La doctrine de Moscou au PO: ne pas inciter l’opposition à la violence

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En suivant le chemin le plus difficile au Proche-Orient (et pas seulement), et ne craignant pas d’entrer en conflit avec les nouveaux dirigeants arrivant au pouvoir sur la vague des révolutions arabes, la diplomatie russe ne cherche aucunement à ralentir les changements dans la région.

En suivant le chemin le plus difficile au Proche-Orient (et pas seulement), et ne craignant pas d’entrer en conflit avec les nouveaux dirigeants arrivant au pouvoir sur la vague des révolutions arabes, la diplomatie russe ne cherche aucunement à ralentir les changements dans la région.

Elle tente seulement de rendre ce processus plus civilisé, a fait comprendre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors de la conférence de presse dans laquelle il dressait le bilan de la diplomatie russe en 2011.

Cette conférence de presse, qui se tient chaque année dans la seconde moitié du mois de janvier, est un événement curieux en soi. Cette conférence est censée présenter le bilan diplomatique de l’année précédente. Mais alors pourquoi n’est-elle pas organisée à la veille des fêtes de fin d’année, ce qui serait logique du point de vue des médias, mais pratiquement la veille du Nouvel an chinois? Il est clair qu’on y parle principalement des événements de l’année qui a déjà commencé, y compris des événements à venir. C’était également le cas le 18 janvier au ministère des Affaires étrangères.

Ce n’était pas la peine d’insister

Toutefois, les événements les plus marquants de 2011 ont été le prétexte pour faire la transition en douceur vers 2012. Evidemment, cela concerne tout ce qui se rapporte au Proche-Orient, les révoltes et les guerres arabes. Sergueï Lavrov a répondu aux questions à ce sujet (la Syrie, l’Iran, etc.) encore et encore. A première vue, rien de fondamentalement nouveau n’a été dit, il y avait de nombreuses "broutilles" et des détails qui permettent de voir plus clair qu’auparavant dans les événements actuels, ou plus précisément dans la politique proche-orientale de la Russie.

Voici une situation classique pour toute diplomatie: une chose désagréable est susceptible d’arriver dans un groupe de pays (et un changement de régime est toujours désagréable, même si le nouveau s’avère amical). Comment faut-il réagir? La solution la plus simple et évidente consiste à suivre l’exemple de la diplomatie américaine. Feindre que l’effondrement des régimes proaméricains (par exemple, en Egypte) est une très bonne chose, et que les Etats-Unis sont le principal ami de tous les rebelles.

Pourquoi Moscou ne ferait pas de même? Remplacer les ambassadeurs qui ont réussi à établir des liens étroits avec les anciens dirigeants et élites. S’armer de patience, car la première vague révolutionnaire est toujours suivie d’une deuxième, puis d’une troisième… mais au final la situation reste inchangée.

Le Proche-Orient n’est pas un partenaire si important pour la Russie. On pourrait le rayer mentalement de la liste des priorités pour une dizaine d’années (dix ans constituent un délai moyen pour le rétablissement d’un pays moyen après les troubles révolutionnaires). Et à la fin de la décennie on saurait à qui on a affaire.

Mais Moscou a apparemment emprunté le chemin le plus difficile. Il s’est fermement opposé aux révolutionnaires armés en Syrie, il n’a exprimé aucun respect pour les opposants à Kadhafi en Libye, et, à première vue, refrène tout effort pour relancer la révolution dans la région.

De la même manière que l’empereur Nicolas I qui a fait du "maintien de la situation" en Europe (aucune révolution) sa doctrine de politique étrangère et qui a payé au prix fort son illusion que les Européens aimeraient la Russie pour cela.

Pourquoi la Russie le fait-elle et qu’espère-t-elle obtenir? Pourquoi elle n’a pas eu peur de se quereller avec les forces du monde arabe qui ont renversé leurs gouvernements parce qu’elles voulaient des changements?

Il ne s’agit pas seulement des Arabes

Sergueï Lavrov n’a pas répondu directement à cette question parce qu’elle n’a pas été posée de manière aussi directe et franche. Mais en principe, la "doctrine proche-orientale révolutionnaire" se distingue dans ses propos.

