La rencontre Poutine-Obama à Los Cabos, au Mexique, était destinée à ne pas devenir un événement dramatique de politique mondiale. Personne n'a besoin aujourd'hui de ce dramatisme. En fait, cet entretien aurait pu être reporté à la fin de l'année, après la présidentielle américaine.
Mais si les partenaires s'entendent bien et l'un prend parti en faveur de l'autre à certains moments (c'est juste le cas de Poutine et d'Obama), il n'y a aucun mal à parler des problèmes en cours et à prévoir l'ordre du jour Russie-USA pour l'année prochaine. C'est apparemment ce qui s'est passé à Los Cabos.
Les cactus et les symboles
Dans la diplomatie internationale, notamment au plus haut niveau, il y a toujours beaucoup de gens qui n'ont rien à dire à un moment précis. Alors ils sont obligés de raconter des histoires.
Selon l'une d'elles, la décision de Moscou d'envoyer à la récente réunion du G8 à Camp David le premier ministre russe Dmitri Medvedev au lieu du président Vladimir Poutine est un signe de tension, presque scandaleuse, entre Poutine et Obama personnellement. Voire un signe que le nouveau président russe refusera complètement de communiquer avec les dirigeants des Etats-Unis et de l'Union européenne. Dans ce contexte, l'annonce qu'Obama se sentait offensé et ne se rendrait pas au sommet de l'APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) à Vladivostok en septembre prochain était opportune. Bref, du scandale et de l'aversion.
La passion des "experts" pour le "symbolisme" des déplacements présidentiels est un cas tout aussi clinique. Quand on ne sait pas quoi dire, il suffit d'inventer une symbolique et c'est un remède assuré contre l'ennui: c'est ainsi qu'est née l'idée selon laquelle il était crucial pour Poutine de se rendre pour son premier voyage en tant que nouveau président non pas aux Etats-Unis, mais à Minsk, puis à Pékin. Et seulement ensuite rencontrer Obama "sur un territoire neutre" de l'un des pays "qui prend du poids et de l'importance", et non pas sur le sol américain.
Dans ce cas, amusons-nous avec le symbolisme de Los Cabos. Pour commencer, la rencontre a eu lieu plutôt sur le territoire américain, dans la résidence d'Obama. Evidemment, ils auraient pu discuter quelque part sous un cactus (qui sont innombrables à Los Cabos, un désert aride où volent des aigles, qui rappellent une nouvelle fois les Etats-Unis). Mais ils ont choisi l'un des endroits de la péninsule à l'ouest du continent américain où fleurit un jardin infini.
Los Cabos est précisément ce genre de jardins dans un endroit (autour des hôtels) où viennent comme s'ils étaient chez eux des foules d'Américains de Californie en voiture, en disant qu'ils vont en Californie du Sud pour pêcher et jouer au golfe.
En résumé, bien que ce soit le Mexique, il est très américain, sans parler des relations particulières entre ces deux pays voisins qui ont permis au pays de la téquila d'éviter de nombreux désagréments de la difficile époque actuelle. La symbolique est suspecte.
C'est agréable de s'entendre
Maintenant, parlons des résultats de l'entretien entre les deux présidents. On ne peut en juger que d'après la déclaration commune préalablement préparée, sur laquelle ont beaucoup travaillé les diplomates des deux pays avant la rencontre. Il est clair qu'en réalité la discussion s'est concentrée sur certaines situations internationales difficiles, au sujet desquelles les deux présidents se posaient mutuellement la question "Qu'allez-vous faire?" et écoutaient la réponse de l'interlocuteur. Les détails apparaîtront, comme toujours, bien plus tard.
Quant à la déclaration commune, c'est une liste assez exhaustive des choses sur lesquelles la Russie et les Etats-Unis sont d'accord (étaient d'accord avant la rencontre de Los Cabos). Par exemple, la Syrie: la population syrienne "doit pouvoir choisir elle-même et de façon démocratique son avenir", et Moscou ne va certainement pas le contredire. Et quelle violence faut-il faire cesser en Syrie? "Toute violence": autrement dit, cela concerne également l'opposition. Tout le monde est content.
Mais quoi qu'il en soit, il est clair que cette rencontre a fait en sorte qu'il n'y ait aucune surprise dans les agissements de l'autre partie concernant la Syrie, qu'il s'agisse de l'organisation d'une conférence sur la Syrie (à Moscou?), de l'envoi de navires russes près des côtes syriennes ou de la fourniture d'armes aux rebelles.
Cette même attitude pacifique concerne la situation complexe autour de l'Iran. A l'heure actuelle, à Moscou se tient la rencontre des six médiateurs avec les Iraniens où la Russie joue le rôle diplomatique de "courtier honnête" visant au moins à ne pas freiner le lent processus de négociations.
Là où cela était possible, des "points de convergence" ont été trouvés. Et aucun mot sur des différends quelconques, ce qui est important. Les présidents se sont mutuellement invités.
Et aucun "progrès" n'a été fait, ni ne pouvait être fait, dans les questions compliquées des relations russo-américaines: le bouclier antimissile (ABM) en Europe ou la réponse de Moscou à la "liste Magnitski", qui a été soumise au congrès américain. Ce n'était pas le bon moment. Du moins jusqu'à l'élection présidentielle aux Etats-Unis. Il est difficile d'imaginer Obama entreprendre aujourd'hui quelque chose contre ses concurrents républicains au congrès en agissant au profit de Moscou.
Ne pas faire de vagues
Posons-nous une question clé: pour qui travaille Moscou, pour Obama ou ses opposants républicains à la veille de la présidentielle de novembre? Ce n'est pas un secret qu'en Russie existe depuis longtemps une puissante fraction d'experts (et pas seulement) qui rêvent du retour des républicains à la Maison blanche. Ces personnes pensent que Moscou n'y aura alors plus rien à faire: à en juger par leur enthousiasme à la veille de l'élection, les républicains feront eux-mêmes tout pour que la force et l'influence des Etats-Unis descendent encore d'une marche. Comme à l'époque de George W. Bush.
Or, de manière très claire, Vladimir Poutine choisit (et ce n'est pas la première fois dans sa carrière politique) le partenariat, avec Barack Obama en l'occurrence. On peut s'imaginer le tort qu'auraient pu, par exemple, apporter à ce dernier simplement quelques déclarations fermes, sans parler des actions marquantes de Moscou en ce qui concerne la Syrie et l'Iran.
Car en ce qui concerne Obama, "le président qui a commencé par le rétablissement de bonnes relations avec le monde au cours de son premier mandat, le monde ne le soutient pas vraiment dans son aspiration à briguer un second mandat", écrit le Washington Post, en énumérant les problèmes en termes de politique étrangère et en citant la Grèce, la Syrie, l'Egypte et la Russie, qui "brandit les armes". Mais une déclaration c'est précisément l'inverse du "brandissement des armes".
En fait, pour ne pas rendre sa campagne présidentielle plus difficile, Barack Obama a besoin que rien de particulier, même de bon, ne se produise sur la scène internationale. Imaginons que, par exemple, la Russie a réussi à conclure par un accord les négociations actuellement menées à Moscou avec les Iraniens. Un accord, c'est toujours un compromis. Et les républicains diront: Obama a cédé aux Iraniens.
De même sur tous les autres axes, y compris syrien: aucun mouvement brusque. Ne pas faire de vagues. Des deux côtés, en informant au moins l'autre de ses intentions.
Cette politique permettra-t-elle de régler l'année prochaine le problème de l'ABM en Europe ou celui de la liste Magnitski? Et d'autres problèmes? On l'ignore. Mais une autre politique ne permettra d'arriver à rien du tout.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction