Le salon aéronautique de Farnborough, qui s'est achevé dimanche dernier, n'a apporté aux constructeurs russes ni grands succès, ni même une raison concrète de se réjouir. Il existe des raisons à cela et cette situation nécessite un long travail laborieux pour passer de la pause actuelle à une nouvelle phase. Seule la croissance significative et stable du secteur d'exportation de l'aviation civile pourra être considérée comme la véritable sortie de ce domaine vers une trajectoire de développement stable.
La désobéissance civile
Au cours des deux-trois dernières années, la Compagnie aéronautique unifiée (OAK) russe a ajouté à son "portfolio" activement présenté aux salons internationaux de nouveaux modèles d'avions de ligne.
En janvier 2011, les clients ont reçu le premier avion de ligne de série Sukhoi Superjet 100. En août, pendant le salon international de l'aéronautique MAKS-2011, l'OAK a conclu des contrats fermes pour 7 milliards de dollars pour le Superjet et l'avion moyen-courrier MS-21.
La poursuite de cette offensive lors du dernier salon aéronautique de Farnborough a échoué. Parmi les succès confirmés pour le SSJ-100, la compagnie aérienne mexicaine Interjet a converti cinq options d'achat du Superjet 100 en commande ferme (la commande atteint désormais 20 appareils). De plus, le président d'OAK Mikhaïl Pogossian a déclaré que des accords préalables ont été conclus pendant le salon pour de nouveaux contrats pour 40 appareils.
Mais le premier commanditaire du Superjet (la compagnie arménienne Armavia), après avoir exploité un avion a renoncé à l'achat de l'autre, en invoquant des difficultés financières. En ce qui concerne le MS-21, la situation n'est pas non plus réjouissante: il a été nécessaire de réduire le statut de la commande ferme pour 50 avions de la compagnie malaisienne Crecom jusqu'au niveau de l'option d'achat.
OAK, qui a dans son portefeuille un grand nombre de contrats importants et remplis avec succès pour du matériel militaire, n'arrive pas encore à "dompter" les exportations des avions civils. La logique est tout à fait transparente: pendant assez longtemps la Russie était en retard sur les pays occidentaux dans le domaine de l'aviation civile, et une pause de pratiquement vingt ans dans le développement de ce secteur n'a fait que creuser cet écart.
Toutefois, la Russie a toujours fabriqué du matériel militaire de qualité. Rien d'étonnant à ce que cette tendance se soit ancrée dans les stéréotypes occidentaux concernant la Russie.
A leurs yeux, la Russie fabrique d'excellentes armes, et elle s'y connaît, mais pour le reste, les Russes sont des enfants de la nature et vivent dans des conditions inhumaines, et par conséquent leurs avions civils sont une horreur en matière d'ergonomie et de confort.
Comme disait l'écrivain américain Neal Stephenson, demandez à un ingénieur soviétique de faire des chaussures et il vous apportera quelque chose qui ressemble à des boîtes pour ces chaussures, mais demander lui d'inventer quelque chose pour tuer, et vous aurez affaire à un véritable Thomas Edison.
On ne peut pas vraiment estimer pour l'instant tout l'impact de ce cliché pour le futur marketing des avions civils russes sur le marché extérieur. Le succès ne sera pas immédiat: même lorsque les héritiers des fiers appareils du passé soviétique atteindront le niveau de leurs analogues étrangers en termes de qualité et que leurs constructeurs créeront un service au client au moins équivalent (soyons francs, on en est loin), il restera encore l'inertie de la pensée du client.
Il faudra la briser littéralement, sans succomber à la possibilité tentante de se jeter dans les bras du budget public, étant attiré par le protectionnisme, et de cette merveilleuse façon se débarrasser de la nécessité de régler une grande part de problèmes purement techniques (et surtout ergonomiques).
La question est de savoir dans quelle mesure le management d'OAK est prêt à percer sur le marché mondial des avions de ligne.
Le règlement de la question de compétitivité des appareils civils (avec extension potentielle de la gamme de l'aviation de transport proposée), sera l'indicateur de la transformation d'OAK d'exportateur spécialisé d'appareils de l'aviation militaire tactique avec une énorme disproportion de développement en un consortium aérien équilibré et polyvalent, apte au développement stratégique stable des actifs.
"Une accalmie" chez les militaires
Il existe une motivation pour les changements imminents: les exportations de l'aviation militaire ont atteint leur plafond, et dans les prochaines années, avant la sortie sur le marché du chasseur de cinquième génération, il ne faut pas s'attendre à signer des contrats aussi importants que pour les Su-30 avec l'Inde et la Chine.
Cependant, pendant "l'accalmie" en attendant la version d'exportation du chasseur T-50, l'industrie aérienne russe a tout de même préparé un ensemble d'offres pour le marché extérieur. Ces dernières années, OAK a proposé plusieurs modèles potentiellement capables de relancer la demande qui diminue sur la famille "bestseller" des Su-30, devenus un symbole des succès russes dans l'aéronautique à la fin des années 1990.
