La lutte électorale ou un combat de fantômes

© RIA Novosti . Vitalii Ankov / Accéder à la base multimédiaLa lutte préelectorale ou le combat des fantômes
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Commençons par le plus évident. Poutine a réussi à remporter la campagne présidentielle. Non pas l’élection, mais bien la campagne. Autrement dit, il a maîtrisé l’initiative et contrôlé l’ordre du jour. L’activité publiciste sans précédent de cet homme politique a joué un rôle significatif.

Commençons par le plus évident. Poutine a réussi à remporter la campagne présidentielle. Non pas l’élection, mais bien la campagne. Autrement dit, il a maîtrisé l’initiative et contrôlé l’ordre du jour. L’activité publiciste sans précédent de cet homme politique a joué un rôle significatif. Même si ses articles ont paru trop abstraits aux yeux des lecteurs exigeants, ou au contraire, débordants de détails, trop populistes ou insuffisants en termes de promesses, trop complexes ou primitifs et, évidemment, très en retard, il est important de noter qu’au cours de ces dernières semaines dans le milieu de l’information on discutait beaucoup les propos de Poutine et sa manière de les exprimer.

Cela distingue fortement la campagne présidentielle de la législative, lorsque l’opposition était d’abord sur les devants de la scène, avant de descendre dans la rue.

Aujourd’hui, il existe au moins deux "rues". Et même si l’une d’elles, selon certains, n’est pas réelle, la mobilisation des partisans de Poutine a réussi à faire son effet : la confrontation est passée d’une phase aigüe à une phase de position, ce qui suggère même une possibilité de compromis.

Le fait qu’aucun camp ne soit disposé à monopoliser de manière efficace la notion de "peuple" peut être considéré comme une sorte de compromis. Personne ne joue sérieusement le scénario "le peuple contre le tyran" ou "le leader national contre les traîtres", autrement dit, un scénario qui se terminerait par l’exécution réelle ou symbolique du perdant.

Au lieu de cela, les camps se sont partagé le "peuple" entre eux de leur propre autorité.

Les premiers ont obtenu la part "la plus grande", et les seconds ont eu "la meilleure".

Et pour l’instant ils l’ont partagé à la satisfaction mutuelle. L’opposition de la rue reconnaît tacitement la représentation du gouvernement par la majorité "socialement dépendante" et "paternaliste". Or la majorité, quelle qu’elle soit, c’est la légitimité électorale. A son tour, le gouvernement accepte à contrecœur de reconnaître parmi les manifestants de la place Bolotnaïa les représentants des "couches progressistes", ce qui leur promet une place privilégiée dans le système politique.

Ce serait presque un happy end. On pourrait mettre un point final à cette histoire. S’il n’y avait pas deux "mais" : les deux revendications qui se sont si bien équilibrées sont fausses.

Evidemment, le reste de la Russie est différente de la" Russie de la place Bolotnaïa". Mais ce n’est pas une raison pour la considérer comme la "Russie du mont Poklonnaïa", une sorte de territoire du loyalisme. Elle est bien plus en colère que 100.000 citadins mécontents. Et elle a certainement bien plus de raisons pour cela (à noter les événements de Lermontov à la veille de l’élection présidentielle, la grève de la faim dans l’hôtel de ville de Lermontov, territoire de Stavropol, protestant contre "l’anarchie politique").

Même si Poutine réussit à s’imposer à la présidentielle avec une majorité convaincante et honnête, il serait impossible de reproduire l’effet de "majorité poutinienne" sous sa forme antérieure. Cet effet avait pour base la capacité du leader de se distancier du système administratif impopulaire en jouant sur les attentes populaires d’une revanche sur les élites spoliatrices mais avec le temps, un tel jeu devient de plus en plus difficile. Grâce à ses propres réussites en termes de consolidation du pouvoir, Poutine a presque intégralement fusionné avec le système impopulaire. Cela a conduit à la diminution de son soutien et à la baisse de sa popularité.

Aujourd’hui, on assiste à une tentative de regagner du terrain, de reprendre des distances par rapport aux institutions impopulaires. La campagne est construite sur les allusions au "Poutine d’antan". Mais il est impossible d'inverser le cours du temps. Il sera impossible de faire revenir l’effet antérieur paradoxal de la confiance accordée au leader étant donné la profonde méfiance envers l’Etat.

Historiquement, c’est probablement pour le mieux. Si Poutine n’était plus capable de s’assurer la confiance de la population en dépit de sa méfiance envers l’Etat, il sera probablement contraint au moins de tenter de rendre l’Etat lui-même digne de confiance.

En ce qui concerne le revers de la médaille, le milieu protestataire moscovite, il est tout aussi absurde de le considérer comme un fleuron de la modernisation que de prendre pour tel un iPad entre les mains du chef de l’Etat. Après tout, les hipsters conventionnels sont plutôt une bohème qu’une avant-garde des connaissances en économie.

Le concept de "classe créative" joue un rôle controversé dans ce sens. Elle mène vers une notion réduite de l’objet social de la modernisation. Le centre de l’attention se retrouve tourné plutôt vers ceux qui contrôlent l’information, la conjoncture de l’opinion, la mode, et non pas ceux qui créent et diffusent les nouvelles connaissances ou assurent le fonctionnement des systèmes sociaux/technologiques complexes. Derrières l’avant-gardisme bruyant des journalistes, des marketologues, et aujourd’hui de simples leaders professionnels de l’opinion (les blogueurs), nous ne pouvons plus voir les groupes de développement en la personne de scientifiques, d’ingénieurs et d’organisateurs qualifiés de la production. Evidemment, il n’existe aucune raison notoire d’opposer mutuellement ces deux groupes. Mais aussi bien en termes de style que de contenu, leurs besoins sont différents.

On pourrait parler des deux pôles conditionnels de la classe instruite : la "bohème" et, pour reprendre le terme de John Kenneth Galbraith, la "technostructure" (l’ensemble de ceux qui créent et assurent le fonctionnement des systèmes complexes, aussi bien matériels que sociaux).

Si le premier pôle est d’une certaine manière représenté dans la vie sociopolitique (d’ailleurs très bien représenté étant donné la montée en importance du rôle de l’élite médiatique), le second, hélas, reste tout aussi silencieux que la fameuse majorité silencieuse.

Mais en politique, si tu ne parles pas, on parle à ta place. Et il s’avère que dans le jeu du gouvernement et du milieu protestataire sur le web les deux camps falsifient leur base sociale. Les premiers en faisant semblant que la classe de modernisation est la "classe de la place  Bolotnaïa". Et les seconds, en feignant que la majorité sociale est la "majorité du mont Poklonnaïa".

Le hipster avec un ruban blanc représentant l’espoir de la modernisation russe ou le tourneur retraité Valeri Trapeznikov en tant que représentant de la classe ouvrière – c’est un défilé de fantômes, d’entités fictives. Aussi fictives que le "combat"  auquel faisait allusion à Loujniki Vladimir Poutine.

Cela a ses avantages. Le préjudice de la lutte entre des entités fictives n’est pas aussi important que si les entités étaient réelles. Mais en cas de véritable combat il est impossible de compter sur elles. Toute structure politique construite sur cette symétrie du "hipster" et du "tourneur Trapeznikov"  ne tiendra pas longtemps. C’est une structure à usage unique. Dans le meilleur des cas, elle sera utile jusqu’à ce que pose la question de l’indignation de la véritable majorité et de la nécessité d’une véritable classe modernisatrice.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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