Chaque année, fin juin-début juillet, la ville de Muzaffarnagar dans l'Etat de l'Uttar Pradesh, en Inde, devient pendant plusieurs jours un centre de festivités consacrées au début de la saison des pluies. D'habitude, on y convie des musiciens, des chanteurs et des danseurs indiens célèbres. Mais cette fois, les invités étaient très spéciaux - la municipalité a invité des guerriers sikhs à venir montrer leur art. En Inde contemporaine, on peut rarement voir des combattants maîtrisant le Gatka, un art martial datant du Moyen Age et pratiqué par les sikhs, les adeptes de la religion locale.
Un turban dans les règles de l'art
"Auparavant, tous les Sikhs maîtrisaient l'épée et le bâton de combat. Mais aujourd'hui, peu savent le faire, et pour cette raison, nous nous efforçons de préserver cet art martial et d'en faire la promotion", déclare Kanwaljeet Singh, chef de la troupe Bir Khalsa, qu'on pourrait traduire comme Courage des Sikhs.
Nous discutons dans un local où les Sikhs se préparent au spectacle. Ils se produisent vêtus de costumes traditionnels qui, comme il s'est avéré, sont très difficile à mettre. Le plus important est le turban de combat spécial, appelé dhamala (ou dhoumalla).
Les Sikhs ne portent pas de casque, mais un turban de combat enroulé autour de la tête et permettant même de parer un coup d'épée glissant. "Mais il ne faut pas prendre un coup droit", m'a-t-on dit. L'enroulement du dhamala autour de la tête demande presque une heure - on enroule plusieurs couches de tissu, on le fixe, et on l'orne de ficelles et de perles.
Guillaume Tell avec l'accent sikh
Ensuite, le spectacle a commencé. Les Sikhs sont plutôt habitués à montrer leur art dans un champ et auprès des membres de leur communauté. Cependant, sur scène, ils se sont sentis également à l'aise. Pour commencer, ils ont fait une démonstration de combat au bâton et à l'épée accompagnée par les mélodies rythmiques de Pendjab. L'épée courte (sabre) des Sikhs est appelée kirpan - beaucoup de membres de Bir Khalsa possèdent cette arme forgée ancestrale.
Toutefois, le point culminant du spectacle a été la démonstration "de la force, de la résistance et du courage". Cela fait également partie de la coutume - entre les combats, dans des bivouacs de guerre, les Sikhs organisaient également ce genre de compétitions.
Par ailleurs, la modernité apporte ses changements. Sur scène, les Sikhs ont cassé avec leurs dents des ampoules, qui, évidemment, n'existaient pas au Moyen Âge. Ils ont fendu des morceaux de glace avec leurs épées et ont fait éclater des noix de coco sur les têtes de leurs partenaires.
Ensuite, on a assisté à la présentation "de la précision et du contrôle de distance". Le chef de la troupe Bir Khalsa, Kanwaljeet Singh, les yeux bandés, a fracassé avec une masse des noix de coco et des pastèques posées à côté des têtes de ses camarades. Le public était figé de peur, mais tout s'est bien passé - la masse du maître n'a laissé que des miettes de pastèques et de noix coco, épargnant les têtes.
"Si vous voulez assister à nos entraînements, venez dans notre école à Tarn Taran, a déclaré Kanwaljeet Singh. Le correspondant de RIA Novosti a accepté volontiers cette invitation.
A la croisée de l'indouisme et de l'islam
Le sikhisme est une religion jeune. Son fondateur Guru Nanak l'a créée au XVe siècle, en croisant l'indouisme avec l'islam. Les Sikhs vivent en Inde, principalement dans les Etats Pendjab et Haryana.
Le dixième gourou sikh Gobind Singh (1675-1708) a fait une profonde réorganisation. Il a instauré des accessoires sikhs obligatoires pour les hommes: des cheveux longs rangés dans le turban, un poignard ou un kirpan sur le côté, un peigne, un bracelet en acier et une tenue particulière. Depuis cette époque, les Sikhs ont commencé à se distinguer de la population indienne.
Khalsa, tel est le nom de la communauté sikh, doit savoir défendre sa foi dans le milieu musulman et indou. D'ailleurs, les Grands Moghols, dirigeants de l'Inde au Moyen Âge, cherchaient constamment à les convertir à l'islam par la force, et ce par des moyens très cruels.
Progressivement, le sikhisme s'est transformé en une religion paramilitaire, où le courage et le dévouement étaient considérés comme des vertus religieuses. Après la cérémonie d'initiation, chaque garçon sikh reçoit le préfixe singh devant son nom, qui signifie lion.
Au Moyen Âge et à l'ère moderne, les Sikhs étaient considérés comme les meilleurs guerriers du nord de l'Inde. Ce n'est pas par hasard s'ils ont stoppé la progression triomphale des troupes coloniales britanniques dans l'Hindoustan. Londres a connu deux guerres sanglantes contre les Sikhs, avant de s'emparer de la principauté du Pendjab, la patrie des Sikhs. Et aujourd'hui, beaucoup de Sikhs servent dans l'armée et la police.
Le combat à l'épée au lieu de l'opium
La ville de Tarn Taran est située dans le centre de Pendjab. Cette ville sikhe est connue pour son Gurdwara (temple sikh) Sri Darbar Sahib. C'est l'un des sanctuaires les plus célèbres du monde sikh - les gourous sikhs prêchaient ici.
L'école où s'entraînent ceux qui veulent apprendre le Gatka se trouve tout près du Gurdwara. Les cours ont lieu sur le toit d'une résidence pour pèlerins située à l'entrée du temple.
Les entraînements commencent à l'aube, aux alentours de 5 heures du matin. En milieu de journée, il fait trop chaud. Et les filles sont les premières à venir à l'entraînement - elles pratiquent également le Gatka. Les filles, majoritairement des lycéennes, maîtrisent plutôt bien l'épée et le bouclier.
"Notre idéal, ce sont les femmes guerrières du Moyen Âge. A l'époque, les femmes sikhes se battaient souvent à l'égal de l'homme", a expliqué une fille en serrant une épée contre sa poitrine.
Ensuite, c'était le tour des jeunes hommes. Beaucoup d'entre eux maîtrisent vraiment bien le kirpan. Mais les cours commencent par des exercices avec le bâton. En fait, à l'origine, le terme Gatka signifiait bâton (ou crosse), et on considère l'aptitude à se défendre avec un simple bâton tout aussi importante que la maîtrise de l'épée.
On m'a également montré une arme un peu oubliée - chaakara. C'est un bouclier tressé qu'il faut tourner rapidement. On l'utilise pour se protéger, par exemple, contre les flèches et les lances. Mais on l'utilisait le plus souvent dans le combat pour tromper l'ennemi - en le jetant sur l'ennemi et en bloquant ses mouvements pour lui porter un coup fatal.
"Vous savez, aujourd'hui il y a beaucoup de problèmes à Pendjab - la criminalité, et la toxicomanie qui augmente. Nous voulons que nos jeunes se retrouvent dans le Gatka. Nous prônons un mode de vie sain, la force et le courage, on s'efforce de ne pas laisser les jeunes toucher à la drogue ou autres saloperies", affirme Kanwaljeet Singh.
Combat d'entraînement avec des épées bien réelles
Les cours se terminent par des combats d'entraînement à l'épée. Dans cet exercice, le perdant est celui qui laisse passer un coup ou sort en dehors du cercle.
Les combattants doivent arrêter leurs coups et ne frapper de toute leur force en aucun cas. Les adversaires se battaient avec tant d'acharnement que parfois l'arbitre devait les retenir, car ce sont des épées réelles.
Pour terminer, les élèves de l'école Bir Khalsa ont voulu montrer au journaliste russe tout leur courage et leur force. Nous sommes sortis dans la rue où l'un d'eux s'est couché au sol en posant sa tête dans une encoche faite dans un rondin, et l'un des Sikhs a roulé sur le rondin avec un 4x4, pratiquement sur la tête de son camarade. Ce dernier s'est relevé comme si de rien n'était. "Que les Russes sachent à quel point nous sommes forts!", ont-ils déclaré au correspondant de RIA Novosti.