Pour commencer, la Russie ne cherche aucunement à se prendre pour Nicolas I et s’opposer aux changements. Les forces extérieures doivent accepter le choix des peuples de la région et ne pas s’ingérer dans les affaires des Etats, a déclaré Lavrov. Même si les forces extérieures savent, d’après leur expérience, que les changements à caractère révolutionnaire mènent toujours à la catastrophe.

Le ministre a également énoncé quelques principes de comportement des puissances "extérieures" dans les affaires du Proche-Orient.

Premier principe: ne pas jeter de l’huile sur le feu (des conflits et des révolutions), la région est déjà suffisamment embrasée comme cela. Deuxième principe : ne pas gêner les efforts de ceux qui cherchent à établir le dialogue politique avec chaque pays. Troisième principe : ne pas inciter l’opposition à l’intransigeance dans un tel dialogue, qui plus est ne pas l’armer, et aider seulement ceux qui veulent dialoguer.

Moscou, ainsi que ses partenaires influents, obéissent à la lettre à ces principes en discutant les résolutions sur la Syrie au Conseil de sécurité des Nations Unies.

A ce sujet Sergueï Lavrov a rappelé une nouvelle fois deux points clés défendus fermement par la Russie. En résumant le premier point, on obtient la formulation suivante : les meurtres sont des meurtres, indépendamment de celui qui les commet, que ce soit le régime ou l’opposition, et la volonté de renverser le régime ne doit pas donner à l’opposition le feu vert pour perpétrer des crimes – chacun répondra de ses actes.

Et le second point concerne le fait que cette résolution ne comporte rien qui puisse être interprété comme l'autorisation d’utiliser la force en Syrie (comme c’est arrivé en Libye).

Il est facile de constater que le principal message de cette "doctrine"  n’est pas du tout adressé aux rebelles arabes (ou ceux qui détestent les rebelles). Bien sûr, il est actuellement très difficile de faire de la diplomatie avec les Arabes. Une partie des régimes représentés à la Ligue arabe sont nouveaux et peu expérimentés. Une autre partie est absorbée par la confrontation avec la partie chiite du monde musulman (d’où l’hostilité permanente envers l’Iran et son partenaire, la Syrie), or c’est très dangereux.

En fait, l’appréciation par Lavrov de la situation dans la région est globalement la suivante: cette situation est imprévisible, les changements viennent seulement de commencer, et c’est la raison pour laquelle il faut être particulièrement prudent.

Mais la diplomatie avec les Européens et les Américains paraît encore plus complexe.

En regardant attentivement le fond de leurs actions à l’égard de la Libye, de la Syrie et de l’Iran, une seule conclusion vient à l’idée : en ressentant sa faiblesse croissante, l’Occident trouve utile de plonger le Proche-Orient dans le chaos sanglant total afin qu'il soit occupé par ses problèmes pendant encore 10-20 ans. Apparemment, il n’y a aucune autre logique, car les Occidentaux peuvent difficilement compter sur la convivialité des nouveaux régimes arabes.

En bloquant les Européens et les Américains, la Russie ne cherche aucunement à les concurrencer "dans l’ensemble". Au contraire, au mieux Moscou voudrait établir de nouvelles règles de coopération en cette nouvelle époque complexe. C’est une question de principes communs.

Après tout, le Proche-Orient n’a pas le monopole de la violence de la rue. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’Europe occupait en 2011 la deuxième place derrière les arabes. Et les Etats-Unis ne sont pas non plus prémunis contre ce phénomène.

Dans sa lutte "pour le respect de ces principes" au Proche-Orient, et pas seulement, la diplomatie russe n’est pas isolée, car une partie des pays du BRICS (Brésil-Inde-Chine-Afrique du Sud) et plusieurs dizaines d’autres pays rejoignent sa position. Il ne s'agit par pour ce nouveau groupe d’Etats influent de jouer des muscles, mais de s'efforcer d’atteindre leur objectif de manière civilisée.

Autrement dit, ce n’est pas tant la politique proche-orientale qu’une tentative d’améliorer la situation mondiale en cette nouvelle époque. Quel sera le résultat de cette tentative cette fois, qui vivra verra. Mais il faut bien commencer par quelque chose.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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