La vision économique de Stolypine
Stolypine devait entre autres résoudre le mécontentement chez les paysans et accroître la compétitivité de l’agriculture russe. En 1910, il déclara à la tribune de la Douma d’Etat : « La terre ne doit pas appartenir à l’Homme, mais l’Homme à la terre. Notre terre ne sera en état d’entrer en compétition avec la terre de nos voisins tant que la terre ne sera pas bien cultivée, par des agriculteurs libres et non forcés au travail ». Il faut noter que Stolypine n’a pas été le premier partisan du développement de la propriété dans les campagnes russes. Son prédécesseur, le Comte Serguei Witte, avait déjà émis cette idée, mais il n’a pas réussi à surmonter l’inertie de l’appareil bureaucratique. Stolypine a pu arriver à des résultats notables, après avoir reçu carte-blanche du Tsar pour mener des réformes, pour lesquelles il a consacré une énergie colossale.
Sur 13,5 millions de paysans, près d’1,5 millions ont reçu de la terre en propriété privée. Mais cela a fait perdre leur signification économique à l’ensemble des grands propriétaires fonciers. En 1916, les paysans possédaient ou louaient 89,3% de la terre et étaient propriétaires de 94% des animaux. Mais après le début de la Première Guerre Mondiale les réformes ont été mises en suspens, temporairement pensait-on. Huit ans s’était écoulé depuis le début des réformes, alors que le plan de Stolypine était calculé pour 20-25 ans.
Le destin des réformes
Défendant le principe de l’intangibilité de la propriété privée, Stolypine s’est dressé contre la nationalisation, même partielle, de la terre des grands propriétaires. Il pensait qu’en deux décennies, la terre serait transférée naturellement des propriétaires inefficaces aux bons cultivateurs, atténuant ainsi les tensions dans les villages. Et les indicateurs économiques ont montré qu’il était dans le vrai. De plus, une partie des propriétaires terriens utilisaient du matériel de haute technologie pour l’époque. S’il avait été détruit, cela aurait anéanti la production agricole nationale.
Ces explications strictement rationnelles ce sont heurtés au très vieux rêve paysan du partage équitable des terres.
Les paysans les plus actifs, ayant su profiter de la réforme de Stolypine pour étendre leurs propriétés, ont souvent suscité l’hostilité de leurs collègues moins chanceux. Une nationalisation partielle aurait pu adoucir les tensions dans les campagnes, mais elle s’est avéré être une alternative irréaliste. Ainsi en 1917, quand les bolchéviques sont arrivés au pouvoir et ont annoncé la nationalisation de toutes les terres privées, incluant les terres agricoles obtenues suite à la réforme de Stolypine, ils ont acquis le soutien de la majorité des paysans. Les paysans propriétaires de leurs terres se sont quant à eux rangé en majorité du côté des « blancs », contre les bolchéviques. Beaucoup d’entre eux ont été tué et les autres ont été dépouillés de toutes leurs propriétés. L’instinct de l’initiative privée n’a cependant pas disparu.
De retour du front, les soldats de l’armée rouge se sont adaptés au travail agricole et ont commencé à utiliser les possibilités de la nouvelle politique économique instaurées par les bolchéviques (d’un rétablissement partiel des relations marchandes). Ils ont commencé à équiper leurs propriétés, à acheter des vaches et des chevaux, à louer des moulins. A l’époque de la collectivisation stalinienne générale, ces paysans qui furent appelés les « koulaks ». Privés de leurs biens, ils furent déportés et beaucoup ne revinrent pas. Après quelques décennies, la flamme de l’initiative privée fut ravivée sous l’URSS de Gorbatchev et la « perestroika ». La propriété privée fut à nouveau légalisée. Mais les traditions du travail agricole avait été pour beaucoup perdues. L’expérience de la réforme de Stolypine conserve son actualité, tant dans ses aspects positifs que négatifs. Toute évolution est meilleure qu’une révolution, mais l’histoire n’est pas toujours prête à accorder aux réformateurs les deux décennies de calme dont a pu rêver Stolypine.
De l’éducation citoyenne
Le volet politique et social de la réforme de Stolypine n’est pas moins important que sa partie économique. « le petit propriétaire terrien (…) aime le travail. Il jouissant du respect de soi et apporte dans la campagne, culture, instruction et aisance. Voici alors seulement la liberté écrite transformée et appliquée sous la forme d’une liberté véritable, qui, bien entendu, est formée par les libertés civiques et le sentiment de l’Etat et du patriotisme ». Comme le pense Stolypine, afin défaire émerger en Russie le sentiment de citoyenneté, il est nécessaire de former le citoyen, qui comprend sa responsabilité vis à vis de la famille, de la société et du pays. Dans un pays agraire, la couche massive des petits propriétaires doit devenir la base de la classe moyenne, non seulement consommatrice de stabilité », mais aussi partisane des changements progressifs et réclamant la liberté politique.
Dans la Russie actuelle, ce thème a acquit une nouvelle résonnance lorsque la classe moyenne (excessivement urbaine, avec des requêtes différentes) a exigé un élargissement des libertés puis s’est élevée contre les scénarios révolutionnaires, capables d’ébranler la société. Il dépend de la réaction du pouvoir de déterminer dans quelle mesure il sera capable de répondre aux nouveaux défis sociaux.
