Au sommaire:
- «Rodin» - un spectacle de balle psychologique
- Le pays perdu de Michael Jackson
- Moscou à la privilège d'accueillir une exposition de Caravage
- Le musée de l’Ermitage pour symboliser le dialogue interculturel
«Rodin» - un spectacle de balle psychologique
«J’ai voulu montrer combien le prix des grandes réalisations créatrices peut être lourd et terrible». C’est en ces termes que l’éminent chorégraphe russe Boris Eifman commente son nouveau ballet Rodin.
Le spectacle s’articule autour de la relation entre le grand sculpteur français Auguste Rodin et son émule et maitresse Camille Claudel. «C’est une femme géniale!» disaient de Camille ses contemporains. Elle n’avait pas besoin de se réchauffer aux rayons de la gloire de son maître mais pendant 15 ans Claudel s’est sacrifiée entièrement à Rodin. Elle lui abandonne ses idées, exécute des fragments de ses compositions et pose pour ses sculptures. Cette alliance créatrice et amoureuse unique qui portait d’abord une promesse d’harmonie et de bonheur, se termine par une catastrophe. Après sa rupture avec Rodin, Camille tombe dans la folie et trente ans dans un asile de fous, où elle finit ses jours oubliée et abandonnée de tous. Rodin meurt à son tour quatre ans après l’internement de Camille. Séparé de sa muse, son talent s’étiole, il ne plus capable de créer.
«Nous parlons de l’inconnu en partant de faits bien connus», affirme Boris Eifman. «Il est, par exemple, impossible de comprendre comment la toute jeune Claudel a pu développer de manière aussi fulgurante son immense don artistique digne d’un virtuose. On a également du mal à saisir cet étonnant mélange d’amour et de haine, de sacrifice et de jalousie, d’inspiration et de désespoir qui transcendait les relations entre Rodin et Camille. Mais le corps peut raconter ce que les mots sont impuissants à exprimer», ajoute le chorégraphe.
«Nous voulons que le théâtre psychologique russe qui est connu dans le monde entier dépasse sa vocation dramatique pour devenir aussi un théâtre de ballet. C’est notre style et notre réalisation. Si nous cherchons à diversifier notre répertoire pour que chaque nouveau spectacle prenne le contre-pied du spectacle précédent, notre voie magistrale n’en reste pas moins la création d’un théâtre de ballet dramatique et psychologique. «Rodin» est précisément le spectacle qui s’inscrit dans cette lignée. C’est une histoire d’amour qui a donné au monde de grands chefs-d’œuvre. Elle est celle de deux artistes qui s’aimaient mais ne pouvaient pas cohabiter à cause de l’égoïsme et d’une passion créatrice dévorante, transcendant toutes les choses de ce monde. C’est cette passion qui a eu finalement raison aussi bien de l’amour que des créateurs eux-mêmes», expliquer le metteur en scène.
Le spectacle de ballet «Rodin» n’est pas la première tentative de Boris Eifman de pénétrer l’univers spirituel infiniment complexe d’un créateur de génie. Il en va de même dans son ballet «Tchaïkovski», qui raconte les tribulations du génial compositeur russe ou encore dans le spectacle «la Giselle Rouge», une apologie de la célèbre danseuse Spessivtseva. Le chorégraphe a su transcrire dans la langue de la danse des œuvres de Tchékhov, de Dostoïevski et de Cervantès et exprimer toutes les sinuosités de l’univers intérieur de leurs personnages. On est parfois surpris par la dominante littéraire des productions de Boris Eifman, surtout quand on connait le penchant du ballet moderne pour les compositions dénuées de sujet et la pure recherche de la plastique. «Le fait que puiser dans les classiques littéraires puisse surprendre me paraît étrange car cela n’a rien de nouveau. La tradition remonte à Jean-Georges Noverre, grand chorégraphe français, qui montait il y a 200 ans déjà des ballets inspirés des œuvres de Goethe et de Shakespeare. Loin d’illustrer la littérature classique, nous cherchons à révéler ce qui est écrit entre les lignes», rétorque l’artiste.
Boris Eifman a renoncé au côté illustratif dans son nouveau spectacle, il n’a pas cherché à «ranimer» les sculptures de Rodin. Mais le chorégraphe a avoué qu’au moment de créer son spectacle il avait été ému par les chefs-d’œuvre du grand sculpteur, comme «Les bourgeois de Calais».
