De Moscou à Astrakhan via Iaroslavl, l'irrésistible marche de l'opposition

© RIA Novosti . Vladimir Astapkovitch / Accéder à la base multimédiaOleg Cheïn
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L'ex-candidat au poste de maire d'Astrakhan, Oleg Cheïn, s'est rendu à Moscou pour rencontrer le président de la Commission électorale centrale de Russie Vladimir Tchourov.

L'ex-candidat au poste de maire d'Astrakhan (ville située à l’embouchure de la Volga, sur la mer Caspienne, à 1.273 km au sud de Moscou), Oleg Cheïn, s'est rendu à Moscou pour rencontrer le président de la Commission électorale centrale de Russie Vladimir Tchourov. Ce dernier n'a pas écarté la possibilité de visionner les vidéos des bureaux de vote d'Astrakhan dès lundi. Le même jour, Cheïn a déposé une requête auprès du tribunal en contestation des résultats des élections.

L'histoire de la grève de la faim d'Oleg Cheïn, du parti Russie Juste, et la résonance qu'elle a provoquée (y compris grâce au soutien actif de la fraction parlementaire de Russie Juste et des acteurs clés de l'opposition hors système moscovite), permettent de parler de son importance pour la compréhension des nouveaux processus qui ont lieu aussi bien dans la politique russe qu'au sein de la société.

Les passions à Astrakhan continuaient de se déchaîner, même alors que toutes les élections sont terminées et que l'investiture présidentielle est proche, et que l'opposition se voit de plus en plus reprocher l'absence de slogans constructifs, de nouvelles approches originales et de nouveaux acteurs.

Et soudain, il s'est avéré que le scandale autour du siège de maire d'Astrakhan (de la même manière que la situation autour des élections municipales de Iaroslavl, chef-lieu régional situé à 282 km au nord-est de Moscou) devenait le précurseur d'une nouvelle tactique de l'opposition russe qu'elle-même ne semble pas avoir encore comprise jusqu'au bout.

Une superproduction loin d'Hollywood
Tout a commencé de manière inattendue, mais a évolué rapidement. Le prétendant au poste de maire d'Astrakhan, Oleg Cheïn, a refusé de reconnaître les résultats de l'élection, a dénoncé de nombreuses falsifications et a décrété une grève de la faim.

Comme lui-même l'affirme, ses démarches auprès des organismes publics sont restées sans réponse, bien qu'il n'ait déposé sa plainte que le 16 avril. En visionnant les enregistrements des bureaux de vote envoyés par Cheïn, la Commission centrale électorale de Russie l'a accusé d'avoir effectué des montages, et le gouverneur de la région était tantôt compatissant, tantôt lui refusait son soutien.

Une ou deux semaines après le début de la confrontation entre Cheïn et les autorités locales, à Moscou on s'est également intéressé à la situation. Les premiers à s'y rendre étaient le journaliste Leonid Parfenov et Elizaveta Glinka, représentante de la Ligue des électeurs: c'est après leur voyage que dans la capitale russe on a commencé à parler de l'état de santé critique des grévistes et qu'on a décidé qu'il fallait prendre des mesures de toute urgence. Des centaines de volontaires, dont Alexeï Navalny (un activiste politique russe), Ilia Iachine (un opposant et responsable du parti libéral Solidarité) et Ksenia Sobtchak (une personnalité de la télévision et de la radio russe), sont allés de Moscou à Astrakhan pour soutenir Cheïn & Co. Pendant plusieurs jours des rassemblements ont été organisés en ville et on a assisté à quelques altercations avec la police anti-émeute, qui se sont conclus par la marche de samedi au centre-ville.

A Moscou on organise une action de solidarité, et Sergueï Oudaltsov (leader de l’Avant-Garde de la Jeunesse Rouge (AKM) et du Front de Gauche) a même décidé de soutenir ses camarades de lutte non pas en paroles, mais en action en rejoignant leur grève de la faim.

Tout se qui se passe à Astrakhan et autour d'elle depuis un mois ressemble à une superproduction hollywoodienne dans le genre "un solitaire lutte pour la vérité et la justice", bien qu'on ignore toujours à quel point les accusations de Cheïn sont justes et s'il n'exagère pas l'ampleur des infractions dans son propre intérêt. Mais ce qui paraissait au départ absurde, ridicule et même un peu charmant, évoquait au 31e jour de la grève de la faim une confrontation féroce avec une fin imprévisible, qui pourrait même être la mort dans certaines circonstances.

Cela ne fait plus aucune différence
Il serait faux de dire que nous assistons au combat d'un "petit homme" contre la machine gouvernementale. Oleg Cheïn est un homme politique assez connu et expérimenté, un homme à la biographie politique longue et remarquable.

A 17 ans, lorsque l'Union soviétique était sur le déclin, il adhère au Front uni des travailleurs de Russie. Aujourd'hui, cette organisation serait qualifiée de communiste conservatrice, et à l'époque on ses membres étaient catalogués comme léninistes et on les raillait: les idéalistes fervents rêvaient de remettre le pays mourant sur le chemin du véritable développement communiste, en pensant sincèrement que la prochaine fois tout serait différent.

En 1993, Cheïn participe à la défense du siège du Soviet suprême (parlement russe), en conflit avec le président Boris Eltsine, et à l'assaut du centre de télévision d'Ostankino. En 1995, il crée le mouvement syndical Zachtchita (protection) et à la même époque se présente aux législatives pour le bloc "Communistes – Russie laborieuse – Pour l'Union soviétique."

A l'époque, sa tentative a échoué, mais quatre ans plus tard Cheïn retente sa chance et cette fois il est élu au scrutin uninominal comme candidat indépendant et accède à la Douma (chambre basse du parlement russe).

Pendant ses trois mandats de député, Cheïn a changé trois fois de fraction: Les régions de Russie, Patrie et Russie Juste. Durant ces douze années il a remporté facilement toutes les élections en obtenant à chaque fois le meilleur résultat en Russie pour son parti: 16% pour Patrie en 2003 et plus de 20% pour Russie Juste en 2007.

Cheïn est un radical de gauche, une figure douteuse pour la consolidation de l'opposition hétéroclite russe. En "temps de paix" il aurait pu difficilement compter sur le soutien de la majorité de ses compagnons d'armes d'aujourd'hui.

L'une des activistes qui s'apprêtait à se rendre à Astrakhan pour soutenir les grévistes, a été confuse en apprenant le lien entre Patrie et Oleg Cheïn: "Faut-il alors que je rende mon billet d'avion…?" Elle a rapidement repris ses esprits et a dit: "Mais non, ça ne fait plus aucune différence aujourd'hui, de toute façon."

Selon le politologue Gueorgui Satarov, président de la fondation Indem, les événements d'Astrakhan sont à rattacher de toutes les manifestations des six derniers mois: les rassemblements de la place Bolotnaïa et de l'avenue Sakharov à Moscou; une campagne sans précédent de suivi de l'élection présidentielle, le second tour de l'élection municipale à Iaroslavl, où se sont rendus des centaines d'observateurs moscovites. Les gens veulent vivre autrement, estime Gueorgui Satarov.

Les nouveaux visages de l'opposition
Il est évident que les manifestations, principalement moscovites, avaient besoin de leurs propres héros, au titre desquels les acteurs de "l'ancienne" opposition ne pouvaient pas prétendre. C'est la raison pour laquelle Sergueï Oudaltsov s'est transformé de révolutionnaire marginal en acteur politique sérieux en seulement quelques jours.

Et Oleg Cheïn a aujourd'hui également une chance de devenir le nouveau visage de l'opposition et, bien sûr, c'est ce qu'il souhaite ardemment: il est jeune, ambitieux et convaincu qu'il a raison.

Selon les informations officielles de la Commission électorale centrale d'Astrakhan, Oleg Cheïn a obtenu 30% des voix. Objectivement, c'est un très bon score – les concurrents du parti Russie Unie affichent rarement des chiffres aussi élevés.

Les membres de Russie Juste affirment avoir des preuves des falsifications – les mêmes qu'à travers tout le pays: des bourrages d'urnes, de faux comptages des bulletins, etc. Selon eux, beaucoup de ces infractions ont dû être enregistrées par les caméras des bureaux de vote. Cheïn est convaincu qu'on lui a volé sa victoire. D'après lui, le maire élu, Mikhaïl Stoliarov, ne pouvait pas recueillir 60% des voix.

Beaucoup d'habitants d'Astrakhan soutiennent effectivement Cheïn. Il a grandi, étudié et travaillé dans cette ville, notamment comme enseignant à l'école. Il a siégé dans les organismes publics locaux à tous les niveaux et connaît bien les problèmes de la ville.

En janvier dernier, un sondage a été réalisé à Astrakhan pour déterminer l'attitude des habitants de la ville envers les candidats au poste de maire. Il s'est avéré qu'Oleg Cheïn était le candidat le plus connu – 91% des interrogés le connaissent. En revanche, seulement 48% des habitants connaissaient le maire par intérim de l'époque Mikhaïl Stoliarov.

Les résultats qui reflétaient le niveau de confiance envers les candidats n'ont pas été dévoilés: les auteurs de l'étude n'ont annoncé que le résultat de Stoliarov – à trois mois des élections il ne pouvait compter que sur 18% des voix.

La place Bolotnaïa est en tournée
Aux élections de maire à Astrakhan en 2009 Oleg Cheïn avait également obtenu un bon résultat avec près de 25% des voix. Et à l'époque il avait également tenté de défendre sa victoire, mais pas avec autant d'ardeur et de dévouement qu'aujourd'hui.

On peut comprendre pourquoi: protester au printemps 2012 n'a rien à voir avec la lutte pour la justice quatre ans auparavant. L'ordre du jour politique est complètement différent: après les manifestations de Moscou, Oleg Cheïn pouvait compter dès le départ sur le soutien des opposants en provenance de la capitale. C'est exactement ce qui s'est passé – on s'étonne même que le débarquement des Moscovites à Astrakhan ait eu lieu avec autant de retard.

Il était clair que les "succursales régionales de la place Bolotnaïa" n'attendent qu'une occasion pour se manifester. Cela à commencé à Iaroslavl, et Astrakhan a confirmé la tendance.

L'opposition de la place Bolotnaïa et d'Astrakhan ont des points communs – l'aversion envers le gouvernement, déclare Gueorgui Satarov. Et son collègue, le politologue Alexeï Moukhine, directeur général du Centre d'information politique, estime que les actions de l'opposition sont, au contraire, poussées par l'amour – des caméras et de l'agitation. Selon lui, l'opposition s'y est habituée et profite désormais de la moindre occasion pour faire parler d'elle.

En principe, l'un n'empêche pas l'autre.

Le missionnaire Cheïn et les erreurs des autorités
On a l'impression que Cheïn, qui s'est rendu à Moscou, et le président de la CEC Vladimir Tchourov ne pourront pas trouver de terrain d'entente. Mais Cheïn est déjà entré dans les annales de l'histoire avec sa protestation missionnaire et il deviendra forcément un modèle pour quelqu'un d'autre.

Les événements à Astrakhan et à Iaroslavl, dans leur ensemble, pourraient également devenir ce genre de modèle pour l'opposition. Ces événements peuvent être interprétés différemment – ce que l'on constate dès à présent.

Le politologue Alexeï Moukhine estime que tout cela rappelle la progression d'une maladie chronique, lorsque les organes d'un individu sont atteints l'un après l'autre: de la même manière les protestataires passeront d'une zone sensible (par exemple Iaroslavl) à une autre (par exemple Astrakhan).

Il est convaincu que les autorités commettent une grave erreur et font un véritable cadeau à l'opposition en n'essayant pas de résoudre ce genre de problème de manière préventive. La situation aurait pu être réglée très facilement en envoyant quelques hommes du Kremlin pour persuader l'administration locale d'agir de manière plus délicate.

L'opposition aura toujours des raisons de s'indigner et de manifester, affirme Gueorgui Satarov, parce que les autorités en donnent presque quotidiennement.

Un autre pays?
Les opposants parviendront-ils à exporter les sentiments de la capitale vers les régions provinciales? Cela dépend de nombreux facteurs, dont l'habileté de l'approche des leaders moscovites de l'opposition de cette tâche complexe.

Le gouverneur de la région d'Astrakhan, Alexandre Jilkine, a décrit sur son blog l'attitude envers ces événements de ceux qui ont interprété les événements à Astrakhan comme quelque chose d'artificiellement imposé et d'étranger.

"Un comportement agressif et insolent, des provocations de la population locale et des policiers, écrit le gouverneur. Il m'est désagréable de parler des pelouses piétinées, des lampadaires cassés, ils n'ont même pas réalisé qu'ils se trouvaient au-dessus de la fosse commune dans le Bratski sad (jardin fraternel), en grimpant sur le monument en l'honneur des gardes rouges. Or 180 personnes y sont enterrées."

Pour être franc, tous les commentaires sur cette déclaration sont loin de soutenir les propos du gouverneur. Certains blogueurs de la région l'accusent d'avoir tenté de remplacer le problème par des détails. Mais l'aversion envers les étrangers de Moscou est perceptible dans un commentaire sur deux.

Et ce n'est plus la fameuse question ethnique: n'importe quelle province slave de Russie et Moscou, ce sont deux pays différents. Et on y parle des langues souvent différentes.



L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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