Le joker turc dans le jeu syrien

© RIA Novosti . Sergei Guneev / Accéder à la base multimédiaPrésident syrien Bachar al-Assad
Président syrien Bachar al-Assad - Sputnik Afrique
S'abonner
L'interview d'excuses (ou plutôt de regret) du président syrien Bachar al-Assad accordée au quotidien turc Cumhuriyet, pourrait, avec un peu de volonté, être considérée comme un événement plus important que les conférences internationales diverses et variées portant sur l'avenir de la Syrie, aussi bien à Genève qu'au Caire.

L'interview d'excuses (ou plutôt de regret) du président syrien Bachar al-Assad accordée au quotidien turc Cumhuriyet, pourrait, avec un peu de volonté, être considérée comme un événement plus important que les conférences internationales diverses et variées portant sur l'avenir de la Syrie, aussi bien à Genève qu'au Caire.

Le fait est que le conflit avec la Turquie à cause de l'avion de reconnaissance turc abattu par les Syriens pourrait, qui sait, être une affaire très grave. Et si l'opposition syrienne mettra encore beaucoup de temps à prouver sa capacité à vaincre le régime, la Turquie pourrait y contribuer de manière considérable et rapide, sans même tenir compte de l'Otan, dont Ankara est membre. Mais pour l'instant, on n'est pas là. Quoi que la Turquie ait déployé des chars et des unités supplémentaires sur la frontière.

Aucun appel de Damas

Dans cette interview du président syrien, le plus intéressant ne concerne pas sa description plutôt sincère de ce qui s'est passé, mais la mention du fait suivant: "Après avoir remplacé son chef d'état-major, le gouvernement turc lui a interdit d'entretenir des contacts avec nous. Nous n'avons même pas de numéro de téléphone d'un commandant turc à appeler en cas d'urgence", a déclaré al-Assad. Mais pour quelle raison les autorités turques donnent-elles de telles instructions à leur état-major?

L'histoire des relations entre la Syrie et la Turquie est aussi sinueuse que toute la politique turque au Proche-Orient. Cette politique a attiré l'attention avant tout début juin 2010, lorsque les forces spéciales israéliennes ont attaqué la Flottille de la paix qui allait percer le blocus israélien de la bande de Gaza (le territoire palestinien). Les Turcs faisaient partie des principaux initiateurs de cette "flottille".

A l'époque on posait déjà la question: qu'est-ce qui se passe? Les réponses étaient nombreuses. En particulier celle consistant à dire que la Turquie crée son propre mini-empire, ou une zone d'influence le long de ses propres frontières, qu'elle établit des relations avec l'Iran et se fait des amis en se querellant avec Israël. A l'époque, tout le monde faisait partie du cercle de ses amis (à l'exception d'Israël), y compris la Syrie.

Et aujourd'hui, on assiste à un zigzag politique: un véritable conflit avec la Syrie, ce qui ne réjouit certainement pas l'Iran. Ce n'est pas un secret que la Turquie voisine représente une ligne arrière fiable pour une partie de l'opposition syrienne armée et non armée. 33.000 personnes vivent déjà dans des camps de réfugiés turcs. On estime que Damas a désappointé Ankara en hébergeant les Kurdes hostiles au régime turc.

Simplement des voisins fâchés? Apparemment, il ne s'agit pas seulement de cela. Le fait est que nous avons affaire à une nouvelle politique de la Turquie, même par rapport à 2010 et ses épisodes anti-israéliens. Les éléments nouveaux depuis cette époque sont les émeutes, les guerres et les coups d'Etat dans le monde arabe. Ce que les Américains appelaient "printemps arabe", même si tous reconnaissent aujourd'hui de plus en plus que cela ressemble plutôt à un hiver.

Une nouvelle politique

Dans le champ informationnel russe, il n'est pas si simple de trouver des commentaires sensés concernant la Turquie et son éternelle recherche d'une nouvelle politique. La plus intéressante analyse est probablement l'appréciation de Vladimir Avatkov, de l'Institut des relations internationales (MGIMO), publiée sur le site du Conseil russe pour les affaires internationales.

En résumé, le tableau est le suivant: la Turquie a d'abord suivi avec attention les événements dans le monde arabe, mais ensuite a commencé à jouer à un jeu complexe. Ne pas se brouiller avec les Etats-Unis, mais également rester en bons termes avec les voisins arabes (des investisseurs de plus en plus actifs dans l'économie turque). Profiter de la situation pour renforcer davantage ses positions dans la région. Surtout étant donné que les forces islamistes qui arrivent au pouvoir dans les pays arabes ont quelque chose en commun avec le Parti de la justice et du développement, au pouvoir en Turquie et qui détient pratiquement le monopole politique. Pourquoi ne pas devenir amis.

L'effet secondaire de la nouvelle politique d'Ankara est la détérioration des relations avec l'Iran (en raison de la Syrie), mais la diplomatie turque sait finalement trouver le plus petit dénominateur commun. D'autant plus que les Turcs doivent également "faire tenir en équilibre" les relations avec la Russie.

Ne pas se brouiller avec son voisin

En fait, au Proche-Orient, la Syrie et la Turquie sont toutes les deux des partenaires proches de la Russie. Mais l'ampleur de ce partenariat est incomparable.

Par exemple, entre janvier et novembre 2011, sur plus de 30 millions de touristes venus en Turquie, 3,42 millions sont venus de Russie. Les Russes et les Allemands sont en compétition permanente pour les première et deuxième places dans la liste des principaux partenaires touristiques de la Turquie. Apparemment, l'Allemagne a remporté la "médaille d'or" en 2011, bien que la Russie se soit imposée sur la plus grande station balnéaire du pays, Antalya.

Qu'il soit dit en passant qu'un grand nombre de Russes ne s'imaginent pas une vie sans la mer en Turquie.

Les échanges commerciaux sont une question intéressante. Ils ont diminué en passant de 40 milliards de dollars par an à 25 milliards en raison de la crise, puis ont commencé à augmenter à nouveau pour atteindre 31 milliards en 2011. La Russie (une fois encore derrière l'Allemagne) est le deuxième plus important partenaire commercial de la Turquie, tandis qu'Ankara occupe la 7e place dans les échanges commerciaux avec Moscou.

Est-ce peu ou beaucoup? Disons que c'est des dizaines de fois plus que les échanges commerciaux de la Russie avec de nombreux pays arabes. Et les deux gouvernements se sont fixés la tâche, quoi que trop optimiste, d'arriver à 100 milliards de dollars pour 2015.

Et maintenant, le plus important: les plans de construction en Turquie d'une centrale nucléaire représentent des investissements russes pour un montant de 20 milliards de dollars, le plus grand projet étranger de Moscou.

Dans l'ensemble, même si les positions de Moscou et d'Ankara divergent significativement concernant les affaires syriennes, les deux pays cherchent au moins à ne pas compliquer leurs relations purement bilatérales à ce sujet. Au risque de paraître direct, la Turquie est l'un des rares pays dont l'avis concernant la Syrie (et les bouleversements arabes) a réellement de l'importance pour Moscou. On peut toujours contester le point de vue des autres pays, ils sont aussi nombreux que les cartes dans un jeu. Mais la Turquie est une sorte de Joker dans ce jeu, il faut y faire plus attention.

Dernière chose. Tous les contacts entre Moscou et Ankara au sujet de la Syrie se passent en silence. Aucune visite retentissante n'est à prévoir. La plus proche sera probablement la visite de Vladimir Poutine à Ankara pendant la seconde moitié de l'année.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала