Certains appellent Vassili Ermilov « le Malevitch ukrainien », tandis que d’autres le comparent à Picasso. Ilya Machkov et Petr Kontchalovski étaient ses professeurs, et Vladimir Maïakovski et David Bourliouk – ses amis d’enfance. Considéré comme l’artiste numéro un de la ville de Kharkov postrévolutionnaire, il peignait des tableaux décoratifs et de propagande, éditait un magazine et s’occupait de la décoration de l’intérieur, tout en étant l’un des fondateurs de l’Institut de l’Art industriel. A la fin des années 1920, Ermilov dirigeait les magazines Novoe iskousstvo (Nouvel art) et Avantgard (Avantgarde).
Le Talent d’Ermilov a été reconnu non seulement chez lui en Ukraine. En 1922, il a reçu une médaille d’or à l’exposition de Leipzig et ses travaux, créés en collaboration avec El Lissitzky ont reçu un accueil chaleureux en 1928 à l’Exposition internationale de la presse à Cologne.
Mais le triomphe des années 1920 a été suivi par une très longue période de silence. Le 23 avril 1932 un décret du Parti communiste de l’URSS « Sur la répression du formalisme dans l'art» est entré en vigueur. Ce document reconnaissait le réalisme socialiste comme la seule direction artistique officielle du parti.
Le seule grande œuvre d’Ermilov de cette époque est la décoration intérieure du Palais des pionniers de Kharkov, qui est présentée à Moscou. L'artiste n'a pas réussi à trouver sa voie dans l'art officiel soviétique. Il a été accusé de formalisme et de cosmopolitisme, et dans les années 1940 il a même été expulsé de l'Union des Artistes. Ermilov fut obligé de gagner sa vie en décorant l’intérieur des clubs et des bureaux des fonctionnaires du parti, en alternant cette activité avec l’enseignement. Réhabilité en 1962, l’artiste a été autorisé à organiser sa propre exposition. Il n'est pas surprenant, que les œuvres de Vassili Ermilov ne sont plus si nombreuses.
Le succès des œuvres d’Ermilov des années 1920 porte à croire que sa vie aurait pu être différente. S'il avait quitté l’Union soviétique, comme l'a fait son camarade de classe et ami proche David Bourliouk, le nom d’Ermilov aurait pu faire partie de la liste des artistes les plus vénérés de l’avant-garde.
Pourtant, on ne peut pas dire que les premières œuvres d’Ermilov ont été novatrices. A l’exposition au Musée Multimédia Art, on peut notamment voir le tableau La Dame à l’éventail (1919) de la collection de Constantin Grigorichine, qui est étonnamment similaire à l'œuvre de Pablo Picasso La fille à la mandoline (Fanny Tellier) (1910). Le style et la technique de la peinture, les traits caractéristiques dans le détail de l'image du portrait - tout cela évoque une véritable continuité. Mais le problème, c’est que Picasso a créé son tableau neuf ans avant Ermilov, en 1910, lorsque le futur maître constructiviste ukrainien étudiait encore à l’école du dessin et de la peinture de la ville de Kharkov. Ayant atteint un âge plus mûr, Ermilov essayait d’utiliser dans son art « le grand héritage de l'art du passé de tous les temps ». Apparemment, la Dame à l'éventail en est une bonne illustration.
Aujourd'hui, l’héritage créatif d’Ermilov revient progressivement vers le spectateur. Un catalogue de toutes ses œuvres connues a été publié récemment. Le nouveau Centre d’art contemporain de Kharkov a été nommé en l’honneur de l’artiste, et on peut voir ses œuvres dans une exposition qui vient de s’ouvrir à Moscou. /L