Premièrement, il est question du Su-35, l'ultime version de la plateforme T-10 (Su-27, Su-30, Su-34, Su-35). Pour l'instant, aucune commande étrangère n'a été formulée pour cet avion, mais le potentiel d'exportation de cet appareil est suffisamment élevé pour prédire "l'inévitabilité éventuelle" de signature de contrats avec des clients étrangers dans les prochaines années.
Deuxièmement, il s'agit des avions de la compagnie MiG sur un nouveau châssis: le polyvalent MiG-29M/M2, le chasseur embarqué MiG-29K et le MiG-35, une sorte de dernière version du chasseur de la famille des MiG-29. Cette gamme a vu le jour avant le Su-35, mais son succès reste limité, hormis les contrats pour les avions embarqués pour l'aviation navale de l'Inde (et désormais de la Russie).
Enfin, troisièmement, c'est ce qui a été montré pendant le salon de Farnborough. Il s'agit du nouvel avion d'entraînement et de combat Iakovlev Iak-130, qui, hormis l'armée de l'air russe, est déjà fourni en Algérie. Le Vietnam, la Syrie et la Libye, peu de temps avant le début de la guerre en 2011 (ce contrat a été annulé) ont également passé commande.
L'appareil biplace moderne, initialement prévu pour la formation de pilotes, convient parfaitement pour le rôle d'avion d'assaut léger de par ses caractéristiques: une architecture ouverte de l'appareil permet facilement d'intégrer des armes guidés aussi bien russes qu'étrangères (ce qui est important lorsqu'on travail avec des clients étrangers).
Il est impossible de surestimer le besoin des pays de moyenne importance en avions de ce type. A titre de comparaison, l'avion d'attaque soviétique Su-25 (un avion plus cher et spécialisé) a participé à pratiquement toutes les guerres des 20 dernières années. Cet appareil léger, ayant le potentiel d'attaque d'avion d'assaut et capable d'embarquer un large éventail d'armes guidées présentes sur le marché, est une excellente solution pour des guerres de faible intensité et menées à coût réduit.
Que constate-t-on derrières ces trois "fleurons" de l'aviation tactique russe, à savoir Su-35, MiG-29M/MiG-29K/MiG-35 et Iak-130? Premièrement, une pause prononcée en raison du marketing du nouveau matériel (cela concerne principalement le Iak-130 et le Su-35). Il faudra encore promouvoir ces appareils sur le marché. Deuxièmement, tous ces avions sont en grande partie commandés par l'armée de l'air russe.
C'est la différence radicale par rapport à la situation prévalant 10-15 ans auparavant, lorsque les usines et les bureaux d'étude russes qui n'avaient pas mis la clé sous la porte travaillaient presque exclusivement pour des clients étrangers.
Exportations – commande de l'Etat – exportations
L'industrie aéronautique russe change progressivement son modèle de vente: le schéma de la croissance "ponctuelle" orienté sur les exportations et entraînant l'accumulation de disproportions systémiques dans le secteur et un travail arythmique des entreprises cède la place à un afflux plus stable de commandes, y compris grâce aux commandes de l'Etat des dernières années.
Les militaires russes achètent assez activement du nouveau matériel aéronautique. La fin des "vacances des achats" qui ont commencé en 1992-1993 (lorsque l'armée de l'air russe recevait les restes des commandes soviétiques), réduira l'impact de l'éventuelle stagnation de la demande étrangère sur le matériel aérien russe, en apportant aux constructeurs aéronautiques une plus grande diversification de sources de revenus.
Cette "pause opérationnelle" durera au moins 5-7 ans, après quoi on pourra parler du retour du paradigme d'exportation, mais sous une forme équilibrée. C'est avant tout la version d'exportation du chasseur T-50, déjà promis exclusivement à l'Inde à hauteur de 250 unités (projet FGFA), qui représente le principal intérêt du point de vue du marché extérieur.
Cependant, l'accent sur le T-50 fera revenir OAK à la situation où il sera plus simple de renommer la Compagnie en "Aviation tactique". Pour 2020 il faudra régler la question concernant les exportations des avions de ligne civils si on voulait l'éviter.
Dans ce cas la structure des ventes de l'OAK s'harmoniserait: l'entreprise produirait des avions civils et militaires d'un type nouveau, et ce, pour les clients aussi bien russes et qu'étrangers. Autrement dit, elle arriverait approximativement à ce que les constructeurs d'hélicoptères russes ont pratiquement réussi à faire grâce aux particularités du marché et à l'héritage soviétique
Mais pour cela il faudra faire du Superjet, du MS-21 et de leurs camarades éventuels un matériel aéronautique véritablement compétitif, respecté par le consommateur, gâté par les meilleurs modèles de Boeing, Airbus et Embraer. Un matériel qui n'est pas adapté au transport de passagers, mais y est destiné d'entrée de jeu.
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