Thomas Gomart est un grand spécialiste de la Russie. Docteur ès sciences historiques, directeur du centre d’études de la Russie et de la CEI du très prestigieux Institut Français des Relations Internationales à Paris,Thomas Gomart a bien voulu répondre à nos questions respectives à la politique de François Hollande et de sa nouvelle équipe par rapport à la Russie et à l’OTAN sans parler des législatives en France qui restent un grand point d’interrogation pour toute l’équipe présidentielle.
Voix de la Russie. Tout d’abord je voulais vous poser la question sur les législatives en France. Les législatives en France auront lieu au mois de juin. Si la droite l’emporte, la France aura du mal en vivre sous le régime de cohabitation. Comment voyez-vous la situation ? Est-ce que d’après vous les socialistes l’emporteraient ou ce serait tout de même l’UMP avec la main forte prêtée par un Sarkozy rancunier ?
Thomas Gomart. Il faut rappeler que la victoire e François Hollande est une victoire relativement courte et qu’effectivement il y a un certain nombre d’incertitude sur sa capacité à avoir la majorité absolue à L’Assemblée Nationale. Ceci étant dit, l’histoire politique française a tendance à montrer qu’un Président nouvellement élu bénéficie le plus souvent d’une majorité au moins relative dans la foulée de son élection. Une partie de la problématique c’est de savoir le type d’alliance que François Hollande devra faire avec à la fois le front de gauche – les écologistes, peut être aussi les signaux qu’il devra envoyer au centre. Encore une fois je pense qu’il faut attendre ces résultats avec patience. C’est qu’il est difficile de faire des pronostics à ce stade mais j’insisterai sur le fait qu’on est très souvent dans une majorité présidentielle après et pendant les semaines qui suivent les élections présidentielles au regard de l’histoire politique française.
Voix de la Russie. Comment voyez-vous l’avenir e la coopération franco-russe sous le nouveau Président qui vient juste de se faire élire ?
Thomas Gomart. D’abord je crois qu’il faut rappeler que Nicolas Sarkozy lorsqu’il était arrivé au pouvoir avait des dispositions assez antirusses en 2007. Progressivement il a retrouvé le chemin habituel de la politique française vis-à-vis de la Russie. Et effectivement on a aujourd’hui une relation qui s’est intensifiée, en particulier, sur le plan économique entre la France et la Russie. En ce qui concerne François Hollande, il n’y a pas eu dans sa campagne électorale de prises de position dans un sens ou dans un autre à l’égard de la Russie. Je serais tenté de dire que son principal sujet de politique étrangère est un sujet de politique européenne et c’est sa relation avec l’Allemagne et que de ce point de vue-là, la relation avec Moscou est évidemment importante, mais elle est compte tenu des urgences auxquelles il doit faire face comme la crise de l’euro, la crise de la constitution européenne, c’est un sujet qui ne revêt pas aujourd’hui le caractère de prioritaire. Et donc je ne m’attends pas à des modifications substantielles de position française par rapport à la Russie même si le style de Hollande sera bien sûr différent du style Sarkozy. Et que peut être ce style amènera des nuances ou sera décrit par les médias ou souligné par les médias mais sur le fond je ne pense pas qu’il faille s’attendre à un cha ngement d’opinion.
Voix de la Russie. Il y aura bientôt le sommet de l’OTAN à Chicago avec la rencontre du G8. Poutine a décidé de ne pas y participer. Est-ce que d’après vous, Hollande a déjà son programme derrière la tête ou pas? Quelle peut être la politique de la France par rapport à l’OTAN ? Deuxième point : quelle sera d’après vous la politique de la Russie par rapport à l’Alliance ?
Thomas Gomart. Sur la première question le vrai sujet de difficulté pour François Hollande concerne l’Afghanistan puisqu’il a pris des engagements au cours de sa campagne du retrait des troupes françaises fin 2012. Et cela évidemment est un sujet très délicat parce qu’il faut le faire en concertation avec les alliés et en même temps le faire étant sûr de la conduite opérationnelle de ce retrait. Et sur ce sujet il y a encore un certain nombre de questions tout simplement logistiques en suspens. C’est le principal sujet. C'est-à-dire qu’en quelle mesure ce retrait annoncé des forces françaises de l’Afghanistan ne va pas mettre en difficulté François Hollande en cas de sa première sortie otanienne. Sur le deuxième sujet c'est-à-dire les relations entre l’OTAN et la Russie, l’essentiel des discussions actuelles se concentre sur le système antimissiles avec une position de plus en plus critique de Moscou à l’égard du projet de l’OTAN. Ce qui a été évidemment exprimé lors d’une conférence organisée par le Ministère e la Défense à Moscou où précisément avant le sommet de Chicago il y a au fond une position classique de Moscou à l’égard de ce projet, qui considère que ce projet en dépit des garanties apportées par les pays de l’OTAN, n’ait affaibli la crédibilité balistique et nucléaire e la Russie et ce sera très probablement la principale difficulté des discussions entre l’OTAN et la Russie dans les années à venir.
Comme toujours l’IFRI et son directeur ont confirmé leur statut de fins connaisseurs du monde politique français et du contexte international. On a bien compris que la prudence était de mise et que François Hollande a plus d’un problème à soigner pour que son mandat devienne véritablement consommé.