L'Arménie est l'un des pays de l'espace postsoviétique où la célébration de la Victoire dans la Grande guerre patriotique n'a pas subi de métamorphoses significatives. Les cataclysmes historiques à la charnière des époques n'ont pas réussi à déformer la perception de cette date aux yeux de la société.
Cette attitude traditionnelle envers la fête de la Victoire (célébrée le 9 mai) ne s'explique pas seulement par la prise de conscience de l'échelle universelle et de l'importance de la défaite du fascisme, mais également par une certaine "arménisation" de la fête qui lui apporte une touche nationale nettement marquée, le sentiment sincère et la fierté d'avoir contribué à la victoire.
Les maréchaux, les généraux et les amiraux
Quelle que soit l'enseignement de l'histoire dans les écoles et les universités arméniennes, quels que soient les changements apportés aux programmes scolaires, les habitants arméniens savent dès le plus jeune âge combien de maréchaux, de généraux et d'amiraux le peuple arménien a sacrifié à la puissance soviétique pendant les années de la guerre. Combien de Héros de l'Union soviétique ont été élevés par les mères arméniennes et combien de divisions ont été envoyées sur le front, formées d'Arméniens qui avaient à peine réussi à se remettre du génocide, des guerres et des risques de disparaître au début du XXe siècle.
Quatre commandants: le maréchal de l'Union soviétique Ivan Bagramian, le maréchal des forces blindées Amazasp Babadjanian, le maréchal de l'aviation Sergueï KHoudiakov (Armenak Khamferiants), le maréchal des forces du génie Sergueï Aganov, ainsi que l'amiral de la marine Ivan Issakov (Ovannes Issaakian) sont au sommet de la hiérarchie militaire, sur laquelle le temps, les courants politiques et les intérêts n'ont pas d'emprise.
93 généraux, 105 Héros de l'Union soviétique, 27 chevaliers de l'Ordre de la gloire s'ajoutent à ce panthéon en apportant à l'expression "Guerre patriotique" un sens réel compréhensible aussi bien pour les représentants de l'ancienne génération que pour les jeunes.
L'Arménie est fière d'avoir envoyé au front six divisions d'infanterie motorisée, dont une, la 89e, est arrivée jusqu'à Berlin.
Ces priorités ancrées au sein de la société sont prises en compte par toutes les forces politiques sans exception, indépendamment de leurs préférences et convictions. Le respect de la fête et la glorification des héros nationaux sont des choses indispensables dans le comportement de l'élite politique arménienne.
Le sens sacré du 9 mai
La contribution des Arméniens à la Victoire est effectivement importante. Selon diverses sources, jusqu'à 600.000 Arméniens combattaient sur le front, dont 300.000 ressortissants d'Arménie même, 200.000 venant d'autres républiques soviétiques, et encore 100.000 de pays étrangers. La moitié d'entre eux n'est pas revenue.
A cette époque, la population de l'Arménie dépassait à peine 1,3 million d'habitants, ce qui ajoute un caractère tragique à cette triste statistique.
Les historiens et les vétérans de la Grande guerre patriotique sont convaincus que le sang de centaines de milliers de compatriotes a permis de sauver l'Arménie d'une destruction définitive.
"On était conscient que la victoire des fascistes aurait entraîné l'irruption en Arménie de 26 divisions turques, qui attendaient à la frontière de notre pays", a déclaré à l'agence
Novosti-Armenia Petros Petrossian, président du Comité des anciens combattants et des vétérans des forces armées d'Arménie. Selon lui, l'avenir de l'Arménie ne tenait qu'à un fil à cette époque.
Le sauvetage d'un nouvel éventuel génocide est un facteur important, et pour cette raison les Arméniens éprouvent un respect particulier pour les vétérans de la guerre qui, selon Petros Petrossian, ne sont plus très nombreux dans la république – 2.440 personnes, dont 257 femmes. Parmi eux, 25 survivants du blocus de Saint-Pétersbourg et 22 prisonniers expédiés aux travaux forcés en Allemagne.
Le président du Comité souligne le soutien apporté aux vétérans par le président arménien Serge Sargsian et le ministre de la Défense Seïran Oganian.
L'étude des biographies et des exploits des commandants militaires soviétiques d'origine arménienne font partie intégrante de l'éducation patriotique au niveau gouvernemental.
On baptise en leur honneur des écoles militaires, des polygones et des décorations nationales de l'Arménie indépendante portent leurs noms.
Par ailleurs, l'élite politique du pays associe directement l'héroïsme des vétérans de la Grande guerre patriotique aux réussites de l'Arménie contemporaine, en faisant référence à la continuité des processus historiques, en associant les événements importants pour le pays et en conférant un sens symbolique et sacré à la journée du 9 mai.
De plus, fait remarquer Sergueï Minassian, chef du département d'études politiques de l'Institut du Caucase à Erevan, contrairement à de nombreux nouveaux Etats, la russophobie en Arménie n'a jamais été et n'est prédominante ni dans la société, ni au sein de l'élite politique.
Par conséquent, la perception de la journée de la Victoire ne peut pas être négative ou politisée, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux autres pays postsoviétiques.
Une histoire dont on peut être fier
La journée de la Victoire est célébrée en Arménie au plus haut niveau gouvernemental.
La matinée débute par les messages du président, du président du parlement, du premier ministre et du ministre de la Défense. Les dirigeants politiques et militaires d'Arménie ainsi que le clergé, selon la tradition, déposent des gerbes devant la Flamme éternelle près de la Tombe du soldat inconnu dans le Parc de la Victoire à Erevan.
Le défilé conjoint de l'armée arménienne, de la 102e base russe et de la direction frontalière du FSB russe en Arménie est l'apothéose des festivités. Traditionnellement, dans le Parc de la Victoire on met en place une "popote" pour les vétérans de la Grande guerre patriotique, où ils sont félicités par les dirigeants, ainsi que les habitants et les visiteurs de la capitale qui leur offrent des fleurs et prennent des photos en souvenir.
L'attitude des représentants de l'élite politique envers les vétérans le 9 mai est également très respectueuse. Et les soldats arméniens actuels à Erevan sont considérés comme des continuateurs des traditions glorieuses des héros de la Grande guerre patriotique.
"La cause des vétérans, de nos grands-pères et de nos pères, n'a pas été vaine. Leurs exploits se sont reflétés sur les victoires de notre histoire contemporaine et sur l'activité de notre génération", affirme le ministre arménien de la Défense Seïran Oganian.
Aucun sondage n'a été réalisé auprès de la société arménienne pour la fête de la Victoire, mais le sociologue arménien Agaron Adibekian ne doute pas que les Arméniens perçoivent cette date de manière très positive.
"C'est un fragment de notre histoire, dont nous sommes fiers… L'attitude envers la guerre, telle qu'on peut la voir dans les pays baltes ou avec les nationalistes ukrainiens, n'a jamais existé en Arménie, et ce ne sera jamais le cas. C'est notre victoire!", a souligné le sociologue.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction