La disparition du leader nord-coréen Kim Jong-Il n’entraînera pas le changement du régime mais elle pourrait jouer un certain rôle dans la reprise des pourparlers sur le désarmement nucléaire de la Corée du Nord, selon les experts. Toutefois, ce rôle peut être aussi bien positif que négatif.
Lundi, on apprenait le décès du leader nord-coréen, son fils cadet Kim Jong-un, qui n’a même pas 30 ans, devrait hériter de la présidence du pays, selon des informations officieuses.
L’annonce de la mort du leader nord-coréen a alarmé les gouvernements sud-coréen, japonais et américain. Lundi matin, l’armée sud-coréenne a été mise en état d’alerte. Le premier ministre japonais Noda Yoshihiko a créé une cellule spéciale de gestion de la crise. Le porte-parole de la Maison blanche a déclaré à Washington que les Etats-Unis restaient en contact étroit avec la Corée du Sud et le Japon.
L’armée nord-coréenne n’a rien entrepris pour le moment, mais étant donné son potentiel nucléaire, la préoccupation des voisins semble légitime, a fait remarquer Andreï Klimov, vice-président du comité de la Douma (chambre basse du parlement russe) pour les relations internationales, dans un entretien accordé à RIA Novosti. Il a souligné que la Corée du Nord disposait de technologies de fabrication de missiles et d’ogives nucléaires et avait une armée qui se range parmi les cinq plus importantes du monde.
"Certes, cela préoccupe au plus haut point les pays de la région, dont la Russie, la Chine et le Japon. Par ailleurs, cela inquiète sérieusement les Etats-Unis, étant donné leur alliance étroite avec la Corée du Sud. La tension s'est élevée dans cette zone", a souligné le député.
"La stabilité sera maintenue"
Les experts sont unanimes à dire que la situation intérieure en Corée du Nord restera inchangée, alors que le pays pourrait se retrouver dans une situation différente sur l’échiquier mondial.
"Quant à la situation intérieure du pays, j’estime que la stabilité et la cohésion seront maintenues", a fait remarquer Alexandre Vorontsov, directeur du département de la Corée et de la Mongolie de l’Institut d’études orientales de l’Académie des Sciences de Russie. Cependant, selon l’expert, la situation actuelle est une occasion pour les Etats-Unis et la Corée du Sud de "nouer des contacts avec le nouveau leader nord-coréen en leur conférant une tonalité positive."
Le régime actuel sera maintenu sous le nouveau leader nord-coréen, estime également Alexandre Panov, recteur de l’Académie diplomatique du ministère russe des Affaires étrangères. "Un tel régime ne peut pas être réformé de l’intérieur. Aucun événement dramatique n’est à attendre à court terme", a-t-il déclaré dans un entretien accordé à RIA Novosti.
C’est également l’opinion de Konstantin Asmolov de l’Institut d’Extrême-Orient de l’Académie des Sciences de Russie. Quant aux éventuelles réformes, leur mise en œuvre dépendra largement de la situation internationale, estime-t-il.
"Afin de s’engager dans la voie des réformes, la Corée du Nord devrait percevoir un changement d’attitude à son égard. Au minimum, la Corée du Nord doit être considérée comme un partenaire, certes dérangeant, mais acceptable aux pourparlers au lieu d’être rangée parmi les pays de l’Axe du mal que l’on est en droit de mener éternellement par le bout du nez", fait remarquer l’expert.
La fermeté du nouveau leader sera mise à l’épreuve
Les experts n’excluent pas le déclenchement de la lutte pour le pouvoir en Corée du Nord.
La situation risquerait alors d’échapper à tout contrôle et les conséquences seraient incalculables.
Le jeune leader n’est probablement pas encore en mesure de diriger son pays, estime Alexandre Panov, recteur de l’Académie diplomatique. "Le gouvernement sera donc réorganisé de manière à pouvoir l’aider à maintenir le système existant à flot. On ignore comment. Mais le risque de déstabilisation existe, car la lutte pour le pouvoir n’est pas à exclure. Le clan Kim comprend des personnes très différentes, par ailleurs il pourrait y avoir des candidats au pouvoir suprême issus de l’armée et des services secrets", a-t-il expliqué dans un entretien accordé à RIA Novosti.
Dans la conjoncture actuelle, il est crucial de ne pas exercer de pression extérieure sur Pyongyang, déclare le député de la Douma Andreï Klimov en ajoutant qu’une telle pression serait susceptible d'avoir des suites désastreuses.
Un nouveau chapitre dans l’histoire de la Corée du Nord?
Donald Gregg, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Corée du Sud, a également exprimé un optimisme modéré. Dans son article publié sur le site de la BBC, il fait remarquer que Kim Jong-un a fait ses études en Suisse, qu’il "parle un peu anglais" et qu’il "connaît l’Occident nettement mieux que son père et son grand-père." Selon Donald Gregg, tous ces faits sont "potentiellement positifs."
L’ancien ambassadeur rappelle également que l’élection présidentielle se tiendra l’année prochaine en Corée du Sud et que le nouveau président sud-coréen pourrait se montrer plus conciliant à l’égard de la Corée du Nord.
"Globalement, je considère la disparition de Kim Jong-Il comme un événement naturel, qui sera regretté en Corée du Nord et qui pourrait ouvrir au final une nouvelle page dans les relations entre Pyongyang et le reste du monde", a-t-il conclu.
Toutefois, certains analystes estiment que le changement de pouvoir en Corée du Nord pourrait compromettre les perspectives des pourparlers sur le problème nucléaire. "La première réaction dans le monde a été: "Oh, génial, le tyran est parti", mais en fait c’est une mauvaise nouvelle, déclare Jim Walsh, expert pour la Corée du Nord du Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans un entretien accordé à l’agence Reuters. Cela signifie que nous entrons dans une phase plus dangereuse des relations entre la Corée du Nord, la Corée du Sud et les Etats-Unis. Certes, la Corée du Nord optera pour une politique offensive. Le jeune leader sera contraint de prouver sa combativité."
Les perspectives des pourparlers sur le problème nucléaire
Kim Jong-Il est décédé au moment où la reprise des pourparlers à six sur le programme nucléaire de la Corée du Nord se profilait à l’horizon. Ces pourparlers ont été gelés en 2009 après que Pyongyang eut refusé de coopérer.
Au cours des cinq derniers mois, les gouvernements américain et nord-coréen ont organisé deux rencontres pour négocier la fourniture d'aides humanitaires à Pyongyang en échange de l’abandon par la Corée du Nord de son programme d’enrichissement de l’uranium.
Ces rencontres étaient sensées conduire à la reprise des pourparlers à six.
Malgré l’interruption inévitable des pourparlers après la mort de Kim Jong-Il, "le processus positif de ces dernières semaines lié à la reprise des contacts entre tous les pays impliqués dans les négociations et assorti de concessions mutuelles, sera poursuivi", estime Gueorgui Toloraïa, directeur des programmes coréens de l’Institut de l’économie de l’Académie des Sciences de Russie.
Actuellement, il est possible d’ouvrir une nouvelle page des pourparlers sur le programme nucléaire de la Corée du Nord, estime Pavel Levachov, directeur du Centre d’études coréennes de l’Université d’Etat de Moscou.
Les experts s’accordent à dire qu’en raison de l’isolement de la Corée du Nord, il est extrêmement difficile de faire des prévisions. Toutefois, ils espèrent que Pyongyang s’engagera dans la voie de la coopération avec Seoul et Washington.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction