Cette dernière semaine a été plutôt riche en émotions politiques au sein du continent européen. Elections en France et en Grèce, cérémonie d’investiture à Moscou… Un observateur attentif aura sans doute noté les similitudes et les différences de situation, mais surtout le fait que les résultats de ces échéances électorales sont hautement symboliques. En France et en Grèce, les sortants ont été sanctionnés, en Russie le tandem Poutine Medvedev poursuit sa route.
Tout à l’ouest du continent c’est la France qui a voté ce dimanche 06 mai et élu son nouveau président, le candidat du parti socialiste François hollande. Ces élections, les lecteurs français le savent bien, ont eu lieu dans un climat bien spécial, la France étant dans une situation économique difficile. Beaucoup en France et en Europe sont inquiets à l’idée que leurs pays pourraient vivre une situation à l’Espagnol dans les prochains mois ou les prochaines années. La victoire de François Hollande et du parti socialiste peut être assimilée aussi bien à une défaite de la droite qu’à un rejet du système Sarkozy. La soirée électorale a semble t-il été relativement calme en France, malgré quelques voitures et poubelles brulées, ce qui est devenu en France une habitude pour toute fête ou événement public. Une petite polémique enfle quand à la présence de nombreux drapeaux étrangers sur la place de la Bastille pour saluer la victoire du nouveau président. Est-ce à mettre en lien avec sa promesse d’octroyer le droit de vote aux étrangers pour les élections locales? Quoi qu’il en soit le nouveau président aura fort à faire, et les défis sont colossaux, pour une France exsangue, au cœur d’une zone-euro en pleine tempête. Il est à noter qu’en France, la somme des votes pour les candidats du centre droit, du centre et du centre gauche (UMP-Modem-PS) représentait 76.62% des voix en 2007, mais elle représente seulement 64.94% des électeurs en 2012. Le total des grands partis périphériques et dits d’opposition antisystème est lui passé de 25% en 2007 à 33 % en 2012.
Plus à l’est de la zone Euro, en Grèce, la situation semble frôler l’explosion sociale. Les deux grands partis traditionnels de gouvernance, la Nouvelle-Démocratie (droite) et le Pasok (socialiste), ont été désavoués aux élections législatives de dimanche et enregistré leurs pires scores électoraux dans l'histoire de la Grèce démocratique contemporaine. Ils ont recueilli 32% des voix au total contre 77,4% en 2009. Une coalition de gouvernement va être difficile à trouver. Les deux grands gagnants du scrutin sont la formation de gauche radicale, Syriza, qui devient la deuxième force politique du pays avec 16,5 % des voix et le parti ultranationaliste Aube dorée, qui obtient 7% des suffrages. On voit mal comment il pourrait en être autrement alors que la politique d’austérité que le pays connaît depuis 30 mois réduit de 50% le niveau de vie des grecs et que 2012 devrait être la cinquième année de récession consécutive du pays. Le taux de chômage dépasse les 21%, les retraites et les salaires ont été réduits jusqu'à 40% et plus d'un tiers de la population est au bord de la pauvreté ou de l'exclusion. Si l’instabilité politique devait s’aggraver et empêcher le vote de nouvelles mesures d'austérité que le peuple ne peut sans doute plus supporter, alors l'Europe et le FMI pourraient refuser de verser au pays sa prochaine tranche d’aide nécessaire pour continuer à rembourser sa dette et à payer ses fonctionnaires, poussant le pays vers une faillite dont finalement personne ne sait exactement quelles pourraient être les conséquences par ricochet pour plusieurs autres pays de la zone euro qui vivent sous la menace d’une crise financière : Portugal, Espagne, Irlande, Italie et peut être bien la France.
Les résultats des élections en France et en Grèce ne sont pas des évènements isolés. Partout en Europe, depuis deux ans, des gouvernements sortants ont été battus aux élections. C’est aussi vrai pour les gouvernements de centre droit que pour ceux de centre gauche. En Hongrie, Angleterre, Pays-Bas, Irlande, Finlande, Portugal, Danemark, Espagne, Slovénie, Slovaquie, les gouvernements sortants ont été désavoués. Dans ces pays, ce n’est pas l’orientation politique qui a été sanctionnée, c’est le bilan économique qui a provoqué l’alternance. Les partis de centre gauche et les partis de centre droit, en Europe des 27 ou dans la zone Euro, font des politiques économiques à peu près semblables, et les résultats sont mauvais partout, dans le domaine du chômage et du pouvoir d’achat. L’exception est sans aucun doute l’Allemagne qui mène une realpolitik économique commencée par le centre Gauche (G.Schroeder) et poursuivie par le centre droit (A.Merkel). Sur le plan politique, dans presque tous les pays d’Europe, la discussion entre la gauche d’origine marxiste et la droite capitaliste a disparu. De nouvelles forces politiques apparaissent, à l’extrême droite et à l’extrême gauche qui sont en général hostiles à l’Union Européenne, alors que les partis du centre droit ou du centre gauche soutiennent la poursuite de l’intégration européenne. Maintenant il y a un nouveau débat entre "plus d’Europe" et "moins d’Europe" et c’est peut être la fin du bipartisme dans de nombreux pays.
Ces grands mouvements de fond, dont on ne sait pas très bien vers ou ils conduisent les pays concernés, contrastent avec l’atmosphère qui régnait à Moscou ce lundi 07 mai pour l’investiture du président russe, Vladimir Poutine. Bien sur beaucoup reste à faire en Russie, rien n’est parfait et les défis sont énormes. Le pays doit se choisir un modèle de développement économique et identitaire, entamer une lutte à mort contre la corruption et tenter de se protéger des secousses qui vont sans doute frapper la planète dans les prochaines années.
Vladimir Poutine semble en être parfaitement conscient, affirmant dans son premier discours que les prochaines années seront cruciales pour l’avenir de la Russie durant les prochaines décennies. Il est intéressant de noter que l’on n’entend presque plus, dans les médias étrangers, de commentaires négatifs quand au fait que Vladimir Poutine revienne au pouvoir. La Russie connaît en effet une stabilité politique et une situation économique que beaucoup de pays européens vont rapidement finir par envier. En Russie, le "bilan économique" des 10 dernières années est bon, personne ne le conteste, et ce bilan est probablement l’explication des résultats électoraux.
Signe que le peuple russe en est conscient, seule une petite centaine de manifestants a manifesté devant le Kremlin, à l’occasion de l’investiture. La veille, une manifestation d’opposants qui devait regrouper un million de personnes, n’a au final regroupé que quelques milliers de participants, bien loin des grands rassemblements de l’hiver dernier. Alors que la manifestation s’est déroulée très pacifiquement (voir mes photos prises sur place), quelques centaines d’anarchistes et de radicaux d’extrême gauche sont venus cagoulés pour en découdre avec la police, achevant sans doute totalement de discréditer ce mouvement d’opposition né dans les neiges de l’hiver 2011.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.
* Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie". Il collabore également avec l'Institut de Relations Internationales et Stratégique (IRIS), l'institut Eurasia-Riviesta, et participe à diverses autres publications.
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