Lors du discours du Premier ministre à l’Hémisphère le tollé n’était pas bien sûr général mais au bout de la première heure la tension grimpa d’un cran. Le discours de la méthode, comme il a été baptisé par les éditorialistes des grands médias, était censé donner le ton au développement économique, politique et social de la France. Bien malheureusement, si l’on s’en remet à la réaction des députés qui ont été présents à cette session extraordinaire, l’Assemblée était plus que partagée. En tout cas, on peut avancer sans états d’âme que les idées de Jean-Marc Ayrault n’ont certainement pas fait l’unanimité. Très peu de concret et beaucoup de brouillard – un peu comme le bikini où l’on voit le superflu et où l’on vous cache l’essentiel.
Dommage pour un premier ministre qui a voulu embarquer la France dans une aventure passionnelle de ralliement au nom de François Hollande. Hélas ! François II n’a vraiment pas l’étoffe du général mais plutôt celle d’un Louis XVI : Beaucoup de bonhomie superficielle et l’impression d’un homme frustré, aux prises avec ses complexes psychologiques générés par son père « droitiste ». L’ennui est que la France puisse en pâtir. Si l’on analyse les tenants et les aboutissants on aura vite fait de comprendre que le message du chef du gouvernement est sans queue ni tête. Hormis le serment d’allégeance à l’égard de son supérieur hiérarchique, on ne voit pas trop où Jean-Marc veut en venir.
Mais voici ce qu’il a dit sur le volet international de la politique française :
Jean-Marc Ayrault. Quant à la Syrie, il est temps de mettre fin à la spirale de répression en mobilisant la communauté internationale en faveur d’une transition politique qui passe – et c’est la position de la France ! – par le départ de Bachar al-Assad et la France y prend toute sa part et notamment cette semaine avec la conférence de l’opposition le 6 juillet prochain. En Afrique la construction d’états démocratiques a tout notre soutien. Nous nous attacherons à développer avec les pays qui le souhaitent des relations d’égal à égal reposant sur la bonne gouvernance, le développement et la mobilisation de toutes les énergies. Comme vous et moi vous avez été marqués par ces images des dernières heures : la destruction de plusieurs mausolées à Tombouctou rappelle que nous sommes confrontés aux forces les plus obscurantistes qui sont encore à l’œuvre, qui n’ont pas disparu. Eh bien, notre détermination sera totale pour empêcher les groupes comme Akmi de constituer au nord du Mali des bastions du terrorisme international qui menacent la paix et la prospérité de l’ensemble de la région comme notre propre sécurité.
Nous sommes également déterminés à empêcher la fuite en avant du programme nucléaire iranien par la fermeté et les sanctions tout en préservant la voie du dialogue. Et en matière de défense ; le gouvernement mettra en œuvre les engagements du Président de la République approuvés par les Français, chef des armées. Le retrait de l’Afghanistan des forces françaises combattantes sera effectif à la fin de cette année.
Alors pour préparer l’avenir, un Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale sera élaboré pour la fin de cette année et présentée à cette assemblée au début 2013 avec une loi de programmation militaire qui suivra. Les choix qui s’imposeront se feront dans la transparence et la cohérence, dans le cadre d’un grand débat ouvert et démocratique d’abord et associera la représentation nationale. Mais ces choix ont un objectif, une priorité : c’est assurer les conditions de notre indépendance ; notre force de dissuasion – garantie essentielle e notre sécurité sera maintenue. Et nous nous engagerons absolument en faveur de l’Europe de la Défense qui doit prendre une nouvelle dimension. Quant au retour dans le comportement intégré de l’OTAN, nous serons fidèles à nos alliances mais nous ferons l’évaluation des conditions dans lesquelles il s’est réalisé. Mesdames, Messieurs les députés, de la majorité comme de l’opposition, je voudrais saluer devant vous les femmes et les hommes, militaires et civils, engagés dans la défense de notre pays. Ma compassion et ma solidarité va à nos soldats morts ou blessés en opération, aux 87 soldats morts pour la France en Afghanistan, aux familles des soldats tués, aux blessés qui restent meurtris dans leur chair, je veux dire ici, au nom de la nation toute entière, comme l’a fait le Président de la République aux Invalides il y a quelques jours que nous avons le devoir de les accompagner et que nous ne les oublierons pas ! »
Pour apprécier toute la portée et la signification de ce message qui se veut historique nous avons fait appel aux compétences d’un politologue et journaliste français invétéré Dimitri de Kochko :
Dimitri de Kochko. Moi, je dirais d’abord que dans ce discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault l’attention a été essentiellement portée sur la tension économique et donc sur les aspects intérieurs qui a d’ailleurs occupé la majorité de l’heure et demi que cela a duré. Mais vers la fin il y a eu effectivement l’intervention sur la politique extérieure je dirais d’abord assez faible et assez peu précise en dehors de ce que vous citez sur la Syrie et le départ de Bachar al-Assad. Je dirais que c’est un peu étonnant tout de même de la part justement d’un nouveau gouvernement – d’un gouvernement qui s’inscrit quand même dans une tradition française de politique au Moyen-Orient, de présence dans la Méditerranée d’une politique « arabe » comme on l’a appelé souvent dans la succession et l’héritage du général de Gaulle ! – de prendre fait et cause tout de suite pour une politique qui n’est pas forcément française qu’il soit entre guillemets. Cette politique est une continuité d’alignement de Sarkozy sur les positions états-uniens, voire britanniques et d’autres pays sans doute de la région du Proche-Orient contre la Syrie, contre le régime alaouite et baassiste de Bachar al-Assad. Je dirais évidemment qu’il est un peu étonnant qu’un gouvernement étranger pose comme condition le départ d’un chef d’Etat… C’est arrivé notamment en Libye il n’y a pas longtemps mais cela n’a pas été la campagne la plus glorieuse à laquelle était mêlée la France plus financements des certaines campagnes électorales, etc. font peser des doutes et des points d’interrogation sur cet aspect des choses et notamment sur le coût de cette campagne contre la Libye alors que la France ploie sous le déficit. Et que l’aspect essentiel de Jean-Marc Ayrault c’était quand même l’augmentation des impôts et l’annonce d’une austérité que surtout on ne nomme pas, dont on ne veut certainement pas parler mais cela reste là parce que ce sont des mesures d’alourdissement fiscal, des suppressions d’emploi des fonctionnaires qui ont été annoncées. C’est parce que sans doute aucun gouvernement ne pourrait faire autrement ! Donc c’est étonnant qu’il y ait eu tout de suite une position aussi tranchée et je dirais aussi peu conforme à certains principes de l’ONU.
Pour ce qui est des autres positions, elles sont beaucoup plus floues et je dirais plus nuancées : elles laissent des portes entrouvertes. Alors c’est le cas à propos de l’Iran où on continue de suivre la politique bien évidemment alignée sur les Etats-Unis et sur ses alliés… Donc là pas de changement au niveau de la qualification du programme nucléaire. Mais en revanche on n’exclut pas le dialogue. Donc là toutes les portes ne sont pas fermées et on peut l’espérer.
Ensuite sur l’OTAN réaction… là aussi on sent qu’il laisse entrouverte la porte avec un peu d’esprit critique puisqu’on dit on va regarder quand même dans quelles s’est faite la réintégration dans l’organisation militaire dont je vous rappelle De Gaulle avait sorti la France. Il ne l’avait jamais sortie de l’OTAN comme organisation mais il l’avait sortie de la partie militaire. Et c’est Sarkozy qui a remis la France dans l’organisation militaire dans des conditions de pure capitulation il faut bien le dire, sans avoir presque rien obtenu ou même rien si ce n’est que la France prenne en charge des dépenses que ne voulaient pas prendre en charge les Etats-Unis ! Donc c’était un marché de dupes total !
Ensuite il y a eu sur le Mali. Là aussi c’est important. Parce qu’il a dit que la France était lasse de ce qu’on appelle « la France-Afrique ». C’est évident qu’à peu près tous les gouvernements français je dirais, depuis la Quatrième République, la Quatrième République y compris, cela a été presqu’institutionnellement avalisé sous de Gaulle avec ce qu’on a appelé le réseau de Focart… Les relations avec les nouveaux états indépendants de l’Afrique Noire après la guerre d’Algérie ont toujours été marquées par les relations pas très saines au niveau financier et quand on a parlé de la France-Afrique, cela voulait dire simplement que de l’argent a été versé des contribuables français en aide au développement des pays africains et que, malheureusement, cet argent-là n’allait pas aux populations africaines mais restait dans des sénacles des chefs d’Etat ou des certains milieux des différents pays africains. Et donc une partie aussi revenait dans des pays occidentaux que ce soit en Suisse, dans des hôtels particuliers parisiens. Ou bien il s’agit des certains politiques français qui recevaient des rétrocommissions soit pour leurs buts politiques soit pour d’autres raisons. C’est un peu ça que l’on a appelé la France-Afrique, comme la pompe-Afrique, etc. C’est pas la première fois que les gouvernements français disent : « On va mettre fin à ça ! » Mitterrand l’avait fait et puis s’était empressé de continuer la même politique avec son conseiller aux affaires africaines. Ce n’est pas très facile non plus de rendre des positions, car la France qui avait des positions privilégiées en Afrique, surtout en Afrique francophone, est évidemment menacée par la concurrence chinoise et américaine. Notamment pour les sources des matières premières et notamment de l’uranium ou d’autres matières premières rares et nécessaires à la France.
