Primakov : « Sans l’accord, la guerre civile en Syrie aura lieu »

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L'envoyé spécial de l'ONU et de la Ligue des États arabes Kofi Annan tente de mettre en œuvre son plan de paix en Syrie. Nous saurons déjà ce mardi, si les différentes parties du conflit sont prêtes à remplir les conditions de ce plan de paix. Et la Russie joue dans ce processus de régulation du conflit un rôle actif. Le 10 avril, des négociations du chef du ministère syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem devront se dérouler à Moscou, et une semaine plus tard, la délégation de l’opposition syrienne viendra de Damas.

Que faut-il attendre de Kofi Annan? Quels sont les objectifs de la Russie et quel avenir attend le Moyen-Orient ? Les réponses à ces questions ont été données dans une interview exclusive à La Voix de la Russie, par l'ancien ministre des Affaires étrangères et ancien premier ministre de Russie, l’académicien Evgueni Primakov, qui dirige actuellement le Centre d'analyse des situations à l’Académie des Sciences de Russie.

Voix de la Russie : De nombreux observateurs doutaient du succès de la mission de Kofi Annan. Mais il a réussi à élaborer un plan de règlement du conflit et obtenir le consentement du gouvernement syrien pour le suivre. Vous croyez en Annan ?

Evgueni Primakov : Je connais Kofi Annan depuis longtemps. Certains croient qu'il n'a jamais rien réussi. Ce n'est pas le cas. Je me souviens quand il essayait de faire quelque chose à Bagdad. Nous l’avons d’ailleurs aidé. Il s'est ensuite rendu en Irak et m'a appelé de Bagdad dans la nuit pour me dire « merci » en russe. Par cette visite, Annan a fait échouer le possible plan des frappes de l’Irak par les Etats-Unis. Annan – c’est un homme très habile et très posé. Il ne va pas soutenir un des côtés du conflit uniquement parce qu’il est soutenu par les Etats-Unis, ou les pays européens. Il abordera la situation de façon objective, j’en suis sûr. Pour la Syrie, cela signifie qu’il est nécessaire de créer des conditions pour un cessez-le-feu des deux côtés. On ne peut pas tout simplement blâmer le gouvernement, l'obliger à une action unilatérale, et dans le même temps, provoquer l'opposition par derrière, lui transmettre l’armement et créer un contexte de propagande favorable pour elle. J'ai immédiatement compris que Kofi Annan ne va pas suivre cette ligne. Et, en effet, il a proposé un plan qui a été approuvé et par la Russie, par la Chine, et par tous les autres pays. La question est maintenant de savoir comment ce plan sera mis en œuvre. La principale condition – c’est un cessez-le-feu des deux côtés.

VdlR : Et le gouvernement syrien a accepté cette condition ?

E.P. : Oui, le gouvernement syrien l’a acceptée, et même fixé une date pour la réalisation de ces conditions. Mais récemment, les soi-disant « amis de la Syrie » se sont rencontrés et ont discuté de la question de livraisons d'armes pour l’opposition. Après cela, on ignore s’il y aura des garanties que l’opposition ne va pas commencer une attaque armée contre le régime après que le gouvernement retire ses troupes des villes. Il faut que ce travail soit réalisé non seulement avec le gouvernement de la Syrie, mais aussi avec l'opposition. Tout comme les Chinois, nous sommes en train de mener ce travail avec le gouvernement. Mais nous ne voyons pas qu’un travail similaire soit fait avec l’opposition. Au contraire, ces «amis» sont souvent en train de provoquer l'opposition, la soutenir, voire même l’armer.

VdlR : Donc le but des pays occidentaux – c’est de remplacer le régime d'Assad ?

E.P. : L'Occident veut vraiment changer le régime d'Assad. Et un certain nombre de pays arabes, comme le Qatar, ou l'Arabie saoudite, par exemple – veulent également renverser ce régime. Ils ne veulent surtout pas la formation « d’une zone chiite », et espèrent que la Syrie n’en fera pas partie. Je sous-entends par la « zone chiite » l'Iran et l'Irak, où la majorité de la population est composée par des musulmans chiites, et les pays proches d’eux, comme la Syrie et le Liban, où les chiites sont en position de force. Ceux, qui ont peur de cette situation, ce sont principalement les Etats arabes du golfe Persique, où vivent des minorités chiites.

VdlR : Selon vous, est-ce que le danger de la guerre civile en Syrie est sérieux ?

E. P. : La guerre civile est déjà en train de commencer. Et elle ne fera que s’étendre, si un accord ne sera pas conclu. Il y a un danger que cette guerre puisse prendre la forme d'affrontements religieux entre les alaouites, qui sont proches à la fois des chiites, et des sunnites. Ce sera alors une guerre très sanglante.

VdlR : Donc il y a un autre objectif - l'affaiblissement de l'Iran ? Et la préparation au changement du régime en Iran ?

E. P. : Dans une certaine mesure, oui. Cependant, Damas s’est rapproché de Téhéran, pour une raison plutôt évidente. Les Syriens craignent qu’ils vont rester tous seuls face à face avec l’Israël, et ils ont besoin d’un arrière-front. L'Iran, est cet « arrière-front » pour les Syriens.

VdlR : Vous avez rencontré président syrien Bachar al-Assad. Quelles sont vos impressions ?

E. P. : J’ai rencontré le président Bachar al-Assad plusieurs fois. Et je ne fais pas du tout partie de ceux qui croient qu'il est agressif. Absolument pas.

VdlR : La semaine prochaine, une nouvelle délégation de l’opposition syrienne arrive à Moscou de Damas. La Russie, a-t-elle besoin de discuter avec l'opposition ?

E. P. : Il le faut obligatoirement. Il faut montrer à tout le monde que nous ne poursuivons pas des buts égoïstes, et que nous voulons la paix en Syrie, pour que la force ne soit pas utilisée d’aucun côté.

VdlR : Dans votre livre Le Moyen-Orient sur la scène et dans les coulisses, vous affirmez que le « printemps arabe » en Egypte et en Tunisie a mûri à l’intérieur de ces pays, et qu’il y avait des raisons socio-économiques à ces révolutions. Mais dans le cas de la Libye et la Syrie, vous voyez plutôt une influence extérieure. Pourquoi une telle conclusion ?

E. P. : La diffusion du printemps arabe en Syrie et en Libye n’était évidemment pas orchestrée dès le début par les Etats-Unis. La télévision, l'Internet, et les téléphones mobiles ont joué aussi leur rôle. Mais si en Tunisie et en Egypte, le choc subi par les politiciens américains ne s’est pas transformé en un désir de mettre la situation sous contrôle, en Libye, nous avons vu que les armes contre le régime ont été utilisées dès le début du conflit. C’est un indicateur.

VdlR : Comment voyez-vous la situation dans le Moyen-Orient dans un avenir proche ? Y a-t-il un espoir que la stabilité puisse s’installer dans la région ?

E. P. : Je dirais qu’une nouvelle ère viendra s’installer dans le Moyen-Orient. Pour l'Egypte, par exemple, c'est sûr, que ce sera le cas. L'équilibre du pouvoir entre les islamistes modérés et radicaux sera très important. Et il faut évidemment garder à l’esprit l’importance du rôle de l'armée.

VdlR : Et si l’on regarde la région dans son ensemble ?

E. P. : On ne peut pas analyser une région dans sa globalité. Les pays sont trop différents, notamment en termes du degré d'autonomie. Selon l’angle, on peut voir le Moyen-Orient d’une manière différente. 

VdlR : Est-ce que la région devra faire face à des mises à l’épreuve à l’avenir ? 

E. P. : C’est certain.

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