A première vue, quel est l'intérêt de savoir dans quelle prison sera envoyé le meurtrier de 69 personnes sur l’île d’Utoeya en Norvège (et de huit autres au centre d’Oslo, c’est-à-dire de 77 personnes au total)? Simplement en prison ou en hôpital psychiatrique pour suivre un traitement injonctif? C’est, apparemment, très humain d’offrir à un tel individu une chance de guérir et de sortir (théoriquement) un jour en liberté pour écrire des contes pour enfants.
De toute évidence, les autorités sont en train de se creuser le cerveau. Que faire de cet homme? Comment est-il possible ne pas le déclarer réellement schizophrène ou paranoïaque? Comment organiser un procès sérieux? Et vu que la police ne l’a pas abattu sur place, l’explication la plus simple et la plus courte est que le meurtrier de 77 personnes ne peut pas être normal.
Il existe des individus qui ne comprennent pas ce qui est le mal. Ce sont en fait des gens très biens. Parmi les plus connus on pourrait citer l’officier britannique du renseignement naval (pendant la Seconde guerre mondiale), puis l’excellent organisateur d’un réseau de correspondants étranger d’un grand journal, puis l’auteur de plusieurs romans devenus immortels… Fleming. Ian Fleming. Ses James Bond semblent être écrits par deux écrivains différents. Le premier étant intelligent, subtil, qui décrit l’état d’âme de l’agent qui a le droit d’éliminer les criminels. Et le second est un écrivain qui s’efforce de montrer le mal. Et là il échoue complètement avec son Dr No privé de mains ou son Auric Goldfinger qui badigeonne les femmes avec une peinture à base d'or avant de les…. L’écrivain ne comprenait manifestement pas comment fonctionne un criminel, en dépit de tous ses efforts. Et la société à première vue pacifique de ce pays scandinave ne comprend pas non plus.
Cela semble la spécialité de la littérature russe. Mais les écrivains classiques tels que Dostoïevski ne sont jamais tombés sur des individus semblables à Breivik. Car en réalité ce n’est probablement pas une déviance, mais un phénomène de notre siècle, et les phénomènes de l’époque de Dostoïevski étaient différents.
C’est effrayant, mais il faut reconnaître que Breivik est un phénomène typique de la culture européenne, ainsi que russe et américaine. Il suffit de rappeler combien de cas ont été recensés dernièrement, notamment aux Etats-Unis: un homme prend un fusil pour ouvrir le feu sur ses camarades de classe ou sur le président américain. Un tel individu a été récemment appréhendé.
Les psychiatres, en particulier s’ils n’ont pas à rédiger un rapport médical, polémiquent parfois à ce sujet. Mais que voulez-vous si un homme tel que Breivik se prend pour un templier qui sauve le monde?
Bref, de cette manière l’action de Breivik est transformée du plus grand crime de 2011 (le 22 juillet) en catastrophe naturelle moyenne de la même année. Un accident. Et on se rappelle tout de suite le tsunami au Japon et les conséquences à Fukushima, ainsi que l’inondation en Thaïlande avec des milliers et des centaines de victimes respectivement. Or, dans le cas présent nous n’en avons que 77.
Mais dévoilons un terrible secret qui était déjà connu de tous. Anders Breivik ne voulait pas sauver le monde des monstres extraterrestres, mais des musulmans; peut-être pas le monde, mais l’Europe. Il a écrit avant son acte un manifeste qu’on trouve facilement sur le net. Il suffit de saisir dans le moteur de recherche "Breivik" et vous trouverez tout. Sur les musulmans en Europe et bien d’autres choses.
Evidemment, pour un individu avec un minimum d’éducation, qui plus est pour un psychiatre, il est facile de voir que seul un homme aux capacités intellectuelles limitées pouvait écrire un tel manifeste. Mais c’est précisément là que se cache le fond du problème.
Un très grand nombre de personnes ont des capacités limitées mais sont normales à première vue. Strictement parlant, les racistes en règle général n’ont pas de cerveau – l’auteur de ses lignes a discuté avec eux à plusieurs reprises et a compris que c’était une perte de temps. Le racisme est un dysfonctionnement du cerveau qui touche les personnes qui n’ont pas réussi à atteindre le niveau d’éducation nécessaire. On peut leur expliquer éternellement que le racisme a détruit, par exemple, l’Empire britannique (à commencer par l’Inde), dire que le raciste russe (ainsi que le libéral extrémiste occidental) se nourrit d’une idéologie qu’on ridiculisait déjà dans les années 1930 à Londres… mais en vain. Il y a un blocage.
En fait, le problème ne consiste pas à savoir dans quelle cellule Breivik doit être enfermé, normale ou psychiatrique. Le fait est qu’à notre époque la société, avant tout européenne, mais aussi russe, en bénéficiant de toutes les libertés possibles, de l’éducation gratuite, etc. a engendré d’innombrables personnes intellectuellement limitées qui haïssent tout et tout le monde, y compris les gens ayant une autre couleur de peau. Et on ne constate aucune tentative de reconnaître que nous sommes face à une sorte d’impasse de la civilisation.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction