Une autre date limite est arrivée à échéance dans de l'élimination des arsenaux chimiques: le 29 avril 2012 les réserves mondiales de "mort froide" devaient être détruites. Ce n'était pas le premier ultimatum et, apparemment, ce n'est pas le dernier non plus: malgré tous les accords internationaux, le processus de destruction des armes chimiques est très lent. Mais même si les pays remplissent à la lettre les conditions des accords, le danger du rétablissement de la production d'agents toxiques demeure.
Les délais existent pour être reportés
Il est question des délais fixés par la Convention sur l'interdiction des armes chimiques entrée en vigueur le 29 avril 1997. Même sans prendre en compte les pays qui sont très prudents concernant la limitation de leurs arsenaux chimiques, et en ayant en vue que les deux superpuissances qui ont accumulé lors des années de guerre froide des dizaines de milliers de tonnes de poison, il existe plus que suffisamment d'obstacles à la mise en œuvre des dispositions de la Convention.
A l'heure actuelle, la Russie a détruit seulement 60,4% de ses réserves d'agents toxiques, soit près de 24.000 tonnes de produits chimiques de ce qu'on appelle la "liste 1". Cette liste concerne les agents toxiques: organophosphorés (sarin, soman, tabun, gaz V), les vétérans des deux guerres mondiales – les ypérites (y compris à l'azote) et les lewisites, ainsi que certaines toxines naturelles.
Les Etats-Unis ont beaucoup avancé en termes de destruction de leurs armes chimiques – à l'heure actuelle ils ont éliminé près de 89% des 31.500 tonnes d'agents toxiques américains. Cependant, à l'avenir le processus sera très lent: en particulier entre 2012 et 2015, ainsi qu'en 2017 et 2018 les Etats-Unis ont l'intention de faire une pause dans le recyclage des agents chimiques, nécessaire pour équiper à cet effet les plateformes de traitement dans les entrepôts. Selon Washington, la fin de ce processus est prévue aux alentours de 2021.
Selon le texte de la convention, la fin du processus d'élimination était calculée en 1997 sur dix ans, puis elle a été reportée de cinq années supplémentaires (avec date butoir impérative en 2012), or cette fois le délai a été prorogé jusqu'en 2015, bien que de facto ces termes ne soient déjà pas respectés.
Tous les pays ont leurs problèmes
Dans les années 1980, en calculant la stratégie d'élimination des arsenaux chimiques, les Etats-Unis ont passé en revue tous les cas de figure, et en fin de compte ils ont arrêté la solution suivante: collecter toutes les armes chimiques sur leur territoire, les concentrer sur quelques grandes bases de stockage (initialement huit) et les recycler, en mettant pour cela en place les installations ad hoc. Cette approche engendrait des difficultés associées à la dispersion des capacités de traitement entre les bases de stockage, ce qui se traduisait par des dépenses supplémentaires.
Au milieu des années 1980, l'Union soviétique a décidé de suivre un autre chemin: concentrer les armes chimiques dans deux-trois grandes usines de recyclage créées à cet effet. L'usine de Tchapaïevsk, impliquée dans un grand scandale de la perestroïka, devait devenir l'une d'elles. Lorsque le public a additionné 2+2, une vague de protestation a surgi et l'entreprise (assez bien conçue pour remplir sa mission) a été stoppée.
Dans les années 1990, après les Etats-Unis la Russie a renoncé au concept des usines spéciales de retraitement au profit du principe "recyclage sur place." Cela a soulevé un autre problème: il n'y avait pas suffisamment d'argent pour mettre en place les installations d'élimination sur les sept bases de stockage russes.
Par exemple, la base de Potchep, région de Briansk, a été l'avant-dernière à recevoir en novembre 2010 une usine de recyclage d'armes chimiques. Selon les prévisions antérieures, le lancement de cette usine était prévu pour 2008, alors que les plans initiaux en 1997 supposaient son lancement dès 2004, et que les délais limites d'élimination de l'ensemble des armes chimiques s'arrêtaient en avril 2007.
Au cours des trois années restantes, la Russie devra éliminer 16.000 tonnes d'agents chimiques, ce qui ne paraît pas si simple à première vue. Ainsi, il est possible que Moscou suive l'exemple de Washington et reporte les délais à nouveau. Et ce serait même plus juste, étant donné que personne n'est réellement en retard, et que les erreurs éventuelles lors d'une élimination excessivement fébrile des stocks de poison peuvent faire non seulement des victimes humaines, mais avoir également des conséquences irréparables pour l'environnement.
De l'autre côté de la Convention
Les régimes de la Convention permettent de régler une bonne fois pour toutes la question des réserves de mort froide accumulées. Cependant il est difficile de dire dans quelle mesure le contrôle international des produits chimiques sur trois listes de la Convention est capable de limiter les nouvelles élaborations d'armes chimiques. Or, beaucoup de choses prouvent qu'elles ont été menées jusqu'à très récemment.
En septembre 1992, le chimiste Vil Mirzaïanov, qui a travaillé depuis les années 1960 à l'Institut de recherche en chimie organique et de technologies (principal développeur russe d'agents toxiques de combat), a publié dans le quotidien Moskovskie Novosti l'article intitulé "La politique empoisonnée", où il expliquait que selon ses informations, en Union soviétique, tout à la fin de son existence a été créée une arme chimique de troisième génération (ce qu'on appelle le programme Foliant).
Il était question d'un groupe de tous nouveaux agents chimiques neuroparalysants qui ont été baptisés, selon Vil Mirzaïanov, Novitchki (novices) et mis en service dans l'armée soviétique à quelques mois de l'effondrement de l'URSS (en dépit de la fin du développement et de production d'armes chimiques officiellement annoncée en 1987). Le développement de ces agents chimiques n'a jamais été ouvertement confirmé par les autorités russes, mais Mirzaïanov a été arrêté à deux reprises (en 1992 et en 1994). Toutefois, le parquet n'a pas réussi à condamner le chimiste pour divulgation d'un secret d'Etat, après quoi Mirzaïanov a émigré aux Etats-Unis.
Cette histoire comporte de nombreuses contradictions et est très floue, sa facture comme ses acteurs suscitent de nombreuses questions du point de vue de la véracité et des motivations personnelles. Ainsi, il existe plusieurs hypothèses (l'une d'elles est l'information donnée par Mirzaïanov) sur la composition qualitative et quantitative de ces recettes mollement discutée sur internet (aussi bien russophone qu'anglophone) par les chimistes organiques intéressés. Il n'existe pas de point de vue unanime.
Quant aux Etats-Unis, on ne dispose d'aucune information fiable sur les élaborations d'arme chimique de troisième génération. Mais lors de l'établissement des listes 2 et 3 de la Convention, beaucoup de spécialistes indiquaient que les Américains travaillaient activement sur les listes des produits chimiques précurseurs "criminels" pour la synthèse de composés phosphoroorganiques.
En particulier, les listes comprennent des "brèches" pour les produits qui formellement ne sont pas associés aux processus techniques des fameux agents chimiques neuroparalysants (sarin, soman, tabun, gaz V), mais ont été utilisés dans les technologies civiles, par exemple, les insecticides phosphoroorganiques. Et la chimie américaine est traditionnellement très avancée dans ce domaine, et ces soixante dernières années elle approvisionnait également ses propres militaires avec les nouvelles élaborations.
Pour certains spécialistes, une telle sélectivité dans l'établissement des listes de contrôle est inquiétante, car elle pourrait cacher les composantes pour la production rapide de nouvelles recettes qui n'ont pas encore été divulguées.
Toutes les sources ouvertes attribuent à ces mixtures semi-mythiques, américaines et soviétiques, deux caractéristiques très dangereuses: premièrement, une toxicité extrêmement élevée (parfois plusieurs fois plus élevée que les "rois" de la guerre chimique, gaz V) et (dans le cas des Novitchki soviétiques) les lésions pratiquement incurables et, deuxièmement, ce qui est le plus importante dans cette question – une technologie très simple de synthèse à partir de précurseurs non spécifiques, produits en grande quantité dans la "chimie civile".
Le dernier point requiert une attention particulière. Si de telles formules ont pu être développées, alors on est face à une nouvelle arme chimique "dormante" qui n'est pas concernée par la Convention. Sa synthèse pourrait être réalisée à tout moment avec des produits chimiques fabriqués en série par la "chimie civile", et qui peuvent difficilement faire partie des listes 2 et 3 de la Convention.
En profitant des régimes de la Convention, on peut habilement et de manière sûre pour l'environnement se débarrasser des réserves de poisons dont les plus anciens date de la période d'entre les deux guerres mondiales. Cependant, comme on peut le voir, cela ne signifie pas du tout que l'arme chimique ne fera plus jamais partie des arsenaux de la planète et ne sera jamais utilisée sur un théâtre d'opérations.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction