Les déclarations un brin scandaleuses de Stéphane Le Foll concernant la politique musclée de la France à l’égard de la Russie, ont semé la pagaille comme un pavé balancé dans la mare du tout-Moscou. La fine fleur de la Russie s’est demandé à quel point le candidat socialiste donné déjà gagnant dans la course présidentielle peut-il être imprévisible et incontrôlable un peu à la Mac Caïn américain. Oui-oui ! On pense à ce petit vieux, ce sénateur américain sénile et gâteux, ancien candidat à la magistrature suprême des States, qui a promis tous les maux du monde à Vladimir Poutine et l’a presque sommé d’appliquer à la lettre les libertés américaines en Russie. Et comme François Hollande n’est ni sénile ni gâteux, on a du mal à comprendre comment peut-il souffrir l’incompétence et l’ignorance dans ces propres rang. A entendre Le Foll se prononcer sur la Russie, c’est comme si quelqu’un se mettait à rouscailler bigorne sur la scène de l’Opéra !
Quoi qu’on en dise, on est à deux doigts du résultat final de la présidentielle et avec un point et demi de décalage entre le président sortant et le candidat socialiste, ce roi trouvé qui a remplacé le sage Dominique Strauss-Kahn, on veut absolument y voir clair et démêler l’écheveau embrouillé des idées socialistes. Pour ce faire nous avons décidé de faire appel aux lumières de l’IRIS, Institut des Relations Internationales et Stratégiques, très proche du milieu de la Défense et du renseignement français. Un grand spécialiste de la problématique russe, chercheur objectif et désintéressé Philippe Migault a accepté de nous guider dans notre quête de vérité.
La Voix de la Russie : M. Migault, une seule question mais de taille ! Vous êtes un spécialiste de la Russie et de la CEI. La présidentielle bat son plein en France. L’entre-deux-tours commence. Et la Russie de se demander quelle pourrait être la politique du nouveau Président de France à l’égard de Moscou ? Si l’on connaît plus ou moins Nicolas Sarkozy avec ses contrats passés avec l’Administration Medvedev, j’avoue que pour ce qui est de François Hollande, on navigue dans le brouillard le plus opaque. Comme nous savons que Stéphane Le Foll, son chef de campagne, veut exiger de la Russie le respect des Droits de l’Homme, on ne sait littéralement plus à quel saint se vouer ! Tout d’abord parce que depuis plus de 15 ans déjà, la liberté de presse est totale à Moscou sans parler des Droits de l’Homme. Et encore on se demande quelle peut être la différence entre Sarko et Hollande puisque Le Foll a dit que la France resterait dans le dispositif de l’OTAN. Qu’est-ce que vous en pensez, en fait ?
Philippe Migault : Ecoutez, je pense que comme toujours dans le contexte électoral, il faut faire le distinguo entre les déclarations et puis les actes. Ce qu’a dit Le Foll n’engage que lui-même. C’est un personnage plutôt de la seconde ligne du PS même s’il est le conseiller de François Hollande pour cette campagne, il n’est pas décisionnaire de la politique du Parti socialiste en matière de la diplomatie, Dieu merci ! En ce qui concerne les déclarations vis-à-vis de l’OTAN, nous sommes revenus dans le commandement intégré de l’OTAN sous la houlette de Nicolas Sarkozy… Dans les faits il faut cesser d’être hypocrite parce que la France n’a jamais quitté l’OTAN ! Nous avions toujours été membre de l’OTAN même si nous avons quitté le commandement intégré depuis 1966. Alors il est vrai qu’en principe rien ne devrait changer vis-à-vis du traité de l’Atlantique Nord. Maintenant il faut voir les choses sous un angle légèrement différent : autant Nicolas Sarkozy est très pro-atlantiste, très pro-américain, très libéral, autant le Parti Socialiste, lui, est davantage dans une optique gaullo-mitterrandienne, si je puis me permettre cette expression, à savoir la volonté de ne pas s’aligner aveuglément sur la politique américaine. Et donc, la volonté de ménager l’indépendance de la France devant les différents acteurs internationaux. De ce point de vue-là, l’arrivée au pouvoir du parti socialiste à l’Elysée, serait plutôt une bonne chose pour la Russie puisque nous ne serons plus automatiquement alignés sur la position de Washington. Maintenant ce qui risque d’être problématique, c’est que le PS fait très volontiers la part belle à l’idéologie par rapport au réalisme. Je m’explique. François Hollande a des conseillers, des conseillers diplomatiques qui connaissent la Russie, qui connaissent la réalité russe et qui sont à même de lui présenter un tableau à peu près exact de la situation en Russie. Donc François Hollande est parfaitement conscient de la nécessité de continuer un partenariat stratégique avec la Russie. C’est dans notre intérêt. C’est dans l’intérêt des grandes entreprises françaises qui interviennent à Stockmann, c’est dans l’intérêt de Renault et Avtovaz, c’est dans l’intérêt d’Alsthom pour le ferroviaire en Russie, c’est dans l’intérêt de Safran et du CNES – c’est dans l’intérêt de l’économie française, c’est dans l’intérêt aussi de la diplomatie française dans la mesure où nous aussi, nous voulons un monde qui soit multipolaire ! Maintenant derrière cette vision de choses qui est pragmatique, qui est réaliste, le parti socialiste est beaucoup plus perméable aux pressions de l’intelligentsia française. Le PS est très sensible à cette intelligentsia, et l’intelligentsia française – il ne faut pas se compter d’histoires ! – est hostile à la Russie. Cette intelligentsia française quelle est-elle ? C’est une classe d’intellectuels, une classe d’artistes, une classe médiatique aussi ! qui considère que la Russie est restée ce qu’elle était autrefois, à savoir un pays où les Droits de l’Homme sont systématiquement foulés aux pieds, un pays où seul l’autoritarisme prévaut un pays où les libertés publiques n’existaient pas et où la corruption règne en maître un peu partout. Donc, c’est cette idée de la Russie telle qu’elle a pu être à l’époque de l’Union Soviétique ou à l’époque des années Eltsine qui continuent à prévaloir dans l’intelligentsia française et qui, une fois instrumentalisée, peut pousser le PS et peut pousser l’Elysée éventuellement à adopter ou à prononcer des déclarations musclées vis-à-vis de la Russie. Tout ce qu’il faut espérer maintenant c’est que ces déclarations musclées ne seront pas suivis d’effet dans les actes. Voilà !
La Voix de la Russie. D’accord ! Je vous remercie infiniment, Monsieur Migault ! Vous nous rassurez ! On se sent beaucoup plus tranquilles, c’est vrai. On va saluer, je crois, l’avènement de François Hollande et attendre la suite des événements… Merci !
Philippe Migault : Ecoutez, l’avènement de François Hollande en l’occurrence, il n’a pas encore eu lieu pour l’instant. Vous savez, c’est comme une course de cyclistes : tant que vous n’avez pas passé la ligne d’arrivée, vous n’avez pas encore gagné !
La Voix de la Russie : Dans ce cas on va toucher du bois. Et merci encore de vos commentaires qui nous sont plus que précieux. Au revoir !
Vous voyez bien que les militaires et les analystes de la Défense se méfient beaucoup de l’entourage intellectuel et socialiste de François Hollande traité par Philippe Migault à juste titre d’ailleurs d’intelligentsia. Je rappellerai à nos auditeurs que sous les tsars ce sobriquet était complètement péjoratif ! A ne pas confondre avec les intellectuels. Cette intelligentsia peut ruiner les relations de la France et de la Russie. Elle est imprégnée d’une ignorance crasse à couper au couteau et sans états d’âme serine des élucubrations fantaisistes fondées sur des idées déplacées. Ainsi l’un de nos amis Yvan Blot, haut fonctionnaire de l’Intérieur et professeur à Sophia-Antipolis, auteur du concept de la démocratie directe en France et politique de premier plan, a bien voulu critiquer l’un des échantillons-type de cette chère intelligentsia et de sa production cérébrale.
Yvan Bot a décidé de mettre au pas un professeur chevronné d’Aix en Provence, M. Garello qui s’est permis de parler de la Russie en toute ignorance de cause mais se faisant passer pour un spécialiste de la question. L’article est tellement intéressant et… désintéressé que nous nous permettrions de le citer dans son intégrité. Le Voici !
Réponse à mon ami Jacques Garello sur la Russie qu’il ne connaît pas.
Par Yvan Blot
« Une fois n’est pas coutume. Je suis en désaccord total avec mon ami, le brillant économiste libéral qu’est la professeur Jacques Garello, qui vient d’écrire dans son excellente Nouvelle Lettre un article caricatural sur la Russie actuelle intitulé « la Russie prisonnière du Kremlin » (numéro du 10 mars 2012).
Selon lui, Poutine remet en place le système dictatorial que la jeunesse russe avait naguère anéanti et remet en selle une nomenklatura plus riche et plus arrogante que la Soviétique. C’est pour Jacques Garello le retour de la « Russie éternelle ».
N’importe qui, qui se donne au moins la peine (ou la joie !) d’aller en Russie, est frappé par le contraste entre l’Union soviétique d’autrefois et la Russie actuelle. Je suis allé à Moscou sous Gorbatchev : les magasins étaient vides et les rues sans voitures. La pénurie sévissait partout. Sous Eltsine, ce n’était guère mieux. Mais il est vrai qu’il y avait désormais une liberté de parole, plus grande qu’en France, qui contrastait avec la dictature soviétique. La Russie d’Eltsine, c’était la liberté mais aussi la corruption et la pénurie !
A présent à Moscou, les magasins regorgent de produits. Les embouteillages bloquent la circulation tellement il y a de voitures ! Un simple coup d’œil du voyageur montre que tout a changé. Garello utilise le cliché raciste voire hitlérien de la « Russie éternelle » pour condamner de façon raciste un peuple que les medias lui ont appris à détester !
