Cette avancée du cinéma russe repose sans doute sur de nombreux éléments. Il s'agit principalement de la reconnaissance d’une certaine tendance générale qui privilégie le contenu. C’est ce fait précisément qui rapproche les auteurs aussi différents que l’éminent maître Alexandre Sokourov, son collègue plus jeune mais tout aussi connu Andreï Zviaguintsev et la réalisatrice débutante Angelina Nikonova.
Sokourov en tête de liste
La palme revient incontestablement à Alexandre Sokourov. Son film «Faust», une adaptation du poème éponyme de Goethe a remporté une victoire assurée au festival de Venise. Le réalisateur s’est vu à juste titre se faire remettre «Le lion d’or», mais n’oublions pas que ce film est le fruit du travail d’une grande équipe internationale, composée principalement de comédiens allemands. Sokourov a tourné son film en langue de l'original, mais tout comme Goethe, ne s’est pas limité au volet national en donnant à son film une dimension universelle, mais à une différence près. C’est que dans son analyse de l’homme qui est prêt à avancer vers un objectif qu’il s’était fixé sans se limiter dans les moyens, le réalisateur russe refuse d’exagérer l’influence sur les pouvoirs ténébreux s'exercent sur la personnalité humaine, même s’il s’agit du mal incarné par Méphistophélès.
«Tout se trouve à l’intérieure de l’homme et rien n’existe en dehors de lui», estime Alexandre Sokourov. «C’est l’homme qui assume la responsabilité pour tout, il est la source de tous les malheurs, le diable n’existe pas et tout se fait par les mains de l’homme. Les hommes doivent comprendre que la déchéance et la chute sont vraiment insondables et n’ont pas de limite».
Zviaguintsev, le grand moralisateur
C’est le problème qui préoccupe également Alexandre Zviaguintsev dans son film «Elena» qui a remporté le prix «Un certain regard» au festival de Cannes et quatre récompenses au festival du cinéma indépendant aux États-Unis et au festival international dans la ville sud-africaine de Durban. L’héroïne de Zviaguintsev est une femme plutôt âgée et apparemment d’une grande moralité et se décide soudain et sans scrupules d’assassiner son riche mari ans le seul but de soutenir matériellement la famille de son fils. «L’histoire d'Elena laisse apparaître et étale à grand jour les mutations que vit actuellement toute l’espèce humaine», estime le réalisateur. «Nous vivons tous ce qu’on peut appeler la mutation de l’espèce. En 20 dernières années, l’homme a changé à un point que commettre un acte pour le moins répréhensible ne révolte plus personne. Les idées de l’humanisme sont en train de se diluer et de s’user jusqu’à la trame», estime Andreï Zviagunitsev.
Le paradoxe de Nikonova
L’analyse d’Angelina Nikonova, scénariste et réalisatrice du film «Un portrait dans le crépuscule» est du moins aussi sombre. Le film raconte de manière assez crue l’histoire d’une jeune femme aisée qui se fait violer un jour et décide de se venger. Mais contre toute attente un roman se noue entre elle son violeur. «Je voulais surtout mettre en valeur la véracité de cette histoire», souligne Angelina Nikonova.
Il fallait transposer à l’écran cette histoire vécue comme un documentaire. Le film est sans doute pénible à voir mais il n’y a aucune scène de meurtre et la peine qu’on éprouve est plutôt de nature émotionnelle. Il y est question de la transformation qui tue l’âme humaine et s’appelle l’indifférence. La précision de ce diagnostic décevant fait à l’homme contemporain est confirmée par 10 récompenses internationales attribuées au film d’Angelina Nikonova aux festivals en Suède, Islande, Allemagne, Grèce, Pologne et France!
Deux films primés sont déjà dans les salles en Russie en cette fin d’année. Le film «Faust» sortira à l’écran en janvier. Toutefois les producteurs se demandent si les spectateurs seraient intéressés de voir ces films qui incitent surtout à méditer sur l’érosion de l’humanisme dans la société contemporaine.