Et c’est le cas évidemment avec cette guerre du Nord Mali où les populations touaregs et d’autres populations locales ont été visiblement prises en main par des groupes islamistes, extrémistes qui ont profité de l’armement libyen de l’armée du colonel Kadhafi et qui maintenant peuvent se permettre de prendre sous tutelle et de transformer en sanctuaire le Nord du Mali qui deviendra une seconde zone tribale pakistanaise en quelque sorte ou en tout cas qui rêve de s’orienter vers ça. Et il est évident que la destruction de quelques temples y compris musulmans puisque c’était des temples consacrés à des saints qui n’étaient pas très conformes à l’orthodoxie musulmane, certes, amis qui est dans la tradition locale. Et que les gens vénèrent et qui est à ce titre évidemment odieux de détruire comme cela a été par les groupes islamistes qui ont détruit plusieurs temples religieux dans la région de Tombouctou et ailleurs au Sud du Sahara.
Malheureusement, Jean-Marc Ayrault n’a pas continué mais il aurait pu nous aussi nous serons confrontés à cet obscurantisme-là en France. Nous y sommes cvonfrontés et cela fera aussi l’un des grands problèmes de ce quinquennat ; Comment va-t-il se comporter par rapport à ça ? Comment y aura-t-il un lien avec notamment le vote des étrangers ? Il en a parlé aussi dans son discours de politique générale – des étrangers qui vivraient France depuis plus de 5 ans, légalement bien sûr. Mais il n’a pas parlé du tout d’une réciprocité. C'est-à-dire des pays d’origine des gens qui seraient admis à voter en France. Mais il n’en a pas été question mais je pense que là la question de constitutionnalité sera sans doute posée par l’opposition parce qu’il y en aura une.
Ce n’est pas le point fort du discours de Jean-Marc Ayrault mais vous voyez, il y avait quand même des choses à dire. »
Je n’aurais rien à ajouter à cela parce que nous sommes à l’unisson avec Dimutri. Rien n’a été dit par le Premier ministre sur ses relations respectives avec l’Est du continent où la France est ancrée ; Aucun passage sur la Russie ou la Chine ou les prétentions néoosmaniennes de la Turquie. Rien sur l’avènement des frères musulmans en Egypte. J’ai eu bizarrement l’impression d’un homme un peu gâteux qui se réfugie dans son passé sans vouloir endosser le chèque de la modernité. C’est un peu comme si Ayrault se pensait toujours à l’époque du Général mais à une seule différence près : sans sa politique, et son art guerrier et diplomatique.
Il serait intéressant d’écouter un passage très lyrique de ce discours à l’Hémisphère consacré à la perception de la France par son Premier ministre :
Jean-Marc Ayrault. La France est un vieux pays d’un vieux continent. Mais c’est aussi un pays neuf, un pays moderne, à la créativité intacte où il y a tant d’énergie qui ne demande qu’à être libérée, tant de talents dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos quartiers, dans nos banlieues, tant d’idées qui attendent de s’exprimer ! Voilà ce qui me rend confiant ! Oui, Mesdames et Messieurs les Députés, nous avons reçu la France en héritage. Nous sommes fiers de son modèle qui porte le si beau nom de République. Sur le fronton de nos écoles et de nos mairies sont inscrites nos valeurs. Elles ont permis à des femmes et à des hommes e toutes origines, de toutes conditions, de toutes religions, de toutes philosophies de vivre ensemble comme nulle part ailleurs au monde ! Et elles ont permis d’élever des générations à une vie meilleure ! La France c’est plus qu’une histoire ! Elle est une idée de la condition humaine ! C’est une dimension qu’aucun marché ne prendra jamais en compte ! Ce sont ces valeurs qui ne sont pas cotées mais qui pour nous n’ont pas de prix ! Aucune agence ne notera jamais notre rêve. Le rêve français parce qu’il ne relève que de notre confiance et qui ne relève que de la confiance des Françaises et des Français ! J’ai l’honneur du premier alinéa de l’article 49 de notre Constitution d’engager la responsabilité du gouvernement sur la présente déclaration de politique générale. »
Les valeurs de la France ne sont pas cotées. Nous vous le rendons bien, Monsieur Ayrault ! Mais il ya 20 ou 30 années la France se trouvait à une bifurcation et je ne suis pas sûr que vous ayez choisi la bonne route.
Le premier scénario vous eût permis de continuer plus loin avec les valeurs historiques du centre de la civilisation chrétienne construite par des guerriers normands il y a mille ans à peu près. Cette voie reste toujours praticable. Mais cela se fera en fonction du choix d’une population partiellement renouvelée et qui n’est plus de la même souche comme cela a été le cas auparavant.
Le deuxième scénario, cher au cœur de Monsieur Bline-Bline, le petit Nicolas, voudrait que la France devienne définitivement un sous-fifre de la politique américaine et renonce à ses propres valeurs. Bien malheureusement, cette voie semble être la plus privilégiée pour les socialistes qui transforme le pays en un pays quelconque comme la Belgique ou le Danemark ou peut être pire.
Le troisième scénario se résumerait par une prise de conscience des nouveaux citoyens de la France qu’il faut également respecter puisque les Français les ont fait vivre sous leur toit. Je ne comprends pas comment la cohabitation ne dégénérerait pas en conflit ouvert mais peut-être qu’après il y aura tout de même la paix sociale.
Quel que soit le scénario, nous voyons que le prochain quinquennat risque d’être des plus mouvementés. /L