Le pays perdu de Michael Jackson
Les adeptes russes de Michael Jackson vont immanquablement se rendre dans la galerie d’art Pobeda à Moscou, où le photographe américain Henry Leuthwyler expose du 23 novembre au 25 janvier. L’exposition se compose de photos des objets personnels du roi de la pop.
On peut voir les chaussures éraflées que Jackson mettait pour faire la démonstration de son fameux Moonwalk, avec l’inscription «Michael» sur la semelle, les chaussettes ornées de strass, une multitude de gants parsemés de paillettes sans lesquels l’idole n’apparaissait jamais sur scène ou encore des chemises scintillantes avec des traces de maquillage.
On peut aussi admirer le trône et la couronne, des attributs invariables à n’importe quel roi. Les fans s’attardent longtemps devant chacun de ces objets et se prennent même en photo sur le fond de ces souvenirs de Michael Jackson.
Tatiana est venue à l’exposition avec sa fille. «J’ai pu voir beaucoup de choses sous un jour nouveau», a-t-elle déclaré à la Voix de la Russie. «Mais ce qui m’a épaté le plus, ce sont les chaussettes que l’artiste portait sur la scène», a-t-elle ajouté.
«Ce sont des chaussettes orthopédiques vraiment insolites. Nous avons tous vu Michael les porter pendant les concerts. Ici elles sont banalisées au point qu’on a envie de les toucher», s’exclame Tatiana.
Katia, la fille de Tatiana âgée de 12 ans est un fan de longue date de Michael Jackson. Elle a entendu pour la première fois une chanson de Jackson alors qu’elle n’avait que 7 ou 8 ans. Maintenant, non seulement elle connaît toutes ses chansons mais elle danse aussi le hip-hop au son de son idole.
Une dame d’un certain âge qui se définit comme le vrai fan de Jackson dit qu’elle éprouve un grand plaisir voyant que le roi s’habillait comme il sied à un souverain.
«Pour moi Michael Jackson est avant tout une personnalité. Sa façon de chanter, de se mouvoir est absolument inédite comme tout ce qu’il faisait! Il se consacrait à des œuvres de charité, aidait tout le monde et avait en plus un très grand talent. Personne ne peut l’égaler aujourd’hui! Ses chansons sont de véritables chefs-d’œuvre qui défient le temps et sont appelées à durer comme celles des Beatles», s’enthousiasme-t-elle.
© Photo: flickr.com/amycgx/cc-by-nc
Aussi étrange que cela puisse paraître, les fans de Jackson se réunissent tous les dimanches à Moscou devant le monument au grand chanteur d’opéra russe Fédor Chaliapine. Ce lieu a été choisi spontanément, du fait d’un concours de circonstances. Le 25 juin 2009, après l’annonce de la mort de leur idole, la foule des fans a afflué vers l’ambassade des États-Unis. Mais en juillet, à la veille de la première visite à Moscou du président Barack Obama, ils ont été priés de vider les lieux. Alors ils ont commencé à se rassembler à proximité, devant le monument à Chaliapine. Les fans de Jackson se donnent également rendez-vous dans le square devant l’hôtel Métropole où leur idole a logé en 1993. C’est à ce moment là qu’a été créé le premier fan club de Michael Jackson en Russie, on en compte actuellement une centaine. En septembre 1996, Jackson avait donné un autre concert à Moscou et les fans commentent toujours sur leurs sites web les détails de la prestation du roi sous une pluie battante dans un stade moscovite.
«Michael Jackson était incontestablement un phénomène», affirme Léonid, un visiteur de l’exposition âgé de 19 ans.
«Michael Jackson m’a toujours semblé être un enfant, c’est d’ailleurs ce qu’on pense généralement de lui», raconte Léonid. «Certains objets ont perdu leur éclat, c’est l’effet du temps. Même le nom de l’exposition «Le pays perdu de Michael» en dit long», ajoute-t-il en montrant les objets personnels de son idole.
En effet, le photographe Henry Leuthwyler a nommé son exposition «Neverland Lost – A portrait of Michael Jackson». Toutes les photos ont été prises dans le célèbre ranch de Neverland qui appartenait au roi de la pop. Le ranch s’est vendu aux enchères tout comme les objets personnels de la vedette. Mais ils auront une longue vie grâce aux photos voyageant à travers le monde. Henry Leuthwyler avait déjà présenté son exposition dans les plus grandes villes des États-Unis. Le Japon sera la prochaine étape après Moscou.
Moscou à la privilège d'accueillir une exposition de Caravage
On n’hésite pas à qualifier d’évènement unique et sans précédent l’exposition du grand maître italien Caravage, qui se déroule du 26 novembre au 19 février à Moscou au Musée des Beaux-arts Pouchkine.
Le superlatif est bien à sa place car on n’avait jamais vu nulle part ailleurs une telle concentration des chefs-d’œuvre du Caravage dans le cadre d’une seule et même exposition. Moscou a eu le privilège de devenir la première capitale à laquelle l’Italie a confié d’un seul coup onze toiles du maître d’une valeur inestimable. Les tableaux de Caravage sont éparpillés entre les différentes collections italiennes et des milliers de visiteurs se rendent dans les musées pour admirer ne serait-ce qu’un seul de ses tableaux. C’est pour cette raison que les propriétaires s’en séparent de fort mauvais gré. Les toiles exposées à Moscou viennent non seulement des musées mais aussi des églises italiennes et même du Vatican. Une telle générosité s’explique dans une grande mesure par le fait que cette exposition vient clore l’Année croisée Russie-Italie. «Mais en plus cela, nous avons une longue tradition de partenariat qui a permis de réaliser ce projet qui paraissait irréalisable», affirme le directrice du musée Pouchkine Irina Antonova.
«Il semblait impossible de monter une telle exposition, comme il serait quasiment impossible de monter une exposition qui serait consacrée seulement à Léonardo de Vinci ou à Rafael. Ce projet entrera non seulement dans l’histoire de notre musée dont nous allons célébrer le centenaire au printemps 2012 mais sera incontestablement un grand évènement culturel dans la vie des musées russes», ajoute-t-elle.
Photo: RIA Novosti
Les onze toiles de Caravage rendent compte du parcours de l’artiste, depuis son travail précoce «Le garçon avec un panier de fruits» jusqu’à son dernier tableau «Le Martyre de Sainte-Ursule» peint dans la période dramatique de sa vie, quand il était menacé de mort pour avoir tué par imprudence son adversaire pendant une séance de jeu de paume. Pour échapper aux poursuites, Caravage errait et se dissimulait en espérant la grâce. Elle est venue trop tard car entre temps l’artiste est mort du paludisme. Il n’a vécu que 39 ans mais ce rebelle et querelleur, tant dans sa vie que dans son œuvre, n’en avait pas moins eu le temps de proclamer l’avènement d’un temps nouveau dans l’art. Caravage pouvait, par exemple, peindre Bacchus en prenant comme modèle un garçon du cabaret voisin. Il a découvert des genres foncièrement nouveaux comme la nature morte et les scènes de genre. «Tout cela prenait le contre-pied de la vision idéale du monde propre à la Renaissance», affirme la critique d’art Nadejda Rein.
«Caravage disait qu’il était un tourmenté de la nature», explique la critique. «Il a été sans doute un des premiers peintres à se tourner vers le monde réel. Mais en tant qu’artiste, il transformait ce monde, ce qui correspondait précisément à la transfiguration et à l’exaltation que l’art est appelé à exprimer. Caravage a créé son propre système dit de clair-obscur, quand un puissant rayon de lumière se braque tel un projecteur sur un personnage déterminé. Ce procédé suscite des émotions fortes chez tous ceux qui regardent ses toiles et les voient quasiment malgré eux avec les yeux de l’artiste», ajoute-t-elle.
Elle cite en exemple le tableau «La Mise en bière» qui crée à son avis chez le spectateur l’illusion qu’il est celui qui se tient devant le tombeau et à qui Joseph d’Arimathie et Jean l’Évangéliste remettent le corps du Christ.
«Caravage fait partie des grandes figures de la Renaissance italienne comme Michelangelo, Léonard de Vinci et Rafael. Mais il occupe une position particulière, je dirais que c’est le sommet que personne n’a jamais pu vraiment dominer. Le mérite de Caravage est d’avoir créé non pas un style mais un courant entier. Il est le précurseur de l’époque baroque tant en Italie que dans le reste de l’Europe», résume-t-elle.
L’exposition de Moscou accentue et révèle la densité des volumes inscrits dans l’espace propre à la peinture de Caravage. Les salles sont plongées dans la pénombre et les tableaux sont mis en valeur par un savant éclairage.
Le musée de l’Ermitage pour symboliser le dialogue interculturel
Il ne fait aucun doute que le célèbre musée de l’Ermitage, où se réunissaient tous les jours les journalistes a dans une grande mesure contribué au succès du forum international «Le Dialogue interculturel» qui a pris fin cette semaine à Saint-Pétersbourg.
Le fait de pouvoir délibérer dans les salles de ce musée avec ses collections de chefs-d’œuvre venus des quatre coins du monde, était pour ses participants, jeunes journalistes d’Europe et d’Asie, l’expression palpable du dialogue des cultures et de la richesse que procure à l’homme la perception multiculturelle du monde. C’est pour cette raison que le dernier jour du forum les journalistes se sont adonnés à une visite libre dans le musée. Mieux encore, la direction de l’Ermitage leur a fait visiter ses réserves qui sont généralement fermées aux visiteurs et où sont conservées des richesses inconnues du public. En effet, seules 3 à 5% des collections sont exposées dans les salles tandis que tout le reste se trouve dans les réserves des bâtiments historiques du musée devenu trop exigu pour les trésors de l’Ermitage. Le musée avait alors pris la décision en tout point révolutionnaire de construire de nouvelles réserves loin de la Place du Palais, le centre historique de Saint-Pétersbourg où se trouve l’Ermitage. Le chantier a débuté dans les années 1990 tant et si bien que le centre de restauration et de conservation «Le Vieux Village» est déjà opérationnel avec ses neuf bâtiments et même un terminal douanier. Son directeur Vladimir Dobrovolski a organisé une petite visite pour les participants du forum.
«Le centre devait initialement abriter les ateliers de restauration et les réserves», explique Vladimir Dobrovolski. «Mais par la suite notre directeur a eu l’idée d’ouvrir les réserves au public, ce qui a finalement donné de nouveaux espaces d’exposition. En plus de la conservation, le centre est principalement spécialisé dans la restauration. Nous disposons actuellement de deux laboratoires pour la peinture à l’huile et pour la ferronnerie d’art. Nous avons également l’intention de restaurer le mobilier, les carrosses, les tapisseries et la peinture monumentale dans le bâtiment que nous appelons «Le Cube d’Or». Globalement, plus d’un million de pièces du musée seront conservées dans le complexe du Vieux Village».
Le centre est vraiment impressionnant avec ses ascenseurs d’une capacité de 18 tonnes, sa propre station des pompiers, ses centaines des caméras qui enregistrent tout ce qui se passe dans les réserves, ses installations métalliques montées sur roues sur plusieurs rangées pour consulter comme un catalogue les pièces de grande taille. Mais le plus important, ce sont les œuvres d’art exposées. La succession des salles ouvertes au public fait plus d’un kilomètre. La visite commence par la salle des icônes russes.
«Les fresques qui sont conservées ici proviennent de la ville de Pskov située à l’Ouest du pays et notamment de son église de la Nativité du Christ érigée au milieu du XIVe siècle», commente Vladimir Dobrovolski. «Au début du XVIIIème siècle l’église a été ensevelie sur ordre de Pierre Ier pour devenir un bastion dont les canons devaient défendre la ville contre les Suédois. L’église est restée pendant 270 ans dissimulée sous une couche de terre et c’est seulement dans les années 1970 que les spécialistes de l’Ermitage ont pu la dégager de sa prison. Ils ont découvert les murs en assez bon état et 150 mètre carrés de fresques. On les enlevait les unes après les autres en les mettant ensemble comme les pièces d’un puzzle. Cent mètres carrés ont repris leur aspect original et les autres sont en voie de restauration. Il y avait deux couches de fresques qui se superposaient et on peut toutes les apprécier maintenant».
Les pièces de cette salle ont récemment été exposées à Amsterdam. Les nouvelles techniques de conservation rendent les trésors de l’Ermitage plus mobiles en permettant de réaliser facilement des expositions itinérantes.