Le milliardaire Mikhaïl Prokhorov, qui a annoncé sa candidature à la présidentielle russe 2012, pourrait, selon les experts, rassembler autour de lui une partie des forces libérales et démocratiques. Toutefois, il rencontrera des difficultés car le mouvement libéral en Russie est très hétérogène.
"J’ai pris une décision, c’est probablement la décision la plus importante de ma vie. Je me présente à l’élection présidentielle", a déclaré l’ex-leader du parti Juste Cause lundi.
Les politologues s'accordent pour dire que la candidature de Mikhaïl Prokhorov à la présidentielle reflète en partie la demande sociale de formation d’une force politique libérale et démocratique et une réponse du Kremlin aux actions de protestations qui se sont tenues samedi dernier dans les villes russes.
Toutefois, certains experts supposent qu’une telle force n'apparaîtra que si le gouvernement octroie des concessions à l’opposition. D’autres estiment que tout parti libéral et démocratique en Russie est voué à l’échec.
"Un jeu subtil"
Mikhaïl Prokhorov a déclaré que dans sa campagne électorale il s’appuierait sur la classe moyenne dans le sens le plus large du terme. Comme le font remarquer les politologues, on constate précisément une demande importante au sein de la classe moyenne d'idéologie libéral-démocratique représentée d’une manière ou d’une autre par l’ex-leader de Juste Cause.
"Il sera confronté à des difficultés, car en Russie on n’apprécie pas beaucoup les gens fortunés, estime Viatcheslav Nikonov, président de la fondation Politika. Le parti Juste Cause était un parti libéral. Mikhaïl Prokhorov représente dans une certaine mesure cette tendance, mais il aura du mal à conserver le contrôle de ce créneau libéral."
Le politologue a ajouté que Mikhaïl Prokhorov était une personnalité inacceptable pour les électeurs du parti Iabloko. "Les électeurs de Grigori Iavlinski (leader de Iabloko) sont principalement des libéraux qui ont souffert des réformes. C’est en grande partie l’ancienne classe moyenne soviétique, alors que l’électorat de Prokhorov est plus près de celui d’Anatoli Tchoubaïs, ce sont des gens à qui les réformes ont profité", a-t-il expliqué.
Mikhaïl Prokhorov pourrait rassembler autour de lui une partie des libéraux, estime le politologue Dmitri Orechkine. "Prokhorov est une candidature de compromis pour le gouvernement qui est conscient que la configuration actuelle ne convient pas à une grande partie des citadins, et le gouvernement est intéressé par un certain changement de tableau."
"Mais il est question de savoir si Prokhorov sera capable de s'affirmer comme le leader, d’une part, des protestataires et, d’autre part, des milieux d’élite qui respectent les principales règles du jeu: ne pas se trancher réciproquement la tête et ne pas accaparer la propriété les uns des autres, poursuit l’expert. C’est un jeu très subtil, mais c’est ainsi que s’est formée la démocratie bourgeoise dans le monde entier et elle a mis beaucoup de temps avant de devenir limpide, honnête et noble, telle qu’elle paraît en regardant l’Europe depuis la Russie."
Les électeurs veulent du sang neuf
La candidature de Mikhaïl Prokhorov et la déclaration d’Alexeï Koudrine (ex-ministre des Finances) sur la nécessité et le caractère inévitable de la création d’un parti libéral démocratique fort interviennent dans le contexte des manifestations de masse qui se sont tenues samedi dernier dans diverses villes de Russie.
Ces manifestations ont montré qu’il existait en Russie une large aile libérale dans la société qui avait besoin d’une force politique "représentant les intérêts de cette partie de la population, pas forcément la plus nombreuse, mais très active, productive et créative", a fait remarquer à RIA Novosti l’historien et le journaliste Nikolaï Svanidze.
Selon lui, cette partie de la population dépasse largement les 2-3% qui ont voté pour Iabloko. Et elle est bien plus nombreuse par rapport à ceux qui ont voté pour Juste Cause, ajoute le politologue Andreï Piontkovski.
La cause de l’inexistence en Russie de partis libéral-démocratiques forts est due au fait qu’ils prônent une idéologie qui va à l’encontre des principes de la démocratie, estime Boris Kagarlitski, directeur de l’Institut de la mondialisation et des mouvements sociaux.
"Dans n’importe quel texte libéral russe, vous lirez: "Nous sommes des gens normaux, et tous les autres qui ne sont pas comme nous sont des imbéciles. La différence entre les libéraux-démocrates et les fascistes est qu’ils ne rangent pas les mêmes groupes de personnes dans la race supérieure et la race inférieure. Mais le principe de l’inégalité des gens est absolument fondamental dans les deux cas. Et il est incompatible avec la démocratie", déclare l’expert.
L’hétérogénéité politique
Le problème réside dans le fait que la demande publique de la formation d’une force libérale et démocratique en Russie ne s’est pas encore concrétisée, estime Nikolaï Svanidze. "Pour l’instant les forces qui se sont rassemblées sur la place le 10 décembre sont politiquement hétérogènes. Ce sont des forces qui sont unies seulement par la volonté de revoir les résultats des législatives, mais qui sont très hétéroclites", déclare Nikolaï Svanidze.
Les dernières manifestations ont montré la pertinence de diverses forces et finalement on pourrait assister à l’apparition des partis aussi bien de gauche que de droite, estime Alexeï Makarkine, premier vice-président du centre des technologies politiques.
"Je pense que dans l’ensemble les électeurs sont fatigués du multipartisme contrôlé et voudraient avoir quelque chose de neuf, y compris un parti libéral. Et pas qu’un seul, à mon avis. Il existe une demande des libéraux modérés qui dialogueraient avec le gouvernement, et il existe également une demande des libéraux encore plus radicaux, qui seraient en opposition avec le gouvernement", a-t-il fait remarquer à RIA Novosti.
Toutefois, la formation de partis libéraux, aussi bien modérés que radicaux, n’est possible que si le gouvernement va dans le sens de l’opposition, déclare le politologue. Et bien que les autorités ne puissent pas permettre la révision des résultats des législatives, elles pourraient libéraliser le système de partis.
Le retour aux blocs politiques pourrait être également l’une des conditions de l’apparition d’un parti libéral-démocratique puissant, estime le politologue Andreï Piontkovski. Auparavant, la loi permettait aux partis de s’allier au sein de blocs. En réinstaurant cette norme, le mouvement Solidarité et le parti Iabloko pourraient tout à fait s’unir, selon lui.
L’apparition d’une force libérale et démocratique indépendante du Kremlin est également favorable pour les autorités, estime Nikolaï Svanidze. "Le gouvernement a besoin d’un tel parti, car il est toujours plus pratique d’avoir affaire à une structure organisée, plutôt qu’à une masse amorphe… L’apparition d’un tel parti est profitable à tous. Il jouerait un rôle stabilisant dans la situation politique actuelle", estime-t-il.
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