Où Jacques Garello a-t-il vu que la jeunesse russe a anéanti la dictature communiste ? La vérité est que c’est Gorbatchev qui a amorcé le processus, et Eltsine a continué, de destruction du système soviétique. La révolution s’est faite par le haut, si j’ose dire, avec l’appui d’une partie des dirigeants du KGB. La jeunesse n’a accomplit aucune révolution : c’est du romantisme de bazar que de croire ! C’est le Kremlin qui a libéré la Russie, n’en déplaise à ceux qui ne regarde pas les faits.
Dans la Nouvelle Lettre du 10 mars, Garello tente cette comparaison audacieuse : « la Russie, c’est l’Espagne du 16ème siècle ! (..) il n’y a plus d’activité industrielle, plus de construction, plus d’agriculture ». Ce portrait est celui que faisait la propagande communiste autrefois et encore de façon moins caricaturale en décrivant l’Occident. Comment se fait-il que les astronautes américains utilisent la fusée Soyouz pour aller dans la station orbitale internationale ? Comment se fait-il que le TGV russe Moscou Saint Petersbourg arrive à rouler à moins 40 degré de température alors que notre TGV tombe en panne sous le tunnel sous la Manche dès qu’il y a de la neige à l’entrée ? Quid des voitures Lada ? Comment se fait-il que l’on construise des centaines d’Eglises en Russie alors qu’en France on construit plutôt des mosquées ? Jacques Garello a-t-il vu, ne serait ce que sur internet le centre d’affaires de Moscou avec ses grattes ciels ? D’où viennent toutes ces constructions ?
Garello dit que les dirigeants russes veulent reconstituer l’empire (je le crois aussi) « pour mieux en masquer l’effondrement économique » : quel effondrement ? 5 % de croissance par an, on aimerait les avoir en France ! La Russie a un budget en équilibre, très peu de dettes, des réserves de change énormes, une flat tax comme impôt sur le revenu à 13 % !!! Garello ignore sans doute qu’une brillante école d’économistes libéraux s’est constituée à Saint-Pétersbourg du temps de son ancien maire le professeur Sobtchack dont Poutine est un disciple. Le précédent ministre des finances Koudrine a eu une excellente politique économique. Certes, il est actuellement en rupture de ban parce qu’il s’oppose au plan de dépenses militaires. Mais depuis quand les dépenses militaires s’opposent au libéralisme économique ? Les USA ont un budget militaire qui correspond à 40 % des dépenses mondiales en la matière ! Reagan et madame Thatcher ont augmenté les dépenses militaires. En économie, Poutine est plutôt libéral mais il a encore de grandes réformes à faire mais c’est absurde de dire qu’il veut restaurer l’URSS. En tous cas, l’économie russe se porte mieux que la notre !
Je ne suis pas d’accord non plus avec les fausses oppositions qui sont à la fin de l’article. L’opposition entre « puissance » et « confiance » aurait fait sourire madame Thatcher ! Garello aurait-il souhaité un Etat impuissant face à Hitler ? J’en doute !
Laisser s’exprimer le marchand ? Soit mais il ne faut pas faire de lutte de classes à l’envers et faire du marchand idéal l’équivalent de ce qu’était le prolétaire idéal pour les communistes. Un Etat faible est incapable de lutter contre le crime et la corruption : la mafia est-elle à promouvoir sous prétexte qu’il s’agit d’une activité privée ? Or la mafia avait pris le pouvoir avec Eltsine et Poutine s’efforce de la réduire et de la contenir. L’idéalisation du marchand est par ailleurs une idéologie totalement anti chrétienne, soit dit au passage. Le dernier livre du patriarche de toutes les Russies Cyrille Premier qui s’intitule « l’Evangile de la liberté »est excellent et défend la liberté sans tomber dans ce travers de l’adoration des marchands du Temple !
L’Occident n’est aujourd’hui absolument pas un modèle. D’abord, les managers ont remplacé largement les capitalistes propriétaires comme le montre Pascal Salin dans son livre « revenir au capitalisme ». Financièrement, la Russie est bien plus saine que l’Occident qui s’endette et ne cesse d’augmenter les impôts. Personnellement, je préfère la flat tax de Poutine à notre IRPP !
Je suis triste de voir mon ami Garello, qui a si souvent raison, commettre un article qu’il faut bien qualifier de « raciste » contre la Russie (la fameuse « Russie éternelle » qu’il déteste) et qui va contre les évidences de n’importe quel observateur impartial qui voyage un peu ! Je n’aime pas l’injustice ainsi faite à la Russie actuelle.
Yvan Blot
Comme disait Victor Hugo, « la fiente qui tombe, n’empêche point l’oiseau de voler ! » Pourvu que François Hollande s’inspire d’autres spécialistes que M. Garello et fasse appel à des gens qui, tel Yvan Blot, sont allés puiser leur information à la source pour se rendre à l’évidence : la Russie réserve bien des surprises au nouveau Président français qui sera bien obligé d’apprendre à vivre avec ! A bon entendeur salut !