Sa discrétion est tout ce qu'il y a de plus naturel. Mieux encore, au lieu d’être synonyme de médiocrité et de grisaille, elle devrait plutôt se lire comme un chef-d’oeuvre du minimalisme du XIXème siècle, le terme parfaitement inconnu à cette époque.
Quand on pénètre dans l’église, on a l’impression d’assister aux tournages d’un film version Hollywood racontant la vie d’une famille italienne. C’est le type même d’intérieur du XIXème siècle avec une vasque typique remplie d'eau bénite, le plancher, les bancs, l'orgue et la sculpture du Saint Patron tenant lieu du portrait du chef de l'État à l'entrée et tout aussi typique. On dirait même que la nef de l’église est un salon d’honneur d’école légèrement retouché. Par contre, ce qui n’est pas typique, c’est l’émotion qu’on éprouve en ce lieu.
Un écrivain prolétaire athée qui n’a jamais mis les pieds dans une église parce que c’était contraire à ses convictions a dit à propos de la cathédrale qu’elle « ressemblait à la valise jaune d’une ancienne colégienne pleine d’objets magiques qui lui rappellent sa jeunesse ». Pour reprendre le langage rêche du dictionnaire encylopédique qui décrit l’église Saint-Louis, c’est un monument du classicisme tardif dans le style empire. Mais un regard plus attentif jeté sur l’église et notamment sur deux clochers se tenant comme des sentinelles de part et d’autre du fronton, permet de comprendre que c’est beaucoup plus complqué que cela et que la conception ne laisse aucune place à la montonie ennuyeuse ou à un rationalisme pur et simple. En effet, les clochers en question comme coupés au couteau, sont assez surprenants. D’un côté, ils rendent la façade légèrement « redondante » et, de l’autre, font penser à un sacristain qui a mis une paire de pantoufles rouges en peluche avec sa soutane noire. Comme ils sont relativement petits et montent à peine au-dessus du fronton, ils paraissent légèrement aplatis. Cest surprenant mais cet effet est encore souligné par les grandes ouvertures en arc au sommet. Au lieu de rendre la silhouette plus légère, cet espace aérien confère à l’édifice une certaine densité de volume du fait d’une surabondance de lignes. On en vient même à penser que les clochers ne jouent pratiquement aucun rôle et cette idée me semble convenir mieux pour comprendre le dessein complexe de l’architecte.
Expert en histoire d’architecture : " Quelle signification peuvent en réalité avoir ces compléments architecturaux massifs qui flanquent l’église ? La question contient en fait la réponse. Ce ne sont pas les clochers mais les colonnes symboliques appelées à encadrer l’édifice de la foi et à rappeler aux paroissiens l’heure quand ils auront sans doute à sonner le tocsin. C’est surprenant mais ces deux petits clochers rappellent et remplacent même dans une certaine mesure les habituels gros lions de Saint-Marc, ces compagnons fidèles de l’Évangéliste légendaire porteur de la vérité divine. Pourtant, il vous suffit de passer rapidement à côté de Saint-Louis qui vaque à ses affaires quotidiennes pour que ces idées ne vous effleurent même pas. Pourquoi ? C’est pour cela précisément que l’égise est un chef-d’oeuvre d’architecture. Elle est tout ce qu’il y a de plus anonyme mais cet anonymat concerne non pas son auteur mais la foi que l’église doit incarner. Rien en elle ne trahit ni un lieu de culte, ni, à plus forte raison, une église catholique reposant sur les idées de Saint-Pierre qui sont comme un trousseau de clefs dont le cliquetis convertit le monde catholique à la piété. On pense malgré soi que l’église édifiée par Alessandro Giliardi était initialement conçue pour un usage tout différent. Laissons pour le moment à côté la question : lequel ? Il serait autrement intéressant de comprendre si cela faisait partie d’un dessein secret délibéré ou si le chef-d’oeuvre de Giliardi avait résulté d’un jeu du hasard et de la nature. Qui était donc cet homme qui avait laissé après lui tant d’énigmes et avons-nous le droit de dire que le classicisme est souvent synonyme d’ennui ?
