, et l'un des sponsors et des militants du Maïdan, Petr Potochenko, occupe actuellement le poste de ministre ukrainien du Développement économique.
Il s'avère qu'il n'existe aucune division en Ukraine la départageant en ouest "démocratique" et en est "prorusse". Et personne n'était motivé moralement pour défendre les acquis de la révolution.
La révolution n'a pas changé le plus important: le fait que la politique en Ukraine était toujours une expression concentrée du business. C'est probablement pour cette raison que l'idéaliste obstiné Viktor Iouchtchenko paraissait aussi extravagant dans ce contexte.
Personne n'a l'intention de contester l'orientation politique du pays. Il s'agit donc d'un véritable appel l'offres. Et pour cette raison les favoris sont les mêmes et aucune nouvelle force politique attendue par l'Ukraine depuis longtemps ne verra le jour – des combattants aguerris luttent pour le business, les amateurs n'ont rien à faire ici.
Dans ces conditions, tout se transforme en technologie politique. Certains politologues ukrainiens, non sans cynisme, font remarquer que l'opposition n'a fait que gagner de l'emprisonnement de sa leader. Ioulia Timochenko s'est transformée pour l'opposition en une sorte d'ayatollah, elle est omniprésente – sur les écrans, dans les lettres, les slogans et les mémoires.
Timochenko est un signal de l'opposition à l'Occident, qui même avec beaucoup de volonté ne pourrait plus reconnaître la victoire de Viktor Ianoukovitch comme parfaitement légitime. Mais selon les experts, l'emprisonnement de Timochenko préserve l'opposition des erreurs inévitables qui sont toujours associées à sa campagne électorale.
Et comme auparavant, à côté des géants se trouvent les partis qui suscitent, malgré les grands noms inscrits dans leur histoire éphémère, encore plus de doute sur leurs véritables intentions politiques.
Ces soupçons concernent même les célébrités, Vitali Klitchko et Andreï Chevtchenko. Le dernier a soutenu Natalia Korolevskaïa qui, selon l'opinion générale, est appuyée par les cercles influents de Donetsk.
Et les partis fantômes, comme les appellent les sociologues, pourraient même accéder au parlement cette fois, ce qui ne change pas pour autant l'intrigue. Elle est la même – un match entre des rivaux qui se connaissent bien, or c'est toujours intéressant, c'est un derby.
D'autant plus qu'ils sont pratiquement les seuls intéressés par le résultat. Tous les autres sont des supporters. Ce qui n'est pas plus mal – si le match n'est pas truqué et si le juge est impartial. Mais la révolution a tout de même eu lieu en Ukraine: même Ianoukovitch serait incapable de privatiser ce juge comme on a l'habitude de le faire dans l'espace postsoviétique.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction