La manifestation de l’opposition contre les résultats des législatives, qui s’est terminée samedi sur la place Bolotnaïa à Moscou, a rassemblé un nombre record de participants et s’est déroulée pratiquement sans incidents. Ce rassemblement a changé la disposition des forces dans la prochaine campagne présidentielle et a donné à ses participants la possibilité d’attirer l’attention du gouvernement sur leur protestation, estiment les experts.
Selon la direction principale du ministère de l’Intérieur, 25.000 personnes ont participé à la manifestation contre les résultats des élections. Les organisateurs de l’action de protestation affirment à leur tour qu’ils ont rassemblé plus de 100.000 personnes.
L’action de samedi dernier était la plus importante à Moscou depuis août 1991, lorsque des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Moscou en exigeant des réformes démocratiques.
La manifestation s’est principalement tenue dans la tonalité annoncée par les organisateurs, selon les experts. La principale exigence des manifestants était le respect de la loi électorale.
Une manifestation civile
"Certains orateurs ont tenté de donner au rassemblement un caractère de lutte politique pour le pouvoir, voire d’une révolution, mais dans l’ensemble la manifestation s’est déroulée en suivant la logique d’une protestation civile", a déclaré à RIA Novosti Mikhaïl Remizov, directeur de l’Institut de stratégie nationale.
Selon lui, la majorité des manifestants ne parlaient pas de changement de gouvernement mais se demandaient comment vivre avec le gouvernement actuel, et c’est aux autorités que leurs exigences étaient adressées. "Il ne fait pas de doute que dans le cas contraire les groupes relativement différents idéologiquement et politiquement se seraient difficilement compris", a souligné l’expert.
Ce n’était pas une action de l’opposition, mais de gens à la conscience civique offensée, estime le politologue et membre du projet Citoyen-observateur Dmitri Orechkine.
"Il y avait des gens de gauche, de droite, du centre, des nationalistes et aussi des personnes qui ne soutenaient aucun parti. Ce n’était pas un mouvement d'opposition structuré prétendant à des sièges parlementaires, mais des personnes ayant des opinions politiques complètement divergentes", a-t-il fait remarquer.
Selon l’expert, c’était un rassemblement de la jeune génération qui aurait dû être intéressée seulement par l’argent et la carrière. Mais il s’est avéré que les manifestants avaient également le sens de la dignité. C’était également un rassemblement des contribuables choqués de voir que leurs voix ne sont pas prises en compte et sont falsifiées", déclare l’expert.
"Et surtout, c’était un rassemblement de droit, a souligné Dmitri Orechkine. Les gens veulent simplement que les lois soient respectées. Ils ont été indignés par la violation ostentatoire de la loi pendant les législatives. Car ce n’est pas la victoire d’un parti concret qui compte, mais la légitimité du processus".
La place Bolotnaïa ne s’est pas transformée en place Tahrir
L’action de plusieurs milliers de personnes à Moscou, selon la police, s’est déroulée sans incident et personne n’a été interpelé. La dispersion pacifique de la manifestation peut être considérée comme un succès pour ses participants et les force de l'ordre, ce qui a permis de parler de la manifestation comme d’une protestation civile, et non pas comme d’un événement révolutionnaire, affirment les experts.
"La place Bolotnaïa ne s’est pas transformée en place Tahrir, nous avons assisté à une manifestation de type européen, qui a prouvé que la Russie était bien plus proche de l’Europe que de l’Afrique, estime Mikhaïl Remizov. Dans un certain sens, Moscou devient une capitale européenne avec un niveau élevé d’activité politique".
La rencontre civilisée entre la société civile et le gouvernement est le principal résultat du rassemblement de la place Bolotnaïa, estime Alexeï Moukhine, directeur du Centre d’information politique.
"Les autorités ont fait preuve de loyauté à l’égard des manifestants et ont apaisé une partie de la tension sociale apparue après l’annonce des résultats des législatives", a-t-il fait remarquer.
Une absence remarquée
L’opposition parlementaire n’a pas été vue sur la place Bolotnaïa. En fait, Guennadi Goudkov du parti Russie Juste est venu. Mais il serait erroné de parler de présence significative des partis entrés au parlement le 4 décembre uniquement en déclarant leur appartenance à l'opposition.
"Les partis d’opposition ont adopté une position palliative à l’égard de ces manifestations, selon le principe "ni guerre, ni paix". On ne voit ni soutien total, ni prise de distance", déclare Mikhaïl Remizov.
D’une part, c’est logique : pourquoi le parti libéral-démocrate, le parti communiste et Russie Juste exigeraient l’annulation des résultats des législatives où ils ont obtenu de très bons résultats? D’autre part, ce n’est pas très logique, car l’opposition parlementaire a ainsi manqué l’opportunité d’avoir de nouveaux partisans – la majorité des manifestants à Moscou ne soutenait aucun parti.
En revanche, le parti Iabloko qui n’a pas réussi à entrer au parlement a brandi les drapeaux et invité un leader à la tribune pour parler.
"L’opposition systémique est intéressée par le renforcement de ses processus de négociations avec les autorités grâce aux manifestations, estime Mikhaïl Remizov en expliquant la logique des partis. Dans ce cas, l’opposition systémique deviendra une ressource importante pour le gouvernement actuel. Mais d’autre part, les représentants de l’opposition systémique ne souhaitent pas que les manifestations aillent trop loin".
"Pour l’instant, il n’existe aucun ordre du jour au niveau des leaders des partis d’opposition", ajoute Mikhaïl Vinogradov, président de la Fondation Politique de Saint-Pétersbourg. L’expert ne parvient pas à déterminer les intentions actuelles de l’opposition parlementaire. Selon Mikhaïl Vinogradov, on ignore si ces partis récupéreront les voix des manifestants ou lutteront pour la révision des résultats des législatives.
Cette indétermination pourrait jouer un mauvais tour aux partis de l’opposition parlementaire. "A un certain moment il pourrait s’avérer que peu de choses dépendent d'eux", déclare Mikhaïl Remizov.
Les députés ne renonceront pas à leurs mandats
Les représentants de l’opposition parlementaire qui ont participé au rassemblement ont reconnu un simple fait : s’ils reconnaissaient les élections illégitimes, ils seraient contraints de renoncer à leurs mandats, à défaut de quoi leurs actions seraient incohérentes, estiment les experts.
"Seuls Guennadi Goudkov et Ilia Ponomarev de Russie Juste se sont déclarés prêts à renoncer à leurs mandats, a fait remarquer Mikhaïl Remizov. Apparemment, les députés des autres partis ne le feront pas, et les partis travailleront au sein de la Douma".
Selon Alexeï Moukhine, les représentants de Russie Juste ont joué un coup subtil : "Bien que Guennadi Goudkov ait annoncé que les députés de Russie Juste étaient prêts à renoncer à leurs mandats et à participer à de nouvelles élections, évidemment cela ne se produira pas. Personne n’organisera de nouvelles législatives, cela coûte très cher".
Cependant, selon les experts, suite à ces déclarations, les votes pourraient être recomptés dans plusieurs régions avec des résultats particulièrement surprenants. Cela montrerait la volonté des autorités de coopérer avec les partis.
A leur tour, les communistes ont montré qu’ils n’étaient pas prêts à renoncer à leurs mandats et tenir de nouvelles législatives, a fait remarquer le directeur du Centre d’information politique Alexeï Moukhine. "De toute évidence, les résultats des législatives les satisfont. Cela aura une influence négative sur la campagne électorale du principal rival potentiel de Vladimir Poutine dans la course présidentielle, Guennadi Ziouganov", a-t-il souligné.
Le système politique pourrait changer
La manifestation changera considérablement la position du gouvernement à l’égard des résultats des législatives annoncés vendredi par la Commission électorale centrale, mais selon les experts, on ignore quelle conséquence le rassemblement aura et en quoi seront "convertis" ses résultats.
"Aujourd’hui se pose la question de la future tactique des participants à l’action, du maintien de la mobilisation, de la manière de surmonter les différends entre eux et de maintenir la tension protestataire si le gouvernement refuse d’écouter les exigences des manifestants", a déclaré Mikhaïl Vinogradov.
Selon les politologues, le principal problème réside dans le fait que les manifestations civiles de masse n’ont pas de centres d’organisation clairs.
"La majorité des manifestants ne soutiennent pas les mouvements Solidarité et Front de gauche, qui se sont proclamés organisateurs du rassemblement, et n’attendent d’eux d’un plan d’action", estime Mikhaïl Remizov.
Selon lui, les groupes politiques les plus variés commenceront à proposer des plans d’action.
Et si la vague de protestation était longue, il n’est pas exclu que la configuration du système politique puisse commencer à changer et que la diversification des partis pourrait s’accroître.
"Le gouvernement s’efforcera de ne faire aucune concession, mais il aura du mal à garder la face en cas de révision des résultats des législatives ou en cas de défense de ces résultats, estime le directeur de l’Institut de stratégie nationale Mikhaïl Remizov. Seule la souplesse politique du gouvernement lui permettra d’éviter l’escalade des protestations selon le principe d’une réaction en chaîne".
Par ailleurs, les manifestations de samedi dernier qui se sont tenues dans un grand nombre de villes en Russie, profiteront principalement à Vladimir Poutine, estime Alexeï Moukhine.
"Le premier ministre Poutine a été le principal bénéficiaire, estime l’expert. D’une part, il a pris ses distances par rapport à Russie Unie aux élections, et d’autre part il a salué la forme civilisée de l’expression de la protestation. Cela devrait avoir un impact positif pour sa campagne présidentielle".
Néanmoins, les personnes venues sur la place peuvent être certaines d’avoir été remarquées et entendues, affirme Mikhaïl Remizov.
"Désormais, la vie politique russe se divisera en étapes: celle d'avant et celle d'après le mois de décembre 2011", a-t-il résumé.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction
La manifestation de Moscou change la réalité politique russe
19:12 12.12.2011 (Mis à jour: 16:05 05.10.2015)
© Photo Vitaliy RaskalovManifestation de l’opposition contre les résultats des législatives
© Photo Vitaliy Raskalov
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La manifestation de l’opposition contre les résultats des législatives, qui s’est terminée samedi sur la place Bolotnaïa à Moscou, a rassemblé un nombre record de participants et s’est déroulée pratiquement sans incidents.