L'exposition, intitulée « The Avant-Garde and Post Avant-Garde in soviet design » (Avant-garde et post-avant-garde dans la conception soviétique) de la galerie moscovite « Eritazh » recrée l'atmosphère de l’appartement soviétique des années 1950-1970.
Cette période est appelée généralement « le temps de dégel idéologique » dans l’Union Soviétique. Et cela n’a pas pu ne pas se refléter sur l’art de l’époque. Les historiens d'art ont étudié ce phénomène en détail. Mais le domaine du design des meubles et du décor de l’intérieur reste toujours pour eux un mystère. Les personnes qui ont vécu à cette époque en URSS expliquent qu’il n’y avait pas vraiment de design : tous les appartements étaient semblables, et décorés avec les mêmes meubles. Les pays occidentaux, où les collectionneurs des objets du décor de l’intérieur et des meubles sont nombreux, ne prêtaient aucun intérêt au design soviétique des années 1950. Ils admiraient plutôt l’avant-garde russe des années 1920-1930.
Les avant-gardistes et les constructivistes des années 1920 ont avancé une idée audacieuse : selon eux, l'art doit pénétrer dans toutes les sphères de la vie, et entourer l’homme au quotidien. Ils concevaient des zones résidentielles entières et des usines, faisaient le design des vêtements, peignaient les assiettes en porcelaine, et ont fait de l’affiche un moyen de communication de masse. Konstantin Rodtchenko a conçu le « Club des travailleurs » avec tout l’entourage qui lui correspond. La fonctionnalité, le naturel, et l'utilisation rationnelle de l'espace sont les principes fondamentaux du projet, qui n’a pas pu être mis en œuvre. L’architecte Boris Iofane a construit au début des années 1930 en face du Kremlin la fameuse « Maison sur le quai » (Dom na naberejnoï), qui avait pour but de montrer comment vivent les Soviétiques. Dans l’atelier de Iofane, des meubles étaient fabriqués selon les croquis de l'architecte. Il s’agit des meubles simples, confortables, et faits en bois de chêne. Un des fauteuils, qui s’est conservé depuis cette période, a été exposé à Bâle. C’est un miracle que l’objet ait pu être conservé. Le destin du meuble de la «Maison sur le quai », ressemble au destin de ses résidents. La plupart d’entre eux ont été victimes des répressions staliniennes, et les nouveaux propriétaires des appartements de cette maison ont échangé les meubles de Iofane contre le style pompeux de l’époque stalinienne. L’idéologie totalitaire s’est immiscée dans le développement de l'art. Mais les idées du design soviétique des années 1930 n’ont pas complétement disparu.
« A la fin des années 1950, avec le début de la construction massive des immeubles d’habitation, des objets simples du décor de l’intérieur étaient à nouveau en forte demande », raconte Olga Strougova, l’expert de l’art, présente à l’exposition de Bâle. « Des appartements modèles meublés ont été construits. Ils étaient loués aux habitants pour que les Soviétiques commencent à s’habituer au nouveau style du décor de l’intérieur. Un Institut du meuble a été spécialement créé à cet effet. Mais après leur élaboration, ces modèles étaient fabriqués en série avec des simplifications. On les produisait, par exemple, avec d’autres matériaux. Car ce qui est important dans le concept du design des meubles – c’est le matériel utilisé pour leur fabrication. Les modèles des meubles étaient fabriqués en noyer. Ce bois coûtant trop cher, d’autres matériaux étaient utilisés pour leur fabrication industrielle ».
Le véritable fléau du design soviétique de l’époque du dégel, c’est son anonymat. On ne gardait pas dans les archives les échantillons et les croquis des créateurs des meubles, et on ne connaissaient pas leur noms. Le créateur des meubles de cette époque Iouri Sloutchevski, familier avec les créations de ses collègues, a aidé à reconstituer les auteurs des différents meubles soviétiques. Et il a également participé à l’exposition.
En présentant l'exposition The Avant-Garde and Post Avant-Garde in soviet design à la foire internationale, les conservateurs de la galerie moscovite « d'Eritazh » espèrent que les collectionneurs, antiquaires, et les experts internationaux verront la relation entre les idées des concepteurs soviétiques et les représentants de l’avant-garde russe des années 1920. Et que ce lien intéressera certainement les visiteurs de l’exposition. /L