Alessandro Giliardi avait appartenu à une famille d’architectes de père en fils, originaire de la Suisse italienne. Deux frères Giliardi, Giovanni et José, s’installent en Russie au temps de Catherine la Grande. Ils étaient maçons et architectes. Chacun d’eux a mis au monde un fils : Domenico pour Giovanni et Alessandro pour José. Tous les deux ont choisi de suivre les traces de leurs pères. Giovanni Giliardi a travaillé à Moscou comme architecte titulaire de la Maison de l’Education (Centre d’assistance sociale). La guerre contre Naploléon a surpris toute la famille à Moscou. Les mémoires ne disent rien sur la faim, le froid et les incendies tombés en son partage mais on sait en revanche que quand les Français ont quitté Moscou, les Gilardi ont littéralement roulé sur l’or parce qu’il fallait reconstruire la ville ravagée par le feu.
Alessandro travaille avec son frère sur la reconstruction du clocher d’Ivan le Grand, puis sur d’autres bâtiments religieux et profanes. Il aurait même pris part au concours pour la construction de la cathédrale du Christ Sauveur lancé par l’Empereur Alexandre mais n’a pas été remarqué par celui-ci. Il faut préciser par ailleurs qu’il n’était pas ce qu’il est convenu d’appeler le favori de la fortune et faisait rarement parler de lui. En revanche, il avait de nombreuses comandes privées provenant prinipalement des marchands riches. En 1833, quand son talent était pleinement épanoui, la communauté catholique française de Moscou lui commande le projet de construction de la nouvelle église Saint-Louis. L’église ancienne dont le permis de construction avait été délivré par Catherine la Grande était debout depuis 1791. 43 ans plus tard, le temps est venu de bâtir une nouvelle à sa place.
On peut être formel au sujet de la conception de Gilardi qui se fondait sur les calculs, un schéma bien net et un plan rigoureux qui seuls pemettent à l’architecte de contrôler le chantier. Les Gilardi avaient toujours privilégié la précision, la fidelité et l’effort. Il est fort possible que l’église, ou le kostel comme l’appelaient les moscovites, incarne le mieux cette tradition familiale à tel pont que mêmes les ombres projetées par le clocher raccourci paraissent avoir été v.rifiées au moment des travaux.
Il n’existe dans l’architecture religieuse que peu d’exemples de clochers de ce genre collant au portail. On serait tentés de dire que l’argent avait manqué pour les clochers plus hauts ou que l’architecte se donnait le cas échéant un objectif différent. Pour trouver la réponse, il faut sans doute faire une plongée dans l’histoire. C’est que la Bible et la description de la construction du Temple du roi Salomon faisaient jadis partie de la formaton que recevaient les maçons. On peut parier que les frères Gilardi connaissaient ces desciptions par coeur. Mais le plus intéressant commence si on essaie d’interpréter les textes bibliques du point de vue de l’architecture. Le symbole de « précision » tel qu’il se transmettait chez les bâtisseurs anciens depuis l’époque gothique, était représenté par deux colonnes à savoir Yakin et Boaz qui se dressaient selon le Livre 3 des Rois sur le parvis du temple de Salomon, à gauche et à droite de celui-ci. C’est une allusion au jeu explicite des symboles que suivait Gilardi qui voulait créer un édifice de nature religieuse.
Le symbolisme se retrouve déjà dans la forme rectangulaire du temple qui est le symbole graphique le plus ancien de la Terre Promise. Le plafond du temple, c’est toujours le ciel infini. Ils sont reliés par deux colonnes – Yakin et Boaz – qui ne supportent rien. C’est un paradoxe puisque tout doit être fonctionnel en architecture. Et pourtant... Traduit de l’hébreu Yakin signifie « installé par Dieu » et Boaz – « installé par la force ». Cela veut dire qu’entre le ciel et la terre n’existent que la Force et la Présence de Dieu. Mais qu’est-ce que se trouve au-delà ? Les mystiques religieux affirment que c’est la limite au-delà de laquelle l’esprit humain se meurt. C’est donc une sorte de bande limitrophe dont la symbolique se retrouve dans toute église catholique. C’est aussi très vraisemblablement le rôle que jouent deux colonnes de la façade des cathédrales gothiques. Il est curieux de relever que chez les aborigènes australiens de la tribu d’Arunta, le rite d’initiation est célébré entre deux colonnes symbolique faites en troncs ou branches et orientées vers le Nord et le Sud. En d’autres mots, deux clochers à l’entrée constituent la frontière qui délimite l’espace sacral au-delà duquel commence l’inconnu. L’homme peut franchir cette frontière mais il doit se rendre compte des conséquences. L’esprit de l’homme rationnel s’efface devant l’esprit collégial, l’esprit de Dieu.
Personne ne peut savoir ce qui l’attend précisément derrière la porte du temple. Chacun a son expérience personnelle qu’il garde le plus souvent pour soi-même mais une chose est sûre, c’est le choix qu’il est amené à faire. Le temple, l’église, ne délivrent pas l’homme de ses problèmes, ils peuvent tout au plus lui ouvrir les yeux, lui donner un nouveau système de coordonnées qui permet de faire le choix là où apparamment il n’y avait aucun. C’est ce que le temple peut faire ou ne pas faire avec l’âme humaine parce que tout dépend de la sensibilité et des subtilités de l’appareil spirituel. Gilardi a tenté d’incarner en pierre ces idées ineffables. Personne ne sait dans quelle mesure il y a réussi mais on doit le remercier pour cette tentative d’exprimer symboliquement l’idée du choix auquel est confrontée « l’âme humaine éveillée ». Le choix entre les ténèbres et la lumière, entre l’action et l’inaction.
Souvenez-vous des noms hébreux de deux colonnes de pierre baptisées « Solidité » et « Force » par le bâtisseur Hiram. Du reste, pourquoi donner des noms aux colonnes qui sont faites en substance morte ? Or, elles ne sont pas mortes sur le plan symbolique. Et si Hiram leur a donné les noms, c’est pour passer le témoin à ses disciples, les architectes du futur. C’est la foi qui est à l’origine de la « Solidité » et de la « Force » mais c’est à chacun de décider de l’usage qu’il doit en faire. Gilardi a disposé trois colonnes de part et d’autres des colonnes servant de clochers. C’est le prolongement de la symbolique de Yakin et Boaz. Le nombre est associé au principe spirituel dans l’architecture. Le triangle du fronton les couvre tel un chapeau comme pour exprimer l’idée maîtresse de Gilardi : « tout est pesé, calculé et terminé ! » Ce n’est un hasard si les alchimistes du Moyen Age mettaient trois points en triangle à la fin de leurs lettres pour signifier la fin du message.
En leur temps, aussi bien les Grecs anciens que les scholastes du Moyen Age et les néoplatoniciens héritiers de leurs traditions, considéraient généralement la géométrie non pas comme une science pure mais comme une activité chargée d’un sens symbolique. On peut l’illustrer par la tentative de Pythagore de développer la théorie des nombres et le dernier exemple connu de tous est lié aux efforts déployés par Léonard da Vinci pour réduire au carré ou au cercle les proportions idéales du corps humain. Il ne fait aucun doute que la question de la méthode géométrique de calcul de la quadrature du cercle ou, en d’autres mots, tracer à l’aide d’une règle et d’un compas le cercle et le carré qui auraient la surface identique, fût liée à un contenu symbolique. La figure parfaite du carré terrien correspondant exactement au cercle céleste, signifierait la fusion du divin et du terrien, de l’essence et de la vie. Nous avons déjà dit que Giliardi avait délibérément mis à la base de son temple le carré avec sa nette symétrie en tant que symbole fondamental des choses matérielles et, par conséquent, de la Terre Promise. Cette figure possède en même temps toutes les caractéristiques de la stabilité idéale : quatre saisons, quatre éléments (terre, feu, eau et air) et quatre parties du monde.
Et c’est précisément ce carré qui surmonte l’édifice du temple. Celui qui est habitué au canon architectural des églises orthodoxes a du mal à se représenter une église sans dôme. C’est, par ailleurs, au moins aussi rare dans l’architecture religieuse catholique. Mais Gilardi a imposé cette solution tant et si bien que le carré plat surmonte l’église comme un « emplâtre » à la place du dôme aérien. Il se peut que Giliardi air voulu laisser un autre monument à Moscou qui exprimerait une autre attitude envers le même dogme, une autre façon de croire. Nous n’en savons rien mais son architecture parle pour elle-même. C’est un chef-d’oeuvre qui surprend, viole la règle canonique et sort des chemins battus. L’église Saint-Louis s’assimile en fait à un « combat sans règles » mais au moyen de lignes.
Mais si le carré est l’élément qui transcende si clairement l’ensemble architectural, il doit aussi y avoir son antithèse. Mais laquelle ? – Évidemment, le cercle ! C’est l’antithèse totale des choses d’ici-bas, la figure sans angles, fermée sur elle-même, sa majesté le cercle. Mais ces lignes sont loin d’être mortes ou privées de spiritualité. Souvenons-nous que les anges et les planètes se déplacent sur orbites circulaires défiant la force de pesanteur dans un mouvement perpétuel. Le cercle est en réalité le symbole parfait du ciel et employé si souvent comme tel que, contrairement aux architectes et bâtisseurs, ne se remarque plus par les gens du commun.
Gilardi a crée un cercle invisible inscrit dans le carré régulier de la salle des prières. Il est formé, d’un côté, par les fonts baptismaux à l’entrée et, de l’autre, par la demi-rotonde de l’autel. Il a tenté de transformer la perception du bâtiment carré sur plan à l’aide du jeu de la lumière et des vitraux par lesquels elle pénètre à l’intérieur. C’était son idée. Pour les architectes du Moyen Age, la lumière était le milieu à l’aide duquel la pierre transmettait l’énergie de l’espace. La lumière est capable de rendre la pierre légère et l’ombre peut transformer en tige de roseau même un caillou immobile. Les scholastes moyenâgeux définissaient la lumière comme une substance « piena d’amore » (pleine d’amour) Le lumière dans le temple est un symbole d’amour qui est à son tour l’attribut suprême de Dieu, c’est-à-dire de l’éternité. Or, l’éternité n’a pas de poids et la pierre baignées de lumière peut même s’envoler. Voici la règle pour l’architecte qu’Alessandro Giliardi essayait de mettre en oeuvre.
Expert en histoire d’architecture : " Quand les rayons du soleil couchant éclairent obliquement les vitraux de l’église, il se produit un effet étonnant. Les lignes claires des colonnes commencent à fondre et à planer dans l’air. Cette impression est encore accentuée par les sons d’orgue en vous retournant l’âme. La force des sentiments et des émotions qui vous débordent, c’est sans doute ce que l’église a de mieux. On pourrait s’arrêter là quitte à énumérer ses merveilles s’il n’y avait pas un « mais ». La vasque remplie d’eau bénite semble être un attribut banal d’une église catholique. Or, cette banalité est trompeuse. Alessabndi Giliardi nous a ménagé une surprise. En fait, la Terre Promise ne saurait exister sans eau et le bassin de pierre apparaît comme le symbole des quatre fleuves du Paradis qui prennent naissance en centre d’Edème. Inscrite dans le nartex, la vasque n’en occupe pas moins une place parfaitement déterminé qui fait penser à un jardin, le jardin qui, bien qu’il soit en pierre, s’assimile à un territoire à part, en retrait du monde auquel on accède des quatre côtés. Quel sens Gilardi voulait-il donner à la vasque d’eau bénite qui rappelle une fontaine dormante ? ".
Les habitants des villes modernes qui ont l’eau courante à la maison ont du mal à comprendre les sentiments que provoquaient les fontaines au Moyen Age et à l’époque de la Renaissance. Pour les citadins l’eau n’est plus l’un des quatre éléments de la nature. C’est quelque chose de banal, un liquide incolore et sans goût qui coule quand nous ouvrons le robinet ou tirons sur la chasse. L’eau nous fait penser à la préparation des repas ou à la toilette matinale et ne rappelle en rien l’élément qui inonde les villes et fait couler les navires. Après la grande inondation du XIXème siècle à Saint-Pétersbourg, il était intéressant de voir la réaction des citadins à l’autre eau, à l’eau venue d’ailleurs qui a dévasté la ville. Elle semblait être une substance absolument différente comparée au liquide coulant du robinet. Pendant plusieurs jours dans la Capitale du Nord l’eau est redevenue cet élément impévisible, d’une puissance terrifiante qui ne s’est laissée contrôler qu’à force de grandes dépenses, de labeur et d’inventivité. Toute la frayeur d’homme primitif inspirée par les flots gonflés de la Neva s’est insinuée dans les maisons en même temps que le plaisir que procurait l’eau portable, cette substance précieuse amenée tous les jours par tonneaux sur la perspective Nevski et stockée en bouteilles. Les technologies nous ont délivré de la force symbolique de l’eau ce qui, bien entendu, était inimaginable il y a 500 ou 600 ans.
Historien d’architecture, expert : " Prélever l’eau du réservoir rempli d’eau de pluie ou d’une source qui jaillit de dessous la terre, l’envoyer dans un système de canalisations en plomb enterrées et enfin la faire jaillir comme une panache scintillante à une dizaine de mètre, la faire tomber en voile de la coquille tenue par un Nymphe ou la faire s’écouler en mince filet de la bouche d’un Satyre – voilà la meilleure illustration du triomphe de l’homme sur la nature. La fointaine fait jaillir comme par magie de dessous la terre l’eau qu’on faisait généralement monter à grand peine d’un puits à l’aide d’un cabestan. Elle la ransforme en bénédiction et en métaphore de corne d’abondance comme pour souligner la victoire de l’esprit humain sur les éléments hostiles et donner à l’eau son aspect positif et vivifiant. L’eau est en fin de compte le symbole du cercle ".
L’air, la lumière, l’eau et la pierre sont autant d’élements soulignés par l’architecture. Il n’y manque que la terre mais elle se trouve en marge de l’essai littéraire sur la nature que voulait incarner dans l’église Saint-Louis son modeste créateur. On dit qu’au temps de Cathgerine la Grande, l’église était flanquée d’un petit cimetière. Même si c’est vrai, Giliardi n’entendait sans doute pas aller si loin. Il voulait tout simplement amener les fidèles à s’interroger sur le pourquoi de la vie.
Il existe une légende curieuse comme quoi Alessandro Giliardi s’était servi pour la construction de l’église Saint-Louis de son projet jamais réalisé de cathédrale du Christ Sauveur. La première cathédrale du Christ Sauveur sur les Monts des Moineaux avait été construite sur les plans de Karl Magnus Vitberg sorti gagnant du concours. Mais à y regarder de plus près, les deux projets présentent nonobstant les différences évidentes, bien des choses en commun. Si Gilirdi voulait construire une petite église pour 200 personnes tout au plus, Vitberg avait conçu une cathédrale pour 20 000. Néanmois, aussi bien l’un que l’autre avaient prévu une colonnade et un portique comme éléments du décor. Tous les deux avaient également renoncé aux dômes se proposant de les remplacer par les figures et les lignes plus simples. Tous les deux croyaient qu’il créaient non pas un refuge ou un local banal même s’il était destiné à la célébration des services religieux mais un espace particulier qui transfigure l’âme humaine. La tentative de Viberg a échoué. Giliardi a fait ce qu’il a pu. Mais le plus étonnant, c’est la similitude des idées. C’est une nouvelle vision de l’Antiquité et de sa capacité à alléger la pierre pour lui donner finalement un sens. Chacun des architectes voulait faire chanter la pierre, voilà ce qui surprend le plus. Gilardi cherchait sans doute à traduire en architecture l’idée d’harmonie entre la foi avec laquelle est associée la pierre (souvenons-nous des paroles du Christ adressées à Saint-Pierre : « Tu es la pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église » et l’idée de la pierre qui symbolise l’absence d’âme. L’éternité, l’esprit, la pierre, il voyait dans cette triade plus qu’un sens symbolique mais une véritable recette permettant d’y arriver et je crois qu’il y est finalement arrivé.
La façade, la colonnade et le portique sont des éléments bien connus dans l’histoire d’architecture mais jamais encore ils n’ont acquis une telle perfection en restant tassés sur eux-mêmes et sans prétendre à unir ce qui paraît être incompatible : la raison et les sentiments. La pathétisme de la foi et l’absence d’exaltation. Je crois que seul la classicisme ait pu y arriver et que seule l’interminable perspective Nevski ait pu se muer en démons gogoliens et en un nez qui déambule. Ce qui surprend le plus, c’est le fait que Giliardi ait tenté de faire rentrer tout cela dans les lignes de pierre de l’institution à mille lieues de la quête de l’extraordinaire et du hors du commun. Il n’avait parlé à personne de son idée et tout s’est passé comme sur des roulettes. Les gens ont tout « avalé » et tant mieux pour eux. Celui qui ne voit pas de quête de révélations mystiques dans les lignes parallèles d’une cathédrale classique, ne les y verra jamais mais l’homme qui est sur la même longueur d’onde est capable d’en faire un point de départ et d’aller encore plus loin, encore plus loin que suposait Alessandro Giliardi, plus loin que croyait Karl Magnus Vitberg. Et puis qui sait où cette voie le mènera-t-elle ?
Reste à ajouter que l’architecte de l’église Saint-Louis à Moscou n’était pas un classiciste comme un autre qui place la raison et ses conséquences au-dessus de tout. Non, il voulait donner à la pierre une sigification nouvelle pour libérer les sentiments humains et puis essayer de les comprendre. La formule : « Il a vécu et est mort sans savoir pourquoi » est ennuyeuse et immorale par définition. « On n’est pas forcément obligé de savoir pourquoi on vit, il faut surtout le sentir » On dirait que c’est la devise que suivait Alessandro Giliardi.