Le vicaire du Monastère masculin de la Sainte Trinité à Tcheboskary, l’Abbé Basile (Pasquier), explique dans une interview à La Voix de la Russie pourquoi il ne revient pas en France, son pays natal, ce qui l’attire en Russie, et pourquoi il aime le thé « à la russe ».
La Voix de la Russie : Révérend, racontez-nous comment vous vous êtes retrouvé en Russie ?
Abbé Basile : Par la volonté de Dieu. Je n'aurai jamais pu imaginer que je pourrais me retrouver dans ce pays, car à cette époque là, la Russie était un pays fermé aux européens. C’était encore l’URSS, un pays derrière un « rideau de fer », où de nombreuses personnes souffraient pour leur foi, vivaient dans des monastères fermés - telle était la politique de l’époque. Et l’autre côté de la médaille c’est la Russie Sainte, un énorme pays, qui a sa propre histoire dans l'Orthodoxie, un pays où le renouveau spirituel a commencé longtemps avant la Perestroïka, un renouveau spirituel qui ne s’est sans doute jamais arrêté.
Pourquoi la Russie ? Probablement parce que toutes mes pensées sont associées avec ce pays. Il y a longtemps, je suis allé en Israël, à Jérusalem, où j’étais moine dans l’un des monastères catholiques. Pendant plus de quinze ans, j'attendais un signe de Dieu. Je ne savais pas que fallait-il faire pour me retrouver dans une Église orthodoxe. Auparavant, j’ai entrepris de nombreuses tentatives, mais elles n’ont pas abouti.
En 1992, après l'effondrement de l'Union soviétique, j'ai été témoin d’un gigantesque « tsunami » une énorme foule de Russes est arrivée en Israël, et parmi eux, les orthodoxes étaient très nombreux. J'ai commencé à discuter avec eux, et ils m’ont « contaminé » avec une maladie, dont le nom est – « l'amour pour la Russie ». Ensuite, j’ai rencontré mon actuel évêque et d’autres membres du clergé orthodoxe. Par un concours de circonstances, je suis devenu intimement lié avec la Russie, et j’y vis depuis un peu plus de 18 ans maintenant.
LVdlR : Donc, la raison de votre arrivée en Russie est liée avec le départ des Russes de leur pays ?
A.B. : Oui, on peut le dire comme cela. Cette vague d'immigrés russes a influencé ma décision. C’est bien à Jérusalem que j’ai rencontré les Russes qui m’ont fait venir ici .
LVdlR : Comment avez-vous décidé de devenir prêtre ?
A.B. : Je ne dirais pas que j’ai pris cette décision dès mon enfance. Je sentais juste que je me dirige vers ce chemin. J'avais vingt ans, j'étais encore jeune et libre, capable de me marier, fonder une famille. Mais j'avais toujours un désir caché de devenir un moine. Je me suis retrouvé devant ce choix, car les deux choses étaient importantes pour moi.
Je suis venu voir un prêtre (maintenant il est l’abbé d’un monastère) et lui ai demandé : « Que dois-je faire ? ». Il ne m’a pas pressé et m’a juste dit que je dois bien y réfléchir. Et plus j’y pensais, plus j’avais envie de devenir moine. Ensuite, j’ai vécu dans un monastère (on peut dire que j’avais de l’expérience dans ce domaine), et je me suis mis à beaucoup lire. Et c’est ensuite que je me suis dit : « C’est apparemment mon destin ».
LVdlR : Qu'est-ce que vous aimez le plus en Russie ? Qu’est-ce qui vous déplaît le plus ?
A.B. : Je n'y pense même pas ! Je vis ici, c’est tout. Bien sûr, il y a des difficultés, des choses qui sont difficiles à affronter, mais les Russes ont du caractère. Je vis en Russie, et je m’inquiète pour elle. Même en cas de différends avec les pays européens, je soutiens le point de vue de la Russie, je la défends. Je pense que à l'heure actuelle, la Russie peut «répondre» et donner des enseignements aux autres pays, elle a le pouvoir de le faire. C’est pourquoi certains pays commencent à avoir peur d'elle et construire des intrigues derrière son dos. La Russie – c’est un grand pays qui a une énorme dignité.
Je suis très heureux de vivre avec le peuple russe. Les gens sont ouverts, accueillants et donnent tout ce qu'ils peuvent donner. Un sentiment d’innocence émane d’eux, la bonté… Les russes sont très ouverts, ils sont libres et aiment bien vivre. Les Français, ne sont pas comme cela, malheureusement, ils sont très fermés.
Récemment, on m’a proposé de rentrer en France pour servir l’Eglise orthodoxe russe là-bas. Et je doute sérieusement si je dois y aller ou rester ici. Mais pour l’instant, tous les événements montrent que j’ai rien à faire là-bas. Je n’exclus pas que j’y retournerai un jour, mais certainement pas maintenant.
LVldR : Est-ce que vous avez parfois un sentiment de nostalgie ?
A.B. : Seulement quand je vois des paysages français, des tableaux, des films. Je me rappelle alors que la France est un beau pays. Mais la Russie – c’est un pays «large» par son étendue, avec de jolis bouleaux, et une jolie nature.
LVdlR : Que diriez-vous aux Russes qui veulent quitter leur pays ?
A.B. : Partez, mais revenez vite ! (Sourit).
Je pense que tout se passe par la volonté de Dieu. Si c’est le destin d’une personne de partir, elle partira. Le Dieu a décidé de m'envoyer ici. Pendant la Révolution d’Octobre, un grand nombre de Russes ont émigré dans les pays occidentaux, cela faisait probablement partie du plan de Dieu. C’est un malheur, bien sûr, pour ceux qui étaient obligés de quitter leur terre natale. Mais il ne faut pas voir le négatif partout. Les Russes qui ont fui la Russie ont donné à l’Occident l’esprit russe et la foi russe. Et ces gens qui partent y vivre actuellement, eux aussi, vont y laisser une partie d'eux-mêmes.
LVdlR : Y a-t-il quelque chose dans les traditions russes que vous aimez beaucoup ?
A.B. : J’aime bien boire le thé. (Sourit)
LVdlR : Mais les Anglais boivent le thé aussi ?
A.B : Les Anglais boivent le thé à une heure précise, et les Russes quand ils le veulent. En fait, j'aime la tradition d'offrir du thé aux invités, l'hospitalité russe.
Les Français, par exemple sont des gens plutôt pédants qui peuvent ne pas vous inviter à table si vous n’êtes pas arrivé chez eux à l’heure du déjeuner. Ils vont vous demander d’attendre. Mais en Russie, ce n’est pas le cas. On vous mettra obligatoirement à table et vous donnera quelque chose à manger. Je me souviens de mes premiers jours à Moscou, lorsque j’ai visité plusieurs amis un après-midi et on a sorti de la bouillie, du thé, ou du sarrasin – il y avait toujours quelque chose à manger !
LVdlR : Vous ne regrettez donc pas vous être installé en Russie ?
A.B : Non ! Bien sûr que non ! Lorsqu’on on m'a demandé de revenir en France, j'ai immédiatement commencé à ressentir du désespoir et de l'angoisse : « Comment vais-je vivre sans la Russie ? » Maintenant, je comprends que quand je reviendrai en France, je vais m’installer dans un quartier où vivent des Russes. Je me suis habitué à eux, leur langue et leur mode de vie. /L