Parmi les nombreuses fuites émanant des rangs de l’opposition en Russie à la veille de la manifestation prévue pour le 4 février, il y a l’histoire des slogans concoctés par les organisateurs pour les manifestants. L’un d’eux (en cours d'élaboration) est à peu près le suivant: Nous vous avons engagés comme managers (le gouvernement) et nous vous limogeons. Soyons clairs, chers opposants, vous ne limogez personne. On le sait déjà. Mais que doit-on faire? Continuer à manifester? Dans quel but?
Beaucoup trop de questions
Si vous êtes un représentant de la classe moyenne moscovite "révoltée" (qu’on semble avoir surestimée dernièrement en la qualifiant de "créative" et en lui donnant d’autres titres honorifiques), vous comprenez déjà beaucoup de choses. Par exemple, que les autres classes ne vous prennent pas au sérieux et ont de bonnes raisons pour cela.
Lesquelles? Prenons l’une des nombreuses stratégies de l’opposition pour la période électorale. Elle veut que toutes les forces du pays conviennent que le prochain président élu (très probablement Guennadi Ziouganov, leader des communistes) acceptera d’organiser de nouvelles législatives honnêtes dans un an, et une nouvelle présidentielle tout aussi honnête dans deux ans. Et tout le monde respectera à la lettre cet accord. Puis, on procèdera au démantèlement de tout ce qui est injuste, à la lustration, etc.
Attendez, est-ce sérieux, ou est-ce la manifestation d'un humour malsain?
Et encore une chose au sujet de l’honnêteté des élections: admettons que vous êtes un individu méfiant et ne croyez pas aux commissions électorales qui auraient intérêt à falsifier les résultats des votes. Alors pourquoi devriez-vous croire aussi facilement sur parole des gens qui se sont préparées pendant plusieurs mois à annoncer que les élections sont falsifiées, c'est-à-dire qui ont clairement intérêt à agir ainsi? Pourquoi avez-vous cru les images floues de prétendues falsifications diffusées par ces gens sur les réseaux sociaux? Autrement dit, en quoi un camp est-il meilleur qu’un autre? Et lequel doit-on croire la prochaine fois?
Et beaucoup trop de questions de ce genre se sont accumulées.
L’opposition divisée
Ne commençons pas à compter combien de personnes descendront dans la rue le 4 février. Car il fait froid, dans le cas contraire les manifestants seraient plus nombreux. Mais peu importe… Si en décembre on se demandait quelle serait le résultat des manifestations, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Un autre point est important. Des gens qui arrivent à peine à se supporter manifestent ensemble leur opposition. Initialement, ce n’était pas visible, mais aujourd’hui, grâce à la médiatisation des préparatoins pour le 4 février, c’est très explicite. Le gouvernement n’a pas besoin de semer la zizanie dans les rangs des opposants, car ils se querellent depuis le début.
La querelle la plus connue est celle qui divise les libéraux et les nationalistes. Marcher sur une ou deux colonnes? Ou se réunir sur des places différentes? Or il existe encore plusieurs camps de gauche. Du coup, la question concernant le nombre de manifestants perd tout son sens. Pire encore, on a l’impression que deux groupes de gens, qui se détestent avant tout mutuellement, sont descendus dans la rue, et le gouvernement n’est qu’indirectement concerné.
Autrement dit, la révolte des "libéraux" (plutôt d’une partie de la classe moyenne moscovite) s’explique par le caractère insupportable de sa vie, par le fait que son way on life est dicté par des gens qui font partie de classes sociales complètement différentes. Dont la police, la justice et toute autre autorité, notamment au niveau local, font partie. Mais la haine croît également de l’autre côté. Et ceux qui détestent avant tout les "Moscovites" et tous ceux qui ont réussi quelque chose dans la vie, y compris le gouvernement, se sont retrouvés devant la même tribune.
On pourrait rappeler les discussions devenues plus actives ces derniers temps au sujet du peuple russe raté qui aimait génétiquement le gouvernement. Mais alors que dire de ceux qui, au contraire, détestent toute autorité et ne parlent que de cela dans les réseaux sociaux?
En fait, la haine impuissante à l’égard du gouvernement et de toute autre élite est un cas relevant de la psychiatrie, et peu importe s’il existe un grand nombre de personnes de ce genre dans toute société. Elles peuvent se prendre pour des nationalistes ou pour la gauche, mais avant tout ce sont des gens qui sont conscients à l’intérieur d'eux-mêmes qu’ils n’ont aucune chance dans une société paisible et normale en raison des lacunes de leur éducation, de leurs particularités psychiques ou de leur biographie. Je qualifie ce genre de personnes de "parti de chacals." Ils ont besoin de voir des morceaux de chair voler dans tous les sens pour être sûrs d’en avoir. Ce sont toujours de bons révolutionnaires, c’est-à-dire des destructeurs. Et rien d’autre. Et ils le comprennent et le ressentent.
Avez-vous vu les individus présents à ces manifestations? On se pose alors la question de ce qui va suivre. Il doit forcément y avoir un résultat dans cette situation, au moins quelque chose.
Les femmes nues dans le froid
Mettons de côté les réalités tristes de la Russie. Pendant le Forum économique mondial (FEM) qui vient de s’achever à Davos, des femmes, la poitrine dénudée, sautaient sur la place gelée (à ne pas prendre pour un appel de le faire pendant les manifestations du 4 février à Moscou). On pouvait lire sur elles (c’est-à-dire sur leur peau) "Nous sommes pauvres à cause de vous." Bref, une histoire classique pour Davos où les "classes sociales opprimés" cherchent tout le temps à en faire voir des vertes et des pas mûres à l’élite.
Mais l’élite n’est pas une chose statique. On ne naît pas forcément en tant qu’élite. Et cette fois, parmi d’autres réunions (sur l’euro, le confucianisme en tant que moteur de développement, la Russie) on a vu ceci: le FEM a invité à Davos plusieurs leaders de la révolution égyptienne afin de les voir, étant donné qu’ils prétendent faire partie de l’élite. Et ces derniers ont évidement tenu des discours disant qu’ils souhaitaient que les pays étrangers investissent dans leur économie et qu’ils ne feraient de mal à personne.
Je ne raconte pas cela pour dire que des leaders actuels de l’opposition russe sont attendus à Davos. Non. Il s’agit seulement d’une situation prétendument insoluble, mais en réalité très standard, note le journaliste de The Washington Post David Ignatius.
David Ignateus rappelle que le forum de Davos invite parfois des gens avec qui il peut être utile de discuter, car ils ont des relations avec les "masses révolutionnaires" qui réagissent peu aux signaux extérieurs. Mais dès que ces invités commencent à communiquer, leurs rapports avec les masses se dégradent immédiatement. Parce que les masses n’apprécient pas cela.
Mais cela ne concerne pas du tout seulement Davos en tant que tel. Il est question d’un problème plus large – les technologies du dialogue. Et aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, l’heure du dialogue, de la discussion cohérente, entre les diverses forces et couches de la population approche. Et cette "contradiction de Davos" classique est loin d’être le seul problème dans un tel dialogue. Mais en l’absence de celui-ci le reste n’a aucun sens.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction