Le STO, ou Service du Travail Obligatoire fut une organisation visant à faire revenir au pays une partie des quelque 2 millions de prisonniers de guerre français alors détenus en Allemagne. Ce service avait été « négocié », pour ne pas dire offert par la France de Vichy selon une règle tout à fait désavantageuse qui fixait à 3 travailleurs français pour le retour d’un seul prisonnier. Dans ces conditions, il était évident que le départ pour le STO signifiait non pas de libérer un soldat français mais bien de participer à l’industrie de guerre allemande.
C’est pourquoi, le STO fut rapidement stigmatisé et haï par la quasi-totalité de la population française et déclencha une vague de refus et de rejet du STO dans toute la France occupée. Les réfractaires au STO furent des milliers, et allèrent grossir les rangs des maquis français marquant également un tournant dans l’histoire de la Résistance. Quelques hommes toutefois,souvent par hasard, parfois par méconnaissance furent entraîné dans cette « aventure du STO » dont il devait longtemps se souvenir.
C’est le cas de Monsieur Perrin né en 1922 dans l’Ain et qui des années après son service du travail obligatoire a finalement accepté de témoigner de son histoire des plus particulières. Il avait bien des années auparavant détruit les documents et les insignes inhérents à ce service,déclarant pudiquement que c’était « pour ne pas encombrer la famille ». Car beaucoup d’hommes de sa génération, dont mon grand-père qui vivait dans le même canton, avait eu le réflexe du refus, M. Perrin ne fut pas de ceux-là et il devait le regretter toute sa vie, bien que rien ne puisse lui être reproché et qu’il soit connu pour avoir mené une vie exemplaire et tranquille, apprécié de ses concitoyens pour sa serviabilité et son ouverture.
En 1936, il avait rejoint la société musicale de son village, et avait eu la chance, extraordinaire pour l’époque, de se rendre avec son orchestre à l’Exposition Internationale Universelle de Paris de 1937. Il devait garder de ce voyage un souvenir inoubliable, notamment l’image très forte des deux monuments, celui de l’Allemagne nazie et de l’Union Soviétique, énormes monuments dans le style grandiloquent des régimes totalitaires qui se trouvaient face à face dans l’exposition. C’est ici, également, que M. Perrin avait pu voir pour la première fois fonctionner la télévision, installée pour l’occasion sous la Tour Eiffel.
En 1940, sa famille, comme toutes les familles de la région, l’incita à s’enfuir à vélo loin dans le Sud de la France pour fuir l’avance allemande, sur la rumeur que les allemands raflaient tous les jeunes gens pour les envoyer en Allemagne. Il s’en fût donc à vélo jusqu’en Lozère, dans une pittoresque aventure sous fond d’effondrement militaire de la France et de capitulation. Il devait garder un souvenir cuisant de cette terrible humiliation que fut la défaite de 40.
En 1942, il est appelé à servir dans les chantiers de Jeunesse, et sert, comme tous les jeunes hommes du secteur, dans le massif de la Chartreuse dans les Alpes. Ayant achevé ce service, il rentre au village en février 1943, tout juste pour recevoir une convocation pour le service du STO. Ne sachant que faire, indécis et inquiet pour sa famille, il fut du premier convoi STO qui partit de Bourg-en-Bresse en mars 43, et fut envoyé directement en Allemagne, en Silésie dans la ville de Breslau. Le train comptait 800 à 900 hommes du STO. Lui-même fut affecté au service du Tramway et dans une équipe de réparation des voies.
Il travailla ainsi durant 6 mois, logé dans un misérable baraquement, seul français entouré de nombreux polonais et allemands. Il fut par la suite affecté à l’usine Telefuncken qui fabriquait des radars pour l’armée allemande. Il travaille ainsi jusqu’en 1944, ayant le privilège en tant que fourrier « d’aller aux vivres » chaque matin, ce qui lui permis notablement d’améliorer son ordinaire et celui de ses camarades. Avec ses compagnons, ils arrivent à se procurer en cachette une radio pour tenter de suivre les opérations de la guerre, car dans l’Allemagne de 1944, les informations étaient distillées seulement par les services de propagande de Goebbels.
Dans son travail quotidien, lui et ses amis réquisitionnés ou prisonniers de guerre sabotent le matériel qui est construit autant que possible. Notamment et surtout les hommes travaillant dans la partie « électrique » de l’usine, Monsieur Perrin étant quant à lui employé à l’atelier de tôleries. Par deux fois, Hitler vint également en visite dans l’usine durant son service, et M. Perrin put apercevoir de loin, les terribles dignitaires du régime nazi, Hitler, Himmler,Goebbels… L’impression laissée dans sa mémoire fut de se dire que là, non loin, se trouvait le mal absolu et de se dire : « Merde c’est tout ça qui emmerde le monde entier ». Une impression d’impuissance et de désarroi.
Mais à l’Ouest et surtout à l’Est, les allemands perdent bataille après bataille. A Breslau, M. Perrin continue son travail jusque vers le début de 1945, où l’usine ainsi que les prisonniers et les civils sont évacués par les allemands vers l’Ouest. C’est à pied et dans des conditions terribles, que cette retraite s’effectue dans une Allemagne en perdition, sous les bombardements et au milieu des destructions et des incendies.
Très rapidement, il se retrouve avec ses compagnons quasiment en liberté, mais prisonnier de ce pays à la dérive. Il atteint la ville de Dresde le 12 février 1945… la veille du terrible bombardement de la ville par une flotte de plus de 1 300 bombardiers anglo-américains. M. Perrin devait se souvenir longtemps de ce terrifiant bombardement. Par chance, la ville étant bondée de réfugiés allemands, il se trouve logé dans une cave à la périphérie de Dresde. Cela lui sauva sans doute la vie, car durant deux jours, les alliés pulvérisèrent la ville tuant entre 25 à 40 000 victimes selon les recherches actuelles, mais longtemps les estimations ont fait état d’un nombre plus important, de 135 000 à plus de 300 000 victimes.
Après le bombardement, M. Perrin put s’enfuir de cette ville en proie aux flammes, vision de l’Enfer avant l’heure, le fameux crépuscule des Dieux. Il raconte avoir du sauter par-dessus des flaques de magnésium en combustion, dans un décor cataclysmique. Ayant échappé à une fin terrible, il continue avec ses compagnons sa marche vers l’Ouest, fuyant l’avance soviétique en même temps que les populations allemandes, dans un exode qui lui rappelait en pire, les épisodes tragiques qu’il avait vécu en France en 1940.
Il a la chance de rentrer en France indemne et de retrouver sa famille. Il gardera longtemps un souvenir amer de n’avoir pas su, comme d’autres, se décider à s’enfuir pour ne pas partir pour le STO. La suite de sa vie fut heureuse et tranquille, il vit toujours paisiblement dans son village natal où il est correspondant de presse et est unanimement apprécié et respecté par ses voisins et concitoyens.
Comme lui, d’autres hommes, d’autres Français eurent la malchance pour des raisons diverses de partir en Allemagne, ils furent des témoins de la fin tragique de l’Allemagne nazie, et ont la plupart du temps peu ou pas parlé de leurs expériences. A leur manière, notamment comme Monsieur Perrin dans les sabotages, ils participèrent à la chute de l’ennemi, à sa destruction et sont revenus en France riche de souvenirs qui peuvent servir à éclairer la jeunesse sur ce que fut cette époque trouble de notre